Plus de 400 personnes, de nombreux jeunes sans perspectives, ont perdu la vie en 2021 dans des tentatives désespérées de traverser la Méditerranée. Les autorités gardent le silence devant l’explosion de ce phénomène.

Nadjib Touaibia

Une embarcation de fortune, partie de Aïn El Turk à Oran, en juillet 2021. © Droits réservés

Les migrants clandestins algériens périssent par centaines en mer et leur nombre est en hausse constante. Selon l’ONG CIPIMD (Centre international pour l’identification de migrants disparus), basée à Malaga, en Andalousie, ils représentent « plus de 90 % » des disparus recensés en Espagne durant l’année 2021. Sur les 487 migrants qui ont perdu la vie dans le naufrage d’une cinquantaine d’embarcations, 413 d’entre eux étaient algériens. Les chiffres ont fait un bond par rapport à 2020, dépassant largement le bilan de 291 disparus embarqués sur une trentaine de rafiots.

L’année qui débute s’annonce encore plus dramatique. Pour le seul mois de janvier, « 7 à 8 embarcations ont disparu », indique l’ONG au quotidien algérien Liberté, seul média qui fait sa une sur cette triste actualité dans son édition du dimanche 13 février.

Tant qu’elles ne sont pas ­officiellement informées du sort tragique de leurs proches, les familles se consolent comme elles peuvent, entretiennent l’espoir d’un exil réussi. Un fil ténu, car dans bien des cas ce sont les difficultés d’identi­fication qui retardent la nouvelle foudroyante. « Nous avons pu rapatrier quatre corps de jeunes de la région de Seddouk  (Béjaïa) en novembre dernier », rapporte Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). « Certains corps sont en décomposition avancée. Il est donc difficile, voire impossible de les identifier de visu. Il faut des tests ADN. Mais cela peut prendre énormément de temps, parce que seules les autorités judiciaires peuvent le faire », précise-t-il.

« Les chiffres ne reflètent pas la réalité »

L’avocat algérien Kouceila Zerguine, qui se présente comme défenseur des droits de l’homme, est en lien avec l’ONG CIPIMD pour le transfert des ­informations recueillies auprès de familles. « Les chiffres ne reflètent pas la réalité, car on ne parle pas des disparitions dans des conditions indéterminées ni des exécutions sommaires, des faits courants dans le parcours migratoire, partout dans le monde », dit-il à l’Humanité.

Le nombre d’harraga – ces jeunes que l’absence de perspectives pousse à fuir le pays – interpellés et déférés devant les tribunaux pour une double peine est bien connu en revanche. Les autorités prennent soin de commu­niquer à ce sujet pour tenter de freiner cette vague montante. « C’est un sujet qui fâche car il dessert l’image de l’Algérie, va à l’encontre du discours officiel prônant stabilité et prospérité », commente Kouceila Zerguine. À l’écoute permanente des familles, il confirme une explosion du phénomène. « Cette plaie prend racine dans le mal-être de la jeunesse, souligne-t-il. Ce n’est pas seulement le chômage qui pousse les jeunes à prendre ce risque. C’est aussi, et surtout, l’absence de vie culturelle, la médiocrité des systèmes de santé, d’éducation, d’administration. Cette nouvelle génération ne veut pas vivre dans les mêmes conditions que ses parents. Elle est dans son droit d’aller voir ailleurs. »

Les harraga avaient suspendu leurs projets le temps d’un hirak porteur de promesses d’une « Algérie nouvelle ». Cette étincelle éteinte, ils renouent avec le risque de prendre le large.

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