Face au risque d’insécurité alimentaire qui touche déjà 2,5 millions de personnes, la réponse du gouvernement est lente à se mettre en place.

Par Chloé Alramamneh (Nairobi, correspondance) Publié aujourd’hui à 18h00

Carcasse brûlée d’un chameau mort de faim, à Belif, dans le comté de Garissa, dans le nord-est du Kenya, le 24 octobre 2021. BRIAN INGANGA / AP

Les puits sont à sec, les troupeaux décimés et la faim augmente, tout comme les conflits. Après trois mauvaises saisons des pluies, la sécheresse fait des ravages dans de nombreux comtés du nord et de l’est du Kenya. Et malgré les millions de dollars injectés dans la réponse humanitaire par le gouvernement et les organisations internationales, la situation ne semble pas près de s’améliorer.

« On s’attend maintenant à une catastrophe car il n’y a pas de pluies importantes prévues avant plusieurs mois », alerte Ahmed Ibrahim, président de l’association Priorité au développement des terres arides du Kenya (ALDEF). Selon l’ONU, plus de 465 000 enfants de moins de 5 ans et 93 000 femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition. L’insécurité alimentaire touche déjà 2,5 millions de personnes, à travers une vingtaine de comtés arides et semi-arides du nord du pays dont l’économie dépend essentiellement de l’élevage.

L’ALDEF estime que la barre des 3 millions sera dépassée en janvier. Le Kenya n’est pas le seul touché : l’aridité s’étend au sud de l’Ethiopie, à la Somalie et au nord-est de l’Ouganda selon le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET), un bureau d’information de l’Agence américaine pour le développement international (USAID).

La Corne de l’Afriquereçoit des précipitations inférieures à la moyenne depuis octobre 2020. Dans la plupart des régions du Kenya, l’eau tombée pendant la dernière saison des pluies, de mars à mai, était inférieure de 55 % à 70 % aux normales et la tendance est la même pour la saison en cours, qui s’étend d’octobre à décembre.

Le bétail tué par la faim et la soif

Selon les experts, le changement climatique, qui impacte déjà sévèrement le Kenya, risque d’accroître encore la cadence des sécheresses à l’avenir. Alors qu’elles suivaient auparavant un cycle de cinq à sept ans, seulement trois ans séparent les deux dernières.

Sans régénération suffisante des points d’eau et des pâtures deux fois par an, les revenus des habitants s’effondrent dans les régions du nord du pays. Certains éleveurs ont perdu jusqu’à 75 % de leurs bêtes, tuées par la faim et la soif. Les animaux, parfois trop faibles pour faire le trajet jusqu’au point d’eau ou pour produire du lait, ont perdu une grande partie de leur valeur à la vente. Le prix d’une vache est descendu à 5 000 shillings (quelque 40 euros), enregistrant une baisse de plus de 85 % sur les quatre derniers mois. La vie sauvage en pâtit tout autant : à ce jour, vingt-trois girafes ont été retrouvées sans vie dans les comtés touchés.

Cadavre d’une girafe morte de faim près du village de Matana, dans le comté de Wajir, dans le nord-est du Kenya, le 25 octobre 2021. BRIAN INGANGA / AP

James Oduor, directeur de l’agence gouvernementale de gestion de la sécheresse (NDMA), envisage le pire : « A long terme, les effets des sécheresses rapprochées sont le sous-développement et l’augmentation de la pauvreté. » Si le phénomène persiste, les villes risquent de voir affluer un grand nombre d’éleveurs démunis.

Ce stress climatique menace aussi de nourrir les conflits liés à la terre. Dans les comtés de Garissa, Isiolo, Wajir et Marsabit, les tensions se font déjà sentir. « Parce qu’ils suivent l’eau et cherchent des pâturages, les bergers traversent les frontières entre comtés. Mais de l’autre côté, les populations cherchent les mêmes ressources, donc il y a des affrontements, raconte Ahmed Ibrahim. Et comment arrêter un troupeau qui n’a pas vu d’eau depuis dix jours ? »

« Catastrophe nationale »

Malgré leur plus grande fréquence, « les sécheresses sont prévisibles, elles s’installent lentement et, pour cette raison, nous avons besoin d’une planification adéquate », remarque le président de l’ALDEF, reprochant au gouvernement la lenteur de la réponse humanitaire. James Oduor acquiesce : « De janvier à mars, les tensions et les besoins étaient déjàprésents mais le gouvernement et les autres parties prenantes ont réagi de manière limitée. »

D’autant que la sécheresse n’est que le dernier choc enduré par les communautés vivant en milieux arides. Les invasions de criquets pèlerins en 2019-2020 et la pandémie de Covid-19 avaient déjà sévèrement compromis leur sécurité alimentaire.

Après que le président Uhuru Kenyatta a qualifié la sécheresse, le 8 septembre, de « catastrophe nationale », deux enveloppes de 2 milliards de shillings (quelque 16 millions d’euros) ont été allouées à la crise, en octobre et en novembre.

« On n’a pas vu cet argent sur le terrain, peut-être parce que les aides ont été distribuées à quelques foyers uniquement, indique pourtant Ahmed Ibrahim. De toute façon, s’il y a 2,5 millions de personnes en situation de crise, 4 milliards de shillings ne sont pas suffisants. » De fait, selon James Oduor, les besoins d’ici à décembre ont été évalués à plus de 7 milliards de shillings, mais « le fossé n’est pas facile à combler ».

De son côté, l’ONU a lancé en septembre une levée de fonds de 139 millions de dollars (environ 124 millions d’euros) auprès des bailleurs internationaux, dont 28 millions ont été récoltés. La NDMA mise sur une réponse de long terme à travers notamment la construction d’infrastructures d’accès à l’eau et aux soins.

Mais le plan national lancé en 2010 pour prévenir les effets des sécheresses dans les régions du nord et les comtés arides est pour l’heure loin d’avoir abouti, de l’aveu du directeur de l’agence gouvernementale, faute de moyens et de temps. « Si nous avions atteint tous nos objectifs, reconnaît-il, nous serions en mesure de contenir la sécheresse. »

Chloé Alramamneh (Nairobi, correspondance)

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