Engagée à 17 ans dans le combat contre le nazisme, puis dans la lutte anticolonialiste lors de la guerre d’Algérie, elle avait reçu, avec son père et sa mère, le titre de Juste parmi les nations. Elle est décédée le 4 mars, à l’âge de 98 ans.

Par Catherine Simon

Anne Beaumanoir, à Saint-Cast-le-Guido (Côtes-d’Armor), le 26 février 2020.
Anne Beaumanoir, à Saint-Cast-le-Guido (Côtes-d’Armor), le 26 février 2020. HERMANCE TRIAY/OPALE PHOTO

Née le 30 octobre 1923 à Créhen, un bourg proche de Saint-Cast-le-Guildo (Côtes-d’Armor), engagée très jeune dans la résistance au nazisme, puis dans la lutte anticolonialiste, la docteure Anne Beaumanoir, médecin neurophysiologiste, est morte le 4 mars, à Quimper (Finistère), à l’âge de 98 ans.

Elle adorait conduire en trombe, « à l’italienne », sur les routes étroites et sinueuses de sa campagne bretonne, comme sur celles de la Drôme provençale, où elle avait fini par poser ses bagages, après une vie de saute-frontières. Et Dieu sait qu’elle en a franchi des murs, des barbelés et des plafonds de verre ! Entrée dans la Résistance à l’âge de 17 ans, Anne Beaumanoir a été, il est vrai, à bonne école.

Son père, Jean, d’une riche famille, et sa mère, Marthe, une jeune vachère, fille de valets de ferme, se sont unis en dépit de l’opprobre. Ils sont laïques, antifascistes, partisans du Front populaire. Ils se sont installés au Guildo, à deux pas du bourg de Créhen où Anne est née bien avant leur mariage. Plus tard, au début de la guerre, ils ouvrent un café-restaurant à Dinan (Côtes-d’Armor). C’est là que leur fille, partie étudier la médecine à Paris et devenue « clandestine permanente » du Parti communiste, leur amène par le train, un soir de l’hiver 1944, deux adolescents juifs, Daniel et Simone Lisopravski. Grâce à Anne, ils ont échappé à une rafle et aux camps.

« Porteuse de valises »

Marthe et Jean accueillent les deux jeunes et les cachent. Le titre de Juste parmi les nations sera décerné aux trois Beaumanoir, en 1996. « C’est ce dont je suis la plus fière », confiait volontiers l’infatigable Bretonne, qui, jusqu’au bout, témoignera dans les écoles de son passé de résistante et du danger totalitaire.

Elle a eu la « chance » de naître à une époque où, « dans un monde binaire, les choix étaient aisés », assurera-t-elle dans son livre autobiographique, Le Feu de la mémoire. La Résistance, le communisme et l’Algérie. 1940-1965 (Ed. Bouchène, 2009), dédié à ses enfants et petits-enfants. On n’est pas obligé de la croire. Les résistants aussi actifs qu’elle, en France, n’ont pas été légion. Ceux et celles qui, au début des années 1950, s’opposent à la guerre d’Algérie sont moins nombreux encore. Introduite auprès de Francis Jeanson par son amie Marceline Loridan, Anne Beaumanoir rejoint, presque naturellement, la cohorte des « porteurs de valises » qui apportent leur soutien au Front de libération nationale (FLN).

Des mois durant, au volant de sa voiture, elle sert de chauffeur à l’un des responsables de la zone sud de la fédération de France du FLN. A cette époque, elle a quitté le PCF, échaudée par les premières révélations de l’horreur stalinienne en URSS et par le vote, en France, en mars 1956, des « pouvoirs spéciaux », blanc-seing accordé à l’armée en Algérie, par l’Assemblée nationale, députés communistes compris.

La « doctoresse rouge »

Installée à Marseille, avec son mari Jo Roger et leurs deux petits garçons, Anne Beaumanoir, entre deux missions militantes, travaille dans l’équipe de recherche du professeur Henri Gastaut – spécialiste de l’épilepsie. Lorsqu’elle est arrêtée, en novembre 1959, elle est sur le point d’accoucher d’une petite Myriam. Emprisonnée aux Baumettes, puis assignée à résidence, la « doctoresse rouge », comme l’appelle la presse, réussit à s’échapper et à gagner la Tunisie. Elle laisse beaucoup derrière elle. « Un mari, trois enfants et ma carrière », résumera-t-elle, en mai 2008, lors de notre première rencontre.

Persona non grata en France (elle a été condamnée par contumace à dix ans de prison), elle travaille comme médecin à Tunis, soignant les djounouds (soldats) algériens de l’armée des frontières. Au lendemain de l’indépendance, à l’été 1962, elle gagne Alger et intègre le cabinet du ministre de la santé, qui la nommera directrice de la formation médicale et paramédicale. Le travail qui l’attend est monstrueux. A la « clochardisation » du pays, dénoncée par Germaine Tillion dans les années 1950, se sont ajoutées la dévastation de la guerre et les destructions de l’OAS. Sur le plan politique, le coup d’Etat du colonel Houari Boumediene, en juin 1965, achève de doucher les espoirs.

Comme beaucoup de pieds-rouges – et de nationaux –, qui avaient cru dans la révolution et « l’Algérie nouvelle », la docteure Beaumanoir, qui se sait recherchée, réussit à s’enfuir. Elle gagne la Suisse où elle dirigera, de 1970 à 1990, l’équipe d’épileptologie des hôpitaux universitaires de Genève, avant de rejoindre la France, se partageant entre Dieulefit (Drôme) et Saint-Cast-le-Guildo. L’écrivaine Anne Weber a retracé son parcours dans Annette, une épopée (Le Seuil, 2020) et un film, coréalisé par Denis et Nina Robert, Une vie d’Annette, lui a été consacré en 2018.

30 octobre 1923 Naissance à Créhen (Côtes-d’Armor)

1940 S’engage dans la Résistance

1996 La famille Beaumanoir reçoit le titre de Justes parmi les Nations

2009 Publie « Le feu de la mémoire. La Résistance, le communisme et l’Algérie » (éd. Bouchene)

4 mars 2022 Mort à Quimper (Finistère)

Catherine Simon

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.