Une association de défense des habitants des milieux populaires du Pays basque a combattu avec succès le développement des meublés touristiques, afin que la forte demande locale d’habitat soit mieux satisfaite.

En 2015, les réunions se multipliaient à Paris pour préparer la mobilisation citoyenne autour de la COP 21 devant se tenir au Bourget à la fin de cette même année. L’une des interventions m’avait marqué : celle de Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. Il s’étonnait que les militant·es climat n’investissent pas plus le terrain du logement, alors qu’il constituait un point de rencontre essentiel entre les préoccupations « fin du mois » et « fin d’un monde ». Le logement représente en effet le premier poste de dépense des ménages. Et l’habitat (logement, chauffage, déplacements du lieu de résidence aux lieux d’activité, etc.) est l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre en France.

À l’époque, nous étions un certain nombre à réfléchir à ce qui pourrait constituer « la marche du sel de la bataille climat », en référence à la campagne de Gandhi menée pour l’indépendance de l’Inde. Quelle revendication pourrait à la fois avoir, en cas de victoire, un impact décisif sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des conséquences immédiatement bénéfiques pour le niveau de vie des masses populaires, ce qui lui conférerait un pouvoir mobilisateur démultiplié ? Cette réflexion sur la question du logement avait donc fortement résonné chez moi et quelques autres militant·es d’Alternatiba, sans que nous ne trouvions alors comment la concrétiser.

Problème et solution

Le 16 juin 2021, le mouvement Alda (« changer » en langue basque), association de défense des habitants des milieux populaires du Pays basque, lance une nouvelle campagne, intitulée « Se loger, pas spéculer ». Il transforme au passage un appartement Airbnb de Bayonne en QG, d’où il organise réunions et conférences de presse, distribue affiches et plaquettes, donne des visioconférences publiques.

L’appartement occupé était loué jusqu’en janvier de la même année à un couple de jeunes travailleurs locaux. Puis il avait été transformé en meublé de tourisme permanent, loué sur Airbnb. Alda rend publique une étude révélant pour la première fois l’ampleur du problème posé par cette pratique au Pays basque : en quelques années, 6 000 à 7 000 logements au minimum (1) ont ainsi été vampirisés sur ce territoire par les plateformes de type Airbnb, ce qui est énorme au regard d’un parc locatif privé qui en comptait 41 670 en 2017 ! L’impact de cette révélation marque les esprits localement.

Alda ne se contente pas de rendre le problème visible, il propose une solution immédiatement réalisable. Le mouvement produit une note juridique démontrant que la mesure de compensation mise en place dans certaines villes de plus de 200 000 habitants est également applicable dans la zone tendue du Pays basque, dotée d’un continuum urbain de plus de 50 000 habitants.

Victoire sociale et écologique

Alda multiplie dès lors les actions et mobilisations pour exiger la mise en place de cette mesure. Les élus à la tête de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) entendent la demande et se réunissent avec l’association. Un processus est ouvert qui débouche sur l’adoption d’un règlement, le 5 mars 2022, mettant en place une version particulièrement contraignante de la compensation au 1er juin de la même année (2). Cette mesure interrompt net l’hémorragie (Alda estime que 16 000 logements seront ainsi sauvés au cours des prochaines années) et permettra de regagner d’ici à trois ans plusieurs milliers de logements parmi ceux qui ont été perdus (3).

La CAPB est le premier territoire de l’Hexagone qui ne soit pas une métropole de plus de 200 000 habitants à mettre en place la compensation. Le plan local de l’habitat de cette agglomération, qui regroupe les 158 communes, prévoit la production de 2 686 logements par an pour répondre à la demande locale. Or, cette mesure va permettre de sauver ou de regagner plus de 20 000 logements, et ce sans bétonner ni artificialiser les sols. Les habitants locaux pourront ainsi continuer de se loger près de leurs lieux de travail et d’activités quotidiennes, limitant les déplacements quotidiens qui épuisent les gens et aggravent le dérèglement climatique.

C’est une victoire à la fois sociale, écologique et climatique d’une ampleur rarement obtenue, surtout au terme de moins d’un an de lutte. Elle est applaudie par les secteurs les plus populaires, ceux qui revendiquent le droit d’avoir un logement face à ceux qui en ont 2, 3 ou 10. Elle vient valider l’interpellation de Manuel Domergue de 2015, et démontrer tout l’intérêt de l’investissement du terrain du logement pour les militant·es climat.

Par Txetx Etcheverry Cofondateur d’Alternatiba, militant de Bizi ! et d’ANV-COP 21.

(1) En réalité, une étude officielle postérieure démontrera qu’il y en a près de 11 000.

(2) Les propriétaires devront désormais produire dans la même commune un nouveau logement de surface équivalente pour tout logement transformé en meublé de tourisme, rendant l’opération financièrement peu ou pas rentable, et donc quasiment impossible. Ils ont attaqué le règlement devant le tribunal administratif.

(3) Les près de 11 000 meublés touristiques actuels sont également concernés par la compensation à l’horizon 2025.


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