Le poète chilien Pablo Neruda a célébré l’île de Pâques dans “Le Chant Général”, son grand poème d’exil publié en 1950, il y revient vingt ans après dans “La rose séparée”.

Pablo Neruda en 1966• Crédits : Sam Falk – Getty

En 1950 un éditeur mexicain publie un gros livre : le Chant Général, en espagnol : “El Canto General”. Il est signé par Pablo Neruda. Le grand poète chilien est alors en exil, chassé par le président Gabriel Gonzales Videla qui, arrivé au pouvoir en 1946, exerce une répression terrible contre tous les dissidents communistes, dont Neruda fait partie.  
 

Poème de l’exil, le Chant Général est un opus magnum, une œuvre monstre de plus de 15000 vers, il se donne pour objet de chanter l’Amérique latine, toute l’Amérique latine du Nord au Sud, à travers les siècles, depuis la genèse des mondes jusqu’à la fin des années 40, c’est-à-dire le présent, la Guerre Froide.
 

Dans son chant, Neruda célèbre et traverse le continent américain dans toutes ses dimensions : la nature, les conflits, l’histoire, la colonisation américaine. Tout y passe. On y croise Abraham Lincoln, Tupac Amaru, la firme Coca-Cola, Christophe Colomb, Walt Whitman et Staline…
 

« Je suis le constructeur des statues. Je n’ai pas de nom. Ni de visage : le mien s’est égaré, il a couru de ronce en ronce et a grimpé, s’imprimant sur les pierres. Elles ont mon visage pétrifié, la grave solitude de ma patrie, elles ont la peau de l’Océanie. »

Au chant XIII du Chant Général, la poésie terrienne, populaire et géographique de Neruda s’arrête dans l’île de Pâques, qu’il désigne de son nom original : « Rapa Nui ». On l’entend, le poète invente et fantasme la voix des mystérieux bâtisseurs qui ont érigé les statues Moaï, ces œuvres venues de la nuit des temps. Aveugles et muettes, elles représentent un défi pour la parole, un défi pour le temps, et donc un défi pour la poésie. Neruda poursuit :
 

Elles ne veulent rien dire, elles ont voulu            
seulement naître avec leur volume de sable            
et durer, destinés au temps et au silence

Neruda rêve ces œuvres anonymes, collectives, et médite sur l’idée d’un monument qui ne signifie rien, qui ne veut rien dire. Rien de religieux, rien d’historique, rien de rationnellement assignable. Le poète tourne autour du mystère des statues, tout en le conservant. Néanmoins, chanter l’île de Pâques, c’est aussi un moyen détourné pour Neruda de célébrer les origines mystérieuses de sa patrie, le Chili, qui possède l’île du Pacifique depuis la fin du 19ème siècle.
 

Au début des années 70, peu avant sa mort, Neruda retourne sur l’île, et en revient avec un nouveau poème : “La rose détachée”. Il y prononce une charge violente contre la surpopulation touristique qui souille et saccage le site. Il s’adresse à elle une dernière fois en ces termes :
 

Antique Rapa Nui, patrie sans voix,           
pardonne aux bavards de ce monde que nous sommes

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