Sous pression des milieux nationalistes, la ville de Musashino a rejeté un projet de la maire visant à permettre aux étrangers de s’exprimer lors des référendums locaux.

Par Philippe Mesmer(Tokyo, correspondance) Publié aujourd’hui à 11h01

La maire de Musashino (Japon), Reiko Matsushita, lors du vote de sa proposition d’accorder le droit de vote aux étrangers de la ville pour les référendums locaux, le 21 décembre 2021.
La maire de Musashino (Japon), Reiko Matsushita, lors du vote de sa proposition d’accorder le droit de vote aux étrangers de la ville pour les référendums locaux, le 21 décembre 2021. NANAKO SUDO / AP

Le rejet, mardi 21 décembre, sous pression des milieux nationalistes, de la proposition de la ville de Musashino (Kanto) d’accorder le droit de vote aux étrangers, pour les référendums locaux, traduit une défiance persistante du Japon vis-à-vis des ressortissants venus d’ailleurs, exacerbée depuis le début de la pandémie de Covid-19. « Certains ont considéré que la proposition n’avait pas convaincu les citoyens », a dit, dans un euphémisme, Reiko Matsushita, la maire de Musashino, après l’échec de son projet, soutenu par les formations progressistes, démocrate et communiste.

Selon le texte, présenté le 12 novembre, les référendums devaient être ouverts aux étrangers de plus de 18 ans résidant depuis plus de trois mois dans la commune de 150 000 habitants de l’ouest de Tokyo, connue pour son quartier animé de Kichijoji. Mme Matsushita souhaitait ainsi « réaliser une société multiculturelle » et ne voyait « aucune raison d’exclure les étrangers » de ces consultations, dont le résultat n’entraîne aucune obligation légale. Elle avait précisé que son projet ne donnait en aucun cas le droit de vote aux étrangers pour les élections. Un tel système est déjà en place à Zushi, au sud de Tokyo, et à Toyonaka, dans l’ouest du pays.

Débat ancien, mais rares progrès

Dès l’annonce de Mme Matsushita, les oppositions se sont mobilisées. Des groupuscules xénophobes, à commencer par le parti Le Japon d’abord, du militant Makoto Sakurai – connu pour ses discours haineux envers la minorité coréenne du Japon –, ont organisé des rassemblements dans le centre de Musashino. Les soixante-dix parlementaires du Parti libéral démocrate (PLD au pouvoir), membres de l’Association de protection de la dignité et des intérêts nationaux du Japon, ont qualifié le projet de menace pour la sécurité nationale. Masahisa Sato, membre du PLD, a déclaré sur Twitter : « C’est la porte ouverte à l’entrisme de la Chine. » Il a aussi souligné que les étrangers pourraient finir par acquérir le droit de vote aux élections et « contrôler l’administration et le Parlement ».

« Que se passerait-il si de tels projets étaient adoptés dans des municipalités abritant des bases militaires américaines ou des Forces d’autodéfense [FAD, l’armée japonaise], des centrales nucléaires ou des îles au cœur de contentieux territoriaux ? », a questionné Hidetsugu Yagi, spécialiste du droit constitutionnel à l’université Reitaku, dans le très conservateur quotidien Sankei

Les débats sur le droit de vote des étrangers ne sont pas nouveaux au Japon, mais les progrès sont rares. En 1984, une révision de la loi sur la nationalité a donné ce droit aux enfants nés d’un couple dont un parent est japonais. Et, depuis le début des années 1990, une quarantaine de municipalités autorisent les résidents permanents à s’exprimer lors des référendums locaux.

En 2009, le premier ministre, Yukio Hatoyama, du Parti démocrate, a tenté de légiférer pour le droit de vote des étrangers, estimant nécessaire d’ouvrir un Japon « trop refermé sur lui-même ». Un « groupe de citoyens japonais opposés au droit de vote des étrangers » a immédiatement fait circuler un manga dénonçant les « étrangers qui n’aiment pas le Japon et qui pourraient devenir députés ». La journaliste Yoshiko Sakurai, égérie des milieux nationalistes, s’insurgeait alors contre une « menace pour l’intégrité de l’Etat » : « Il y a des communistes parmi les Chinois » et « des soutiens au régime nord-coréen parmi les Coréens », estimait-elle.

Augmentation des contrôles au faciès

Aujourd’hui, la défiance semble exacerbée par la pandémie de Covid-19, dans un pays qui compte 2,9 millions d’étrangers – trois fois plus qu’il y a vingt ans –, principalement chinois, coréens et d’Asie du Sud-Est. Dans les premiers mois de la pandémie, les autorités ont évoqué la difficulté de lutter contre la contagion à cause des étrangers, dont la culture et la langue sont différentes. L’ancien ministre des finances Taro Aso (2012-2021), avait associé, en 2020, le faible taux de mortalité du Japon aux « normes culturelles plus élevées » de l’Archipel.

Dans le cadre de mesures de prévention contre le Covid, la ville d’Itako, dans le département d’Ibaraki (Est), a recommandé, en mai 2021, de ne pas manger avec des étrangers. La fermeture les frontières, le 1er décembre, à cause du variant Omicron, quitte à maintenir des familles séparées, est soutenue par 89 % des Japonais.

Cette perception a des conséquences de plus en plus sérieuses. Le 6 décembre, l’ambassade des États-Unis a ainsi, de manière tout à fait exceptionnelle, fait part de son inquiétude face une augmentation des « cas de contrôle au faciès » de résidents étrangers, « arrêtés, interrogés et fouillés » par la police.

Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

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