L’avocat de 36 ans, de père palestinien et de mère française, se bat pour ne pas être expulsé de Jérusalem, sa ville natale, et pour le retour de sa femme et de ses enfants, interdits de territoire israélien.
Il fait froid dans les montagnes de Jérusalem. La brume envahit les hauteurs. Bientôt, il neigera peut-être. Ce sera moins beau dans le quartier de Kafr Aqab que dans le centre de la Ville sainte, mais Salah Hamouri n’a pas le choix : il y est confiné par les autorités israéliennes, sous peine de perdre sa résidence permanente à Jérusalem. C’est ici qu’il passera le réveillon, sans sa femme et ses deux enfants, bloqués en France et interdits de territoire israélien.
« Je ne travaille plus vraiment, ajoute l’avocat franco-palestinien, rattaché à l’association d’aide légale palestinienne Addameer. Je ne peux plus aller au tribunal de toute façon, et puis notre organisation est dans la tourmente. » L’ONG fait partie d’un groupe de six organisations qui ont été désignées comme « terroristes » par les autorités israéliennes en octobre dernier. Salah Hamouri est sur la ligne de front du conflit qui oppose, depuis plusieurs années, les autorités israéliennes à la société civile palestinienne : il a même fait partie d’un groupe de militants visés par le logiciel de cybersurveillance Pegasus entre avril et septembre.
Fils d’un Palestinien et d’une Française, Salah Hamouri, 36 ans, est né et a grandi à Jérusalem. Fin octobre, la ministre israélienne de la justice, Ayelet Shaked, a officiellement déclaré qu’il devrait en être expulsé. Comme la grande majorité des Palestiniens de Jérusalem-Est, M. Hamouri dispose dans sa ville natale d’un simple statut de résident permanent. Selon l’ONG B’Tselem, près de 15 000 Palestiniens se sont vu confisquer ce titre et les droits qui vont avec depuis l’annexion de la ville par Israël en 1967.
Pour Salah Hamouri, la décision a été prise sous l’égide d’un nouvel amendement à une loi israélienne, passé en 2018, qui stipule que la résidence peut être révoquée à la suite d’une « violation d’allégeance à l’Etat d’Israël ». Les termes sont vagues, mais pour M. Hamouri comme pour son avocate, Lea Tsemel, le raisonnement ne tient pas : « Jérusalem est un territoire occupé, et les personnes sous occupation ne sont pas tenues d’être loyales envers la puissance occupante. »
« Une vingtaine d’années d’acharnement »
Un recours devant la Cour suprême israélienne a été déposé mais, en attendant, M. Hamouri est confiné à Kafr Aqab, un quartier qui est inclus dans les limites de la municipalité de Jérusalem, mais se trouve du côté palestinien du mur de séparation. Il y vit le dernier épisode « d’une vingtaine d’années d’acharnement », rage sa femme, Elsa Lefort, jointe par téléphone en France.
Tout a commencé par le bruit des bottes. « Mon oncle était recherché par la police israélienne, donc dès l’âge de 5 ans et pendant des années, ils venaient à la maison au milieu de la nuit pour essayer de l’arrêter. Ça m’a marqué. » Il entreprend vite des activités politiques, emporté comme toute sa génération par la révolte de la deuxième Intifada. Il est arrêté pour la première fois à 16 ans.
En Israël, pour la justice comme pour la plupart des médias, Salah Hamouri est d’abord un « terroriste ». Après tout, il a plaidé coupable, dit-on, dans une affaire de complot visant à assassiner le grand rabbin séfarade d’Israël Ovadia Yosef, en 2005. Selon M. Hamouri, qui dément l’existence d’un tel complot, le choix qu’on lui a donné était d’être expulsé vers la France ou de plaider coupable. Il passera finalement sept ans en prison, avant d’être relâché dans l’échange de prisonniers avec le soldat franco-israélien Gilad Shalit en 2011, détenu à Gaza.
Depuis sa sortie, il est resté sous le radar des autorités israéliennes, surveillé, interdit de certaines parties du territoire, et même emprisonné sans accusation pendant dix-huit mois. « Au niveau personnel, le plus terrible, c’est de ne pas pouvoir faire de plans, dit M. Hamouri. C’est fatigant. On n’a pas de contrôle sur sa propre vie. »
Manque d’action publique de la France
Salah Hamouri et Elsa Lefort se sont mariés en 2014, et ont aujourd’hui deux jeunes enfants. En janvier 2016, elle a été expulsée d’Israël au nom d’obscures « considérations sécuritaires ». « Nous sommes devenus un moyen de pression, explique Mme Lefort. Dans tous les interrogatoires, on lui souffle : “Mais pourquoi tu ne pars pas en France, vivre avec ta famille ?” » Pour Salah Hamouri, c’est impossible. « Au bout du compte, j’ai une responsabilité nationale. Je deviendrais le premier Palestinien à perdre sa résidence pour “faute d’allégeance”. Je dois aller jusqu’au bout. »
Le couple regrette le manque d’action publique des autorités françaises. « On nous dit toujours qu’avec Israël, il faut faire les choses de manière discrète, soupire Mme Lefort. On a l’impression que la France peut se permettre un ton plus dur avec d’autres pays. »
Malgré l’instabilité de sa situation, l’avocat n’a rien renié de ses convictions et de son engagement pour un Etat démocratique et binational sur le territoire de la Palestine historique. Il garde un certain optimisme même, né de la guerre à Gaza au mois de mai et de la vaste mobilisation politique qu’elle a entraînée, aussi bien en Cisjordanie qu’en Israël. « La situation politique palestinienne est compliquée, mais on a vu l’unité renouvelée imposée par le peuple palestinien dans tous les territoires. Les plans israéliens de séparation ont échoué, conclut-il. Aujourd’hui, on sait qu’on peut tout perdre, sauf la bataille culturelle. »
Intérim(Jérusalem, correspondant)