
Par Arnaud Dejeans – a.dejeans@sudouest.fr
Publié le 05/05/2023 à 12h50
Mis à jour le 05/05/2023 à 18h11
Le soldat allemand Herbert Haupt a été fait prisonnier par les alliés à la fin de la guerre. Il a été envoyé à Rions (33) en 1946 pour deux ans de travaux forcés. Il a reconstruit le lavoir du village médiéval en même temps que sa vie. Un hommage lui sera rendu ce lundi 8 mai
L’Histoire a tendance à ranger les faits dans deux placards distincts : le bien et le mal. Mais la réalité est enfouie dans une grande malle, au milieu d’un fatras de concepts moins manichéens : l’héroïsme, la douleur, la trahison, le courage, l’opportunisme, la haine ou l’amour. L’amour, justement, va être célébré ce lundi 8 mai, à Rions, en Gironde. En même temps que « la réconciliation et l’amitié entre les peuples », annonce le maire de ce village médiéval de la rive droite de la Garonne. Vincent Joineau organise ce jour-là, lors de la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, un hommage à Herbert Haupt (1920-1997).
Plusieurs centaines de milliers de prisonniers allemands ont participé à la reconstruction de la France. De force. Sept d’entre eux ont été envoyés dans le village de Rions par exemple
Herbert Haupt ? Un soldat allemand, prisonnier à la fin de la guerre, contraint à des travaux forcés à Rions après la victoire des alliés. Une plaque du souvenir sera dévoilée pendant la cérémonie, juste à côté du lavoir maçonné par cet ouvrier germanique. « Mon grand-père a vécu la plus grande partie de sa vie à Rions. Il a travaillé toute sa carrière dans la ferme de l’ancien maire Henri Daney puis sur l’exploitation de la famille Medeville à Cadillac. C’était un homme à tout faire », rembobine sa petite-fille. Delphine Redoulez-Lopez a enquêté sur ses racines. « Mon grand-père maternel est allemand, il s’est marié avec ma grand-mère Reine Laprie en 1950. » La petite-fille, installée près de Langon, a ouvert le couvercle de la grande malle familiale. À l’intérieur, un pan de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale peu connu. « Le sujet était tabou chez moi. »
L’aigle et la croix gammée
À la mort de sa grand-mère, Delphine Redoulez-Lopez découvre un document d’identité : « C’était un Ahnenpass appartenant à mon grand-père. » Un sigle sur ce certificat d’aryanité : l’aigle du Troisième Reich surmontant une croix gammée. Ce papier, obligatoire à partir de la promulgation des lois de Nuremberg par Hitler en 1935, prouve que du « sang allemand » coule dans ses veines depuis plusieurs générations. Herbert Haupt est né à Waldheim, en 1920, petit village devenu polonais à la fin du conflit mondial. Il obtient un diplôme de charpentier en 1939 à l’âge de 18 ans. Quelques mois plus tard, il doit s’engager pour l’armée du Führer.

A.D.
« Il était caporal parachutiste », partage sa petite-fille. A-t-il tué des soldats ou des civils français ? « On ne sait pas. » Le 16 décembre 1944, l’opération Stösser vire au cauchemar pour la Luftwaffe (ndlr, l’armée de l’air allemande). Haupt est parachuté au milieu de nulle part, à la frontière belge. De la chair à canon. Il se cache au fond d’un puits, près d’Aix-la-Chapelle. Des soldats alliés le retrouvent les pieds gelés. « Il a été fait prisonnier par les Américains dans un endroit inconnu jusqu’en 1946 avant d’aller au camp de Saint-Médard-en-Jalles (33). Il est envoyé à Rions, en décembre 1946, pour des travaux forcés », retrace sa petite-fille.
« Un angle mort historique »
Cet épisode de l’après-guerre prend peu de place dans les livres scolaires. « On peut parler d’angle mort historique effectivement », reconnaît le maire de Rions, également professeur à l’université de Bordeaux. « Plusieurs centaines de milliers de prisonniers allemands ont participé à la reconstruction de la France. De force. Sept d’entre eux ont été envoyés dans le village de Rions par exemple. »
En 1946, les prisonniers allemands sont logés dans l’immeuble de la Vacherie, sur la place d’armes du village médiéval. Un Rionnais, qui avait été lui-même fait prisonnier par les Allemands au début de la guerre, est désigné pour assurer la garde permanente de ce kommando. « Les captifs devaient préparer les repas des écoliers, mais n’avaient pas le droit de toucher à cette nourriture », détaille le maire-historien Vincent Joineau.

A.D.
Herbert Haupt répare une cabane communale et construit le fameux lavoir dans le bourg. Sa captivité prend fin en 1948. Mais le prisonnier ne veut pas rentrer au pays. Chez lui, c’est ici désormais. Son cœur bat pour une jeune Française. Il signe un contrat de travail dans la ferme du maire de Rions de l’époque, Henri Daney.
La haine de l’ennemi ne se dissipe pas comme le brouillard sur la Garonne
Des prisonniers allemands restent en France
« Une partie des prisonniers allemands est restée en France. Il faut se remettre dans le contexte. Certains ont perdu leur famille durant la guerre, d’autres ont refait leur vie. Monsieur Haupt n’était pas le seul. Un deuxième prisonnier allemand de Rions habitait dans le secteur. On m’a parlé aussi d’un Allemand qui a tenu le tabac de Saint-Maixant pendant quelques années », contextualise l’actuel maire de Rions.

Famille Haupt
« Ma grand-mère a été rejetée par sa famille. Pour beaucoup, elle était celle qui avait offert sa main à un Boche »
Herbert Haupt est un ouvrier très apprécié par ses patrons successifs. « Il parlait français couramment même s’il avait un petit accent », partage sa petite-fille qui l’a connu de son vivant. Mais la haine de l’ennemi ne se dissipe pas comme le brouillard sur la Garonne. Difficile de se fondre dans le paysage avec une étiquette collée dans le dos. Le natif de Waldheim (devenue Przyborow en 1945), à 2000 kilomètres de là, a une motivation profonde : vivre avec la femme qu’il aime.

A.D.
« Il a rencontré ma grand-mère pendant sa captivité. Ma mamie est restée vague sur le début de cette histoire d’amour. Ils se sont mariés à Rions, en novembre 1950. » Il a 30 ans. Elle, 21. Le mariage fait jaser dans le village. « Ma grand-mère a été rejetée par sa famille. Pour beaucoup, elle était celle qui avait offert sa main à un Boche. » Le couple franco-allemand a cinq enfants. « Cette union a été lourde à porter pour tout le monde dans la famille », témoigne la petite-fille.

Famille Haupt
Son histoire personnelle éclaire l’histoire collective. « Il était temps de dire les choses. Sans jugement. S’émanciper du regard de nos aînés pour mieux comprendre notre passé », défend le maire de Rions, Vincent Joineau. Herbert Haupt a fait la guerre contre la France, un pays où il a refait sa vie. L’amour n’a pas de frontière.
Cérémonie du 8 mai à Rions
La plaque commémorative sera dévoilée en présence de la consule générale d’Allemagne Stefanie Zeidler, du sous-préfet de Langon, Vincent Ferrier, et de la famille d’Herbert Haupt, ce lundi 8 mai à Rions. La cérémonie (9 h 15-10 h 30) sera structurée autour de trois allocutions qui alterneront avec trois pièces de Schubert et la « 9e Symphonie » de Beethoven.