Quatre jeunes militants britanniques, inculpés à la fin de 2020 pour « dommages criminels » après s’en être pris au monument consacré à Edward Colston, ont gagné leur procès.

Par Cécile Ducourtieux(Londres, correspondante) Publié hier à 13h03, mis à jour hier à 18h52

Des manifestants jettent la statue d’Edward Colston (1636-1721) dans les eaux de l’Avon, le 7 juin 2020, à Bristol.
Des manifestants jettent la statue d’Edward Colston (1636-1721) dans les eaux de l’Avon, le 7 juin 2020, à Bristol. BEN BIRCHALL / AP

Leurs très nombreux supporteurs et les médias régionaux les avaient baptisés les « Colston Four ». Les quatre jeunes militants antiracistes Rhian Graham, Milo Ponsford, Jake Skuse et Sage Willoughby ont tous été acquittés, mercredi 5 janvier, à l’issue d’un procès de plusieurs mois à la cour royale de Bristol, devant un jury populaire. Ils avaient été inculpés à la fin de 2020 pour « dommages criminels » dans le cadre du déboulonnage de la statue de l’esclavagiste Edward Colston, protecteur très contesté de cette grosse ville du sud-ouest de l’Angleterre, principale bénéficiaire du commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Angleterre et ses colonies caribéennes au XVIIIe siècle.

Erigée à la fin du XIXe siècle au cœur de Bristol, la statue d’Edward Colston (1636-1721), a été arrachée de son piédestal le 7 juin 2020, à la fin d’une manifestation en hommage à George Floyd, l’Afro-Américain tué par un policier à Minneapolis (Minnesota, Etats-Unis) en mai 2020, puis traînée jusqu’au port tout proche, et jetée dans les eaux de l’Avon. La très droitière ministre de l’intérieur, Priti Patel, avait estimé que les auteurs du déboulonnage devaient être poursuivis en justice, considérant comme « absolument honteuse » la mise à bas du Bristolien.

L’évènement, vécu en direct par des milliers de personnes, avait fait le tour du monde et lancé un mouvement de contestation des symboles dans l’espace public d’une histoire coloniale jusqu’alors écrite par les élites blanches. Depuis, une vingtaine de statues de personnages historiques liés au commerce triangulaire ont été escamotées – sur l’ordre de collectivités locales ou d’universités – au Royaume-Uni, dont celles des marchands d’esclaves Robert Milligan et Sir John Cass, à Londres.

Une commission historique indépendante

Le gouvernement de Boris Johnson a haussé le ton, quand la massive statue de Winston Churchill, qui fait face au palais de Westminster, sur la place du Parlement, a été attaquée à son tour – à la fin de juin 2020, des manifestants ont tagué « was a racist » (« était un raciste ») sur son piédestal. S’en prendre à l’ex-premier ministre, icône nationale, héros de la seconde guerre mondiale, est « honteux et absurde », avait alors réagi Boris Johnson, auteur d’une biographie de son illustre prédécesseur.

L’héritage de Colston était contesté à bas bruit depuis au moins une vingtaine d’années par des militants et historiens de Bristol, qui réclamaient sinon la mise au rebut de sa statue, au moins la pose d’une nouvelle plaque rappelant son passé. Celle fixée sur son piédestal depuis plus d’un siècle célébrait « l’un des plus vertueux et sages fils de cette cité ». Issu d’une très ancienne famille de la bourgeoisie locale, Edward Colston devint en 1680 l’un des membres de la Royal African Company (RAC), qui détenait le monopole du lucratif transport d’esclaves africains vers les colonies britanniques des Antilles. Du temps de Colston, la RAC a fait traverser l’Atlantique à plus de 80 000 Africains – hommes, femmes et enfants. Environ 19 000 sont morts durant les traversées, sans compter les dizaines de milliers d’autres victimes dans les Caraïbes.

Un tee-shirt de soutien aux « Colston Four », dessiné par le graffeur Banksy, le 11 décembre 2021, à Bristol. JACOB KING / AP

Sans descendance, M. Colston a donné une partie de sa fortune à sa ville natale, où on fêtait encore tout récemment le « Colston Day » chaque 13 novembre. La mise à bas de sa statue a agi comme une catharsis à Bristol, dirigée depuis 2016 par un maire travailliste métis, Marvin Rees. De nombreux monuments, dont la salle de spectacle Colston Hall, le pub Colston Arms, l’école Colston’s Girls’ School, ont changé de nom et abandonné toute référence à l’esclavagiste. La statue a été exposée jusqu’à la fin de 2021, couchée, dans l’une des salles du M Shed, un des musées de la ville, et M. Rees a mis en place une commission historique, indépendante, chargée de faire vivre le débat sur l’histoire de la ville.

« Du bon côté de l’histoire »

Au procès des « Colston Four », le procureur de la Couronne avait insisté : peu importe qui était M. Colston, il s’agissait de juger des jeunes gens ayant endommagé un bien matériel. La défense a, au contraire, mis en avant le passé esclavagiste de Colston comme motivation première des accusés.

« Nous n’avons pas changé l’histoire, nous l’avons rectifiée, c’est une victoire pour Bristol, pour l’égalité des races, et pour tous ceux qui sont du bon côté de l’histoire », a déclaré Sage Willoughby, 22 ans, l’un des acquittés, à la sortie de la cour mercredi soir, arborant un tee-shirt édité par le célèbre graffeur Banksy. Originaire de Bristol, l’artiste a pris fait et cause pour les « Colston Four ». « Ce verdict est un tournant dans le cheminement de Bristol et du Royaume-Uni vers la reconnaissance de la totalité de leur histoire », s’est félicité l’historien David Olusoga. « Pendant trois cents ans, Edward Colston a été honoré comme un philanthrope (…). La chute de sa statue et les arguments passionnés des “Colston Four” rendent cette myopie historique – et délibérée – impossible », a ajouté ce spécialiste de l’histoire noire du Royaume-Uni.

A droite de l’échiquier politique britannique, tous ne sont pas de cet avis : le verdict est « absolument consternant, a dénoncé le député conservateur Scott Benton, il envoie un message parfaitement incorrect : sommes-nous une nation qui ignore les actes violents et les dommages criminels ? ». « Nous ne commentons jamais les décisions d’un jury, mais attendons de la police qu’elle continue à prendre tous les crimes au sérieux », a pour sa part réagi le porte-parole de Downing Street. Pour le Telegraph, le quotidien de la droite conservatrice, la décision de la cour de Bristol, est « une erreur colossale ».

Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante)

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