Dernier opus de Thalie de Molènes sous forme de testament mémoriel intitulé Cahier de l’oubli. « Je laisse monter de ma mémoire, en vrac, sans un choix conscient, le récit de vies tombées dans mon oubli. (…) Il nous parle avec la petite voix de l’essentiel, quand tout le reste alentour est silence. » C’est ainsi que l’auteure, aujourd’hui octogénaire, introduit ces 4 nouvelles qui toutes puisent leur substance dans ce temps visiblement décisif que fut la guerre vécue par la jeune fille en Périgord dans ce village de Plazac, en bordure de Vézère. 

Trois des 4 textes sont des portraits. Marcel, l’instituteur résistant, ami et substitut discret du père décédé très jeune ; Berthe la belle cuisinière dont tous, ou presque, les hommes du village sont amoureux, et qui survécu aux camps nazis ; Sato un original qui traverse sa vie et celle des autres comme une ombre légère et amicale. La 4eme nouvelle s’intitule le retour et narre le voyage épique qui ramène en septembre 1944 la jeune fille et sa grand-mère vers Paris dans la juvaquatre d’un officier russe, véhicule flanqué sur l’avant du capot du drapeau rouge avec marteau et faucille et portrait en pied de Staline.

Attardons-nous sur l’histoire de Berthe, la plantureuse aubergiste de Plazac qui cachait son paquet de gauloise entre ses seins généreux, Berthe qui accueillait chaque jour comme le premier.  « Depuis sa petite enfance, depuis que sa grand-mère lui avait montré le miracle du jour naissant, elle y restaurait dans son corps, après le repos du sommeil, la splendeur de se sentir vivre. » Berthe, mariée à François mais dont les hommes du village étaient amoureux transis. Parmi eux, celui pour lequel elle avait secrètement un faible, Saulière, ancien séminariste, moitié guide archéologique, moitié homme des bois. Leur fils André avait pris le maquis mais un jour ce furent eux que la milice vint arrêter au printemps 44. Un trou noir de quasiment une année dans un camp de concentration. En mai 45 Berthe revint à Plazac, la belle femme défigurée par une vilaine blessure, apprend alors que son François est mort sous les coups de la Gestapo lors de leur arrestation. Berthe ne veut plus vivre et il faudra toute la somme d’amitié de ses amis pour la ramener dans la vie « Saulière perçut, entre ses bras, son effrayante maigreur, sous la lumière crue de la lampe, il vit son visage détruit. Il eut conscience brutalement de la somme de souffrances, de la profondeur des chagrins, du poids inhumain qui continuait à écraser Berthe. Et sa vie en fut complètement bouleversée. »     Berthe, cette fontaine à sec, obstruée par la quantité d’horreurs et de malheurs vécues. Et Saulière avec une infinie patience va l’aider à « retrouver le chemin de la source. » Un chemin vers la résilience     et le réapprentissage des gestes simples du quotidien. Je vous passe plein de détail, tous très beaux. Un jour Berthe demande à Saulière : « Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ? » « Parce que je ne peux pas faire autrement » répond-t-il. De l’Humanité à l’état pure.  Magnifique !

 Jean-François Meekel

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