L’homme de 41 ans a mis fin à ses jours mercredi, au sous-sol du tribunal judiciaire de Bordeaux. Il avait refusé d’embarquer sur un vol deux jours auparavant. Le risque suicidaire venait d’être signalé par une enquête sociale rapide.

Par Florence Moreau(Bordeaux, correspondance) Publié aujourd’hui à 10h42

« A 40 ans, préférer en finir dans une cellule souillée qui pue la mort plutôt que d’être renvoyé dans son pays, ce n’est pas concevable », tempête une avocate du barreau de Bordeaux, éprouvée par le décès d’un prévenu, mercredi 15 décembre, au sous-sol du tribunal judiciaire de Bordeaux où elle allait s’entretenir avec un client. L’homme s’est pendu aux grilles d’aération d’une cellule avec le cordon de serrage de la capuche de son sweat-shirt. Les policiers, puis les pompiers, n’ont rien pu faire pour le sauver. Il s’appelait Fitim Uka. Il avait 41 ans. Il était kosovar.

Selon les premiers éléments de l’enquête pour recherche des causes de la mort dévoilés par le parquet de Bordeaux le jour même du décès, le quadragénaire avait été déféré en fin de matinée et devait être jugé l’après-midi dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement. « Le 13 décembre, il a refusé d’embarquer sur un vol pour Amsterdam puis Pristina », détaille son conseil, MAbraham Hervé Diompy, avocat de permanence de l’Institut de défense des étrangers du barreau de Bordeaux. Son client du jour n’avait pas voulu se soumettre à un test PCR conditionnant sa montée dans l’avion comme l’a indiqué le parquet de Bordeaux.

Le parcours de Fitim Uka a été reconstitué selon ses dires. « Il était arrivé en France il y a environ quinze ans, fuyant des conflits interethniques et une situation politique instable, dévoile Me Diompy, au vu du dossier qui lui a été communiqué. Il avait un passé traumatique douloureux lié à l’assassinat, le même jour, de quinze membres de sa famille. Il a quitté son pays avec son frère, qui vivrait en Alsace. Il n’a plus de famille, plus personne là-bas. »

« Fragilité psychiatrique »

Le jeune avocat est encore sous le choc. Il a été commis d’office quelques heures seulement avant le décès de son client. Il a rencontré un homme « costaud », « imposant », « tendu », « les yeux vides », « abîmé », « marqué par ses addictions », « le coude cassé », « qui parlait très bien le français ». Le défunt n’était « pas un gentil mec » ni un ange. « Il avait un passé judiciaire dense », souligne l’avocat. Une dizaine de condamnations à son casier judiciaire, essentiellement pour des vols. La dernière, de quatre mois ferme pour des violences conjugales contre son ancienne compagne venait d’être purgée à la prison de Gradignan (Gironde). « Il n’a jamais pu s’insérer socialement, poursuit Me Diompy. Il était sans domicile fixe, parfois accompagné par des dispositifs d’urgence, il était dépendant à l’alcool et à la drogue. Il suivait d’ailleurs un traitement à la prison. Il a eu une vie pas facile, notamment compliquée par sa fragilité psychiatrique. » L’avocat comptait faire valoir ces considérations humanitaires dans sa plaidoirie.

« Le droit d’asile lui avait été refusé », précise Me Abraham Hervé Diompy. Son titre de séjour pour étranger malade n’ayant pas été renouvelé, Fitim Uka, faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français motivée par son maintien irrégulier sur le territoire français, a été conduit au centre de rétention administrative puis à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Mercredi en début d’après-midi, il était de retour dans une des geôles.

« Il préférait sa vie en France, aussi triste et miséreuse soit-elle, que repartir là-bas, où l’attendaient des règlements de comptes », souligne l’avocat Me Diompy.

« Il était catégorique sur son refus de retourner au Kosovo. Il m’a même dit : “Plutôt crever que de retourner là-bas.” J’ai bien senti que le monsieur était à bout de souffle, mais de là à passer à l’acte… A plusieurs reprises, il a exprimé ça, avant, pendant et après son déferrement, raconte
Me Diompy. Il préférait sa vie en France, aussi triste et miséreuse soit-elle, que repartir là-bas, où l’attendaient des règlements de comptes. »

« Monsieur parle de suicide et construit des scénarios pour en finir », observe l’enquête sociale rapide de la permanence d’orientation pénale réalisée quelques minutes avant le passage à l’acte. La case « difficultés psy » est cochée, celle du risque suicidaire aussi. Le 7 décembre, à l’occasion d’une autre comparution en justice – « et avant la notification de l’OQTF le 10 décembre », souligne Me Diompy – une enquête du même type ne mentionnait aucune idée noire et dessinait même des projets.

« Avec les caméras et les rondes qu’il y a là-bas, comment ça a pu leur échapper ? , se demande encore Me Diompy. Il était suicidaire mais seul dans une cellule et on n’avait pas ôté tout ce qu’il pouvait utiliser pour mettre fin à ses jours. » Le parquet de Bordeaux a signifié que l’inspection générale de la police nationale avait été saisie d’une enquête administrative afin de déterminer dans quelles conditions le décès a pu survenir.

Florence Moreau(Bordeaux, correspondance)

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