En raison de la pandémie qui sévit en Nouvelle-Calédonie empêchant la tenue d’une campagne électorale digne de ce nom, en raison du respect du deuil dans les communautés kanak et océaniennes les plus durement touchées par cette pandémie, nous appelons au report du 3e et dernier référendum devant décider de l’avenir de ce territoire en chemin vers l’indépendance.

Madame la députée, Monsieur le député

Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, 

La Nouvelle-Calédonie traverse une crise grave, sur le plan sanitaire, car une dissémination très rapide de la Covid-19 depuis le 6 septembre dernier a provoqué à ce jour plus de 260 décès dont une majorité sont des Océaniens et, en particulier, des Kanak. Comme vous pouvez l’imaginer, le choc est très rude pour les communautés kanak et wallisiennes. Il exige une attention particulière car le « travail » de deuil dans les cultures océaniennes est d’une importance primordiale et nécessite du temps. Le deuil « empêché » par les mesures covid (nombre limité de personnes pour la mise en bière ou les funérailles) est douloureux pour quiconque, mais particulièrement en monde océanien du fait des cérémonies coutumières qui ne peuvent alors être correctement faites. 

Contrairement à ce que certains veulent affirmer, le taux d’incidence est loin d’être stabilisé et rien n’assure aujourd’hui que la crise soit maîtrisée.

Or, c’est dans ce contexte que le ministre de l’Outre-mer et le Premier ministre considèrent toujours possible d’organiser, le 12 décembre prochain, le 3e et dernier référendum d’autodétermination prévu par l’accord de Nouméa en 1998. Ce 3e référendum, rappelons-le, constitue pour le peuple premier, le peuple kanak, mais aussi pour l’ensemble de la population calédonienne, un enjeu crucial au terme d’une longue période de plus de trente ans marquée par un effort notable de l’ensemble des forces politiques locales pour garantir la paix civile et progresser sur la voie de la décolonisation dans le respect des principes démocratiques. Il porte en lui la promesse d’un nouveau pacte politique à l’issue d’une séquence historique plus longue encore, inaugurée en 1853 avec l’acte de prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France.

La date du 12 décembre 2021 a été fixée fin mai dernier par le gouvernement Castex pour éviter toute interférence entre les échéances politiques calédoniennes et les échéances présidentielles, sans l’accord des indépendantistes. Une partie d’entre eux (l’UNI) plaidait dès juillet pour une date fixée à l’automne 2022 afin de laisser la campagne référendaire se déployer. La crise sanitaire et ses effets délétères sur une population calédonienne et, en particulier, océanienne endeuillée a convaincu l’ensemble des forces indépendantistes de soutenir la demande de report des échéances comme l’autorise le droit. Il s’agirait de la part de l’état d’un signe d’apaisement dont le pays a besoin pour laisser le temps au temps, permettre l’organisation d’une campagne référendaire sur des bases équitables et instaurer un climat propice à des discussions approfondies et sereines, à la hauteur des enjeux du scrutin.

À l’inverse, la position arcboutée des forces loyalistes et des représentants du gouvernement en faveur d’un calendrier resserré et le maintien à tout prix de la date du 12 décembre crée une intensification des rapports de force et a provoqué en réponse un appel du FLNKS à la non-participation. Outre le fait que le gouvernement Castex semble revenir sur une parole donnée[1] qui promettait la tenue de la dernière consultation référendaire après août 2022, dans des conditions démocratiques exemplaires et dans le respect des principes et procédures adoptées par tous ses prédécesseurs, nous voudrions vous alerter sur les risques non négligeables de blocages qui pourraient advenir après la victoire d’un Non obtenue dans de telles conditions. Ainsi que sur le sens d’un référendum d’autodétermination auquel les principaux intéressés, les Kanak, placés au centre de l’accord de Nouméa, ne participeraient pas. Ceci ne pourra que conduire à la disqualification de la consultation sur le plan international et national (en rappelant le précédent douloureux du référendum Pons en 1987). 

La clôture de l’accord de Nouméa, avec ses 33 ans d’efforts conduits conjointement par l’État français et les partenaires politiques locaux, sera alors entachée par ce qui pourra apparaître comme un passage en force du gouvernement qui, de plus, a renoncé à tenir une position d’impartialité pour soutenir ouvertement le Non à l’indépendance. 

L’envoi de forces de gendarmerie en nombre, signal là encore très inquiétant qui rappelle de mauvais souvenirs, ne suffira pas à régler les problèmes et il est fort à parier que le dossier calédonien risque, ce que précisément le gouvernement voulait éviter, d’empoisonner la campagne présidentielle au printemps prochain et continuer à le faire bien au delà. 

Pour que ne s’achève pas sur un terrible gâchis l’expérience vers la décolonisation que la France a menée en Nouvelle-Calédonie depuis plus de 30 ans, laquelle est porteuse d’un éventuel projet d’une « sortie par le haut » d’une longue histoire coloniale, il est nécessaire que s’instaure au plus vite un climat de discussion serein dans le respect de l’ensemble des composantes de la population, un travail politique approfondi tenant compte de toutes les options et des efforts accomplis y compris par les conseillers antérieurs mandatés pour envisager de nouvelles formes de partenariat (par exemple le rapport Soucramanien en 2014). 

Le refus de remettre en cause la date du 12 décembre est déjà aujourd’hui interprété comme une marque d’irrespect envers une population kanak endeuillée, il viendra inéluctablement nourrir la colère et le ressentiment. C’est prendre le risque d’un retour à des confrontations que personne ne souhaite et dont le souvenir est encore vif. La France de 2021 peut-elle se permettre un tel risque ?

Vu le niveau de divergences et l’impasse dans laquelle semble s’engager le pays, il est urgent de proposer une voie de sortie de crise : le report de la consultation en signe d’apaisement et la convocation d’un comité des signataires pour relancer les discussions entre les partenaires dans le cadre des procédures habituelles acceptées par tous dans l’accord de Nouméa. Les indépendantistes ont toujours affirmé et réaffirment encore leur ouverture au dialogue. La proposition pourrait être faite à toutes les parties prenantes de mettre à profit le délai de report pour élaborer un document sur les conséquences du Oui et du Non qui constituerait en quelque sorte le prolongement calédonien du document élaboré par l’État. Les critiques sur ce texte pourraient ainsi s’exprimer en toute transparence et l’examen approfondi de toutes les options d’avenir pourrait alimenter positivement le débat démocratique.

Madame la députée, Monsieur le député, 

Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, 

Nous nous adressons à vous dans l’espoir que vous saurez agir pour convaincre le gouvernement d’accepter le report de la consultation référendaire à l’automne 2022.

Bien cordialement.

Collectif Solidarité Kanaky (solidarite-kanaky@lists.riseup.net)

Association Information et soutien aux droits du peuple kanak (aisdpk@free.fr)

[1] Édouard Philippe, alors Premier ministre, avait déclaré le 10 octobre 2019, à l’issue du 19e comité des signataires de l’accord de Nouméa : « L’accord de Nouméa prévoit que, en cas de non au deuxième référendum, il est possible de tenir un troisième référendum dans les deux ans qui suivent le deuxième. Nous avons exclu que cette troisième consultation puisse être organisée entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022. Il nous est collectivement apparu qu’il était préférable de bien distinguer les échéances électorales nationales et celles propres à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Le choix du calendrier après la deuxième consultation constituera donc un enjeu majeur. Le Gouvernement et les forces politiques de Nouvelle-Calédonie ont à cet égard évoqué la nécessité de poursuivre le dialogue tout au long de ce processus. »

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