ALG-61-251-R24 Juillet 1961 Vues générales en Kabylie: population et mœurs. Photographe Grimaud

Cette décision doit permettre d’« écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification » des documents, annonce mardi l’Élysée.

Le Monde avec AFP

Publié hier à 13h30, mis à jour hier à 14h57

Le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la question mémorielle de la colonisation et de la guerre d’Algérie préconisait l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans, notamment celles sur la guerre d’Algérie.

Dans un communiqué publié mardi 9 mars, l’Elysée annonce que le chef de l’Etat « a pris la décision de permettre aux services d’archives de procéder dès demain [mercredi] aux déclassifications des documents couverts par le secret de la défense nationale (…) jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse ». « Cette décision sera de nature à écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification, s’agissant notamment des documents relatifs à la guerre d’Algérie », selon le texte.

Un soldat français, devant une affiche de l’OAS, appelant à prendre les armes contre l’indépendance algérienne, à Oran (Algérie), le 15 mai 1962. HORST FAAS / AP

« Réconcilier les mémoires » et « regarder l’histoire en face »

Cette annonce intervient une semaine après la reconnaissance par le président de la République, « au nom de la France », de la torture et de l’assassinat de l’avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957.

Ces gestes d’apaisement sont recommandés dans le rapport remis à Emmanuel Macron le 20 janvier par Benjamin Stora dans le but de « réconcilier les mémoires » et de « regarder l’histoire en face ». La décision sur les archives « démontre que nous allons très vite », souligne l’Élysée.

Mais sa portée dépasse le cadre de l’histoire de l’Algérie et M. Macron « a entendu les demandes de la communauté universitaire » qui se plaint des difficultés d’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans en raison de l’application scrupuleuse d’une circulaire sur la protection du secret de la défense nationale.

« Le gouvernement a engagé un travail législatif d’ajustement du point de cohérence entre le code du patrimoine et le code pénal » afin de « renforcer la communicabilité des pièces, sans compromettre la sécurité et la défense nationales », précise l’Élysée. Avec, comme objectif, de parvenir à un nouveau dispositif « avant l’été 2021 ».

Tout en saluant les récentes décisions prises par M. Macron, les autorités algériennes réclament depuis des années l’ouverture des archives coloniales ainsi que le règlement de la question des « disparus » de la guerre d’indépendance, plus de 2 200 personnes selon Alger, et celle des essais nucléaires français dans le Sahara algérien.

« Les gestes symboliques ne peuvent avoir de portée que s’ils sont appuyés de mobilisations citoyennes sur chacune des questions : les archives, les essais nucléaires, les disparus », avait souligné début mars Benjamin Stora dans un entretien accordé au quotidien francophone El Watan.

En « facilitant » l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, Macron poursuit sa politique des « petits pas » sur la réconciliation mémorielle

S’inspirant d’une des recommandations du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle franco-algérienne, l’Elysée a annoncé une simplification des procédures de déclassification des documents couverts par le secret-défense.

Par Frédéric Bobin

Publié hier à 15h57, mis à jour à 09h35

Un soldat français, devant une affiche de l’OAS, appelant à prendre les armes contre l’indépendance algérienne, à Oran (Algérie), le 15 mai 1962. HORST FAAS / AP

L’Élysée poursuit sa politique des « petits pas » recommandée par le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle franco-algérienne. Emmanuel Macron a décidé, mardi 9 mars, de « faciliter l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans » – mesure qui concernera donc la période de la guerre d’Algérie (1954-1962) –, a précisé un communiqué diffusé par la présidence de la République.

Cette annonce, qui répond partiellement à une requête d’universitaires se plaignant des entraves à la libre consultation de documents historiques, survient une semaine après la reconnaissance par M. Macron de la responsabilité de l’Etat français dans l’« assassinat » de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel en 1957.

l’épouse d’Ali Boumendjel devant son portrait

Elle vise à conforter l’image d’un chef de l’État attentif à l’exploration des pistes suggérées par le rapport Stora, dont l’accueil en Algérie avait été pour le moins mitigé. Loin des verdicts définitifs, l’historien préconisait une approche pragmatique et graduelle consistant à dresser des « passerelles » entre la France et l’Algérie « sur des sujets toujours sensibles » (disparus de la guerre, séquelles des essais nucléaires, partage des archives, coopération éditoriale, réhabilitation de figures historiques).

