Robert Mangold. — « Grey Ellipse – Red Frame » (Ellipse grise – Cadre rouge), 1989-1990 © ADAGP, Paris, 2021 – Christie’s Images – Bridgeman Images

Puisque cette revue de presse est aussi un lieu de critique des médias, je crois que s’impose une synthèse d’un long papier du Monde  Diplomatique de mars signé du directeur de la rédaction Serge Halimi et de Pierre Rimbert, autre pilier du Diplo. Il est intitulé : Vendre de la discorde plutôt qu’informer : un journalisme de guerres culturelles. Une enquête solide, exhaustive, bien à la manière de ce mensuel et dont il  est présomptueux de vouloir rendre compte en quelque minutes. Mais tentons le diable. D’abord, disent-ils, contrairement aux apparences, ce n’est pas la brutalité du milliardaire breton , Vincent Bolloré, qui rachète à tour de bras les médias, qui est le meilleur indicateur du mouvement qui bouscule le paysage journalistique des années 2020. Car la force montante  se devine, je cite « dans l’empressement des directions éditoriales à s’excuser quand un article déplait à leurs lecteurs »

                   Grande précarité des jeunes journalistes

La presse souffre sous les coups de boutoir de l’appropriation privé, Bolloré et consorts et du développement exponentiel du web qui pillent aux journaux et les infos et la pub. Conséquemment le nombre de journaliste diminue de façon drastique surtout aux Etats-Unis où les rédactions ont supprimé 36.000 emplois dans la presse écrite quand 10.000 étaient crées dans les médias en ligne. En France, entre 2008 et 2019, la perte est de 6%, seulement a-t-on envie de dire, mais on sait aussi que les tendances d’Outre-Atlantique atteignent toujours  l’Europe  avec un peu de retard et que la réalité économique et sociale de très nombreux journalistes, jeunes surtout, se nomme  grande précarité. Ce qui suit n’est pas dans le papier du Diplo mais issu d’un rapport de Technologia, spécialisée dans la prévention des risques au travail. En France donc, 42% des journalistes sont pigistes, payés à la tâche en quelque sorte, 20% disent travailler entre 40 et 50 h par semaine, 20% plus de 50 h, 56% affirment n’avoir pas le temps de vérifier leurs sources. La polycompétence est désormais la règle : rédaction pour tous les supports,  papier, antenne radio ou télé, web , photo, vidéo. « Des couteaux suisses.» Quant aux plus anciens, logiquement moins agiles sur l’informatique et coûtant plus chers, ils sont poussés vers la sortie.

        «  Le lecteur décide si une publication vit ou meurt »

Fin de la parenthèse et retour à l’analyse du Diplo. Pour nos deux auteurs, la panacée pour les médias de l’écrit en particulier, puisque la pub leur échappe dorénavant, c’est …c’est l’abonné.  « Hier jugé hors d’atteinte et hors du coup par les génies d’Internet convaincus que l’information en ligne serait gratuite ou ne serait pas, ce souscripteur fidèle fait 15 ans plus tard l’objet de toutes les convoitises. » dit le Diplo. Et de citer le Monde qui compte 100.000 abonnés papier et 360.000 abonnés numérique et vise le million en 2025. Quant au New-York Times, il affiche au compteur 4,7 millions d’abonnés numérique pour 831 000 abonnés papier. Le Diplo cite Ross Barkan, journaliste américain : « Avant Internet, le New York Times, comme tous les journaux, se contentait de servir ses maîtres publicitaires. Aujourd’hui, en l’absence d’autres formes de revenus -subventions gouvernementales, fondations à but non lucratif- c’est le lecteur qui décide si une publication vit ou meurt. (…) Et cela confère au public un pouvoir nouveau. »

                   La presse vend dorénavant de la division

Et c’est là que le bât blesse, selon Halimi et Rimbert. Si longtemps, l’audience  et les parts de marché de la presse, comme les élections, se gagnaient au centre, mais depuis «   l’ère Brexit Trump l’élite du journalisme aura retenu cette leçon : l’exacerbation des divisions politiques -et surtout culturelles- alimente l’audience, mobilise les lecteurs et génère du profit. »Et de citer le journaliste américain Matt Taibi selon lequel «  Les entreprises cherchaient auparavant à attirer un public le plus large possible ; elles s’emploient désormais à capter et à retenir de multiples fraction de lectorat. Fondamentalement, cela signifie que la presse, qui commercialisait naguère une vision de la réalité supposée acceptable au lieu aux yeux d’un large éventail, vend à présent de la division. »   Il s’agit en résumé de séduire des communautés qui reçoivent sur les réseaux sociaux des liens d’articles correspondant à leurs attentes, déterminées en amont par des algorithmes comme pour la réclame sur Facebook et compagnies. En clair, on conforte chacun dans ses propres positions et celles de son clan, groupe, communauté, cercle, gang, bande etc. Les divisions sont accentuées. Allez donc lire le Diplo pour le détail de cette analyse bien incomplète ici. Et je vous épargne le rôle de Twitter, magnifiquement et dramatiquement  illustré par l’ex-tenancier de la Maison Blanche et ses dizaines de millions (88,8  précisément ) d’abonnés à ses insanités déversées à flot avec les conséquences que l’on a pu observer au Capitole.  

                                Jean-François Meekel    

A suivre : Humeur noire Anne-Marie Garat   

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