Le site des « Humanités » animé par Jean-Marc Adolphe propose une traduction de l’article de Timoféï Serguéïtsev écrit comme deuxième réponse aux accusations de crimes de guerre à Boutcha. — De deuxième réponse, parce que, la première, naturellement, a été de nier tout en bloc, de dire que, ces morts qu’on voyait, c’étaient des acteurs, qu’on les voyait bouger, que jamais la Russie n’avait touché à un civil, et de convoquer le conseil de sécurité de l’ONU (convocation refusée par les autres membres). Bref, toute la Russie ne parle de que de cette « provocation monstrueuse ». Elle en parle en dépit du bon sens, parce que, malheureusement, non, les morts ne se sont pas relevés, les femmes pendues et violées ne se sont pas dépendues, et les constatations sont claires. Il s’agit bien d’un massacre délibéré, et poursuivi pendant toute l’occupation de la ville. — Et les Ukrainiens possèdent aujourd’hui la liste des unités russes présentes à Boutcha, avec les noms et les grades des officiers et, sans doute, de tous les soldats. Et donc, le travail des autorités ukrainiennes est, aujourd’hui, entre autres, de faire des enquêtes de police, d’établir les faits, — crime après crime, et il y en a des centaines. On parlait de 300 morts, mais nous en sommes aujourd’hui à au moins 410, et il y en a sans doute plus.Mais ce premier mouvement de dénégation a, de toute façon, été rendu inutile par une deuxième réponse aux accusations internationales : la publication par RIA-Novosti, agence de presse officielle, d’un long article d’un nommé Timoféï Serguéïtsev, article que le site des Humanités, de Jean-Marc Adolphe, propose de lire en intégralité. Et là, les choses sont parfaitement claires : il s’agit d’un manifeste qui explique que, dès lors que les Ukrainiens, finalement dans leur ensemble, sont des nazis, eh bien, pour les dénazifier, il faut d’abord éliminer leurs élites, et peut-être même les éliminer complètement, pour autant qu’ils veuillent s’obstiner à ne pas vouloir disparaître dans la Russie. Et que ce processus prendra vingt-cinq ans. — Vous verrez les détails, mais c’est exactement ce que disait Poutine à la veille l’entrée en guerre : l’Ukraine n’existe pas, donc les Ukrainiens doivent disparaître, soit ils deviennent russes (mais sans jamais avoir une position autre que celle d’employés obéissants), soit ils doivent disparaître, eux aussi. C’est écrit, quasiment noir sur blanc. Et c’était dit.Et donc, d’un côté, pour sa propre population, pour la télé, on nie les massacres, et, de l’autre côté, on les justifie — le même jour. Et, en disant combattre « les nazis », on emploie la langue du troisième Reich à propos de la population non-juive de la Pologne ou de l’Urss : destruction des élites, interdiction de toute marque distinctive, emploi comme esclaves. — Non-juive, puisque tous les Juifs, eux, étaient condamnés à mort en tant qu’ils étaient nés.Et donc, la Russie, pays vainqueur de la guerre contre Hitler, reprend aujourd’hui, officiellement, le vocabulaire et la posture de celui-là même qu’elle prétend combattre en Ukraine. Il y a là un saut que j’appellerai ontologique. Quelque chose d’absolument irréparable.*Parce que, que signifient ces massacres ? — Des commentateurs russes en exil faisaient remarquer que ces massacres n’avaient pas lieu dans les régions du sud (à Mélitopol ou Kherson), parce que les Russes voulaient y créer une république sécessionniste à l’exemple de celles de Donetsk et de Lougansk. Ils avaient lieu dans des villes que l’armée russe abandonnaient, après la première phase de sa défaite — au moment où il était clair qu’elle devait battre en retraite et se concentrer seulement sur l’est du pays. Mais si les Russes s’enfuient de Berdyansk et de Kherson, ils peuvent faire la même chose, là-bas aussi, parce qu’il n’est plus question, dans les faits, d’aucun référendum, d’aucune république du Chersonnèse. — Ces massacres sont aussi une preuve de la fuite en avant de Poutine. Ils sont comme un pacte de sang : dorénavant, quelle paix possible ? quel pardon ? évidemment aucun. La guerre ne s’achèvera, d’une façon ou d’une autre, qu’au moment où les coupables de ces actes se retrouveront devant les tribunaux internationaux, et, ça, ça implique un effondrement total de la Russie, voire une occupation militaire de la Russie, ce qui paraît impossible — et, en tout cas, n’est certainement pas un objectif de l’Ukraine. Cette guerre ne s’achèvera que par la chute du régime, en Russie même, et au moment où le nouveau régime — à supposer qu’il arrive — accepte de livrer les criminels qui ont fait ça.*Parce qu’il n’y a pas que Boutcha, bien sûr. Il est certain que, ce genre de massacres, l’armée russe en a commis dans d’autres lieux, un peu partout — et, comme je le disais il y a déjà deux semaines, — on ne compte pas les viols, par exemple. Ces viols, au contraire, ont l’air d’être systématiques : les Russes se comportent comme des soudards. Ils pillent tout (et là encore, les services postaux de Biélorussie, piratés par des dissidents, livrent les noms et les images des maraudeurs envoyant chez eux les télés, les jouets d’enfants ou Dieu sait quoi qu’ils ont volés dans les maisons ukrainiennes). Ils pillent tout et, si les gens résistent, ils tuent. Et ils ne comprennent pas qu’avec les moyens modernes, très vite, ce ne sont pas seulement leurs unités que connaissent les autorités ukrainiennes, mais les noms de chacun de ces criminels.*Ils se croient intouchables à cause du nombre des crimes. Ils ne le sont pas.Ils ne le sont pas, d’abord, parce que, sur le terrain même, malgré les ordres de Poutine de lancer une grande offensive qui permettrait de prendre Kharkov pour le 9 mai, l’armée ne paraît pas capable de le faire. — Il y aura, sans doute, aujourd’hui ou dans les jours qui viennent, un effort énorme, qui ressemblera peut-être à l’offensive allemande des Ardennes, dans le nord-est. Mais, au sud, hier, l’armée ukrainienne a atteint la mer d’Azov, et a donc coupé l’armée d’occupation en deux. Pour l’instant, ni Berdyansk ni Kherson ne sont, je crois, libérées, mais il n’est plus question de créer une « république du Chersonnèse ». Il est question, pour cette armée supposée si puissante, de ne pas se faire encercler au sud, c’est-à-dire d’éviter un désastre militaire total.Sur le plan économique, le désastre sera plus long à venir, évidemment. Il s’agira de quelques mois (ce qui, toute proportion gardée, est très rapide). Et là, le guerre agira pour Poutine comme un miroir : d’un côté, le racisme nationaliste et la férocité impitoyable du fascisme ; de l’autre, une corruption tellement énorme qu’elle détruit l’appareil même de cette dictature ; enfin, un régime incapable de produire quoi que ce soit sinon de vivre des ressources naturelles d’un pays qu’il va laisser exsangue. Exsangue et couvert d’une honte que ne pourra laver qu’un, ou plusieurs, Nüremberg. Et vivement, vivement, oui, vivement qu’on le juge, ce régime. Et tous ses assassins, — ceux qui ont possèdent des dévidoirs-wc en or massif, et ceux qui, sur le terrain, torturent, violent et massacrent. Ce jour, nous en sommes loin encore, mais, réellement, je crois que nous n’en avons jamais été aussi proches. C’est la Russie qu’il faut dénazifier.

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