L’annonce de l’Élysée sur la simplification de l’accès aux archives vise à esquisser un compromis entre « deux référentiels en conflit », selon le mot d’un membre de l’entourage du président. D’un côté, le code du patrimoine, qui prévoit la libre consultation des archives vieilles de plus de cinquante ans ; de l’autre, le code pénal, qui sanctionne toute « compromission » du secret-défense.

Des déclassifications « au carton » jusqu’à 1970

Les historiens s’étaient plaints depuis plus d’un an d’un durcissement de l’attitude des administrations à la suite d’une circulaire émise début 2020 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), un organisme dépendant de Matignon. Elle enjoignait aux services d’archives d’appliquer de manière pointilleuse une instruction générale interministérielle (IGI) de 2011 sur le respect du secret-défense, un texte jusque-là mis en œuvre de manière relativement ouverte. La règle – la déclassification éventuelle doit être opérée « feuillet par feuillet » – devait, désormais, être observée dans toute sa rigueur, une subite crispation qui a paralysé nombre de recherches en cours depuis un an. Un collectif d’historiens et d’archivistes avait réagi en déposant un recours devant le Conseil d’Etat contre la controversée IGI de 2011.

Afin d’apaiser leur inquiétude, M. Macron a ainsi décidé que la période couverte par les déclassifications « au carton » serait étendue jusqu’à l’année 1970, alors que ce procédé simplifié (plus rapide que la déclassification « au feuillet ») ne pouvait, jusque-là, pas s’appliquer au-delà de 1954. En d’autres termes, la période de la guerre d’Algérie relève, désormais, de cette procédure simplifiée du « carton », ce qui devrait, selon l’Élysée, « écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification » des documents relatifs à cette séquence historique.

A plus long terme, le plan de l’Elysée est de « résorber le hiatus » entre le code du patrimoine et le code pénal en matière d’archives. Le compromis, qui consistera à « renforcer la communicabilité des pièces sans compromettre la sécurité et la défense nationales », prendra nécessairement une forme législative. Le Parlement devrait en être saisi « avant l’été », assure la présidence de la République. « Ça avance méthodiquement et à un rythme soutenu », s’est félicité Benjamin Stora en évoquant les chantiers mémoriels embrassés par son rapport. « Au-delà des déclarations abstraites, il y a un changement de cap par rapport à l’Algérie et à la guerre, ajoute-t-il. On révèle, on dévoile, on progresse. »

L’historien Benjamin Stora et le président de la République, Emmanuel Macron, à l’Élysée, le 20 janvier. CHRISTIAN HARTMANN / POOL VIA AP

Dans la communauté des historiens et des archivistes, l’annonce de l’Élysée sur les archives inspire des réactions mitigées, oscillant entre la satisfaction et la prudence face à des incertitudes non encore levées.

« Il faut rester vigilant »

« C’est une bonne nouvelle, car cela va accélérer les délais de communication des archives », commente l’historienne Sylvie Thénault, qui précise toutefois que cette facilitation de la déclassification concernera surtout le service historique des armées et la direction des archives du ministère des affaires étrangères, l’impact sur les Archives nationales (où sont rassemblés des documents de sources ministérielles diverses) étant limité.

En outre, Mme Thénault met en garde contre le « risque » que la modification législative annoncée par l’Élysée « révise le code du patrimoine dans un sens restrictif ». « Il faut rester vigilant sur l’ouverture de ce chantier législatif », confirme Céline Guyon, présidente de l’Association des archivistes français.

L’annonce de l’Élysée ne résout pas en effet la divergence qui oppose l’Etat et la communauté des historiens et archivistes dans l’analyse de la hiérarchie des normes : là où l’exécutif évoque la nécessité d’« articuler » code du patrimoine et code pénal, les historiens et les archivistes récusent l’existence d’un conflit entre les deux normes en affirmant la « supériorité du code du patrimoine ».

Aussi l’harmonisation souhaitée par l’Élysée comporte-t-elle le « risque d’une régression du code du patrimoine », avertit Mme Guyon. Le débat n’en est qu’à ses prémices. Le rapport Stora a au moins le mérite de le mettre sur la place publique.

Frédéric Bobin

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