Par Hortense de Montalivet

POLITIQUE – Étoiles jaunes, des seringues qui forment des croix gammées et une question perverse qui revient “Qui?”. Un pronom d’apparence innocente qui cible en réalité “les juifs” et les accuse de bénéficier de la crise sanitaire. Dernièrement, dans les manifestations anti-pass sanitaire qui ont lieu chaque samedi en France depuis plusieurs semaines, un regain d’antisémitisme s’exprime. Avec une nouveauté: sa visibilité.

Samedi 7 août à Metz, une jeune femme –ex-membre du Front national et ancienne élue locale- brandit au milieu du cortège une immense pancarte. On peut y lire un “Qui?” orné de cornes de diable. Autour, les noms de membres du gouvernement et de personnalités supposés juifs. Personne ne semble s’écarter d’elle et sous l’œil du photographe, cette enseignante ne sourcille pas. 

D’où vient-il cet antisémitisme et quelles sont ses spécificités? Le sociologue Michel Wieviorka, auteur d’un récent ouvrage publié cette année et intitulé “Racisme, antisémitisme, antiracisme: apologie pour la recherche” (Éditions La Boite à Pandore) l’analyse pour Le HuffPost et nous explique comment le combattre.

Un antisémitisme ancien

Pour le sociologue de 75 ans, petit-fils de déportés à Auschwitz, cette expression de l’antisémitisme n’est pas celle que l’on retrouve dans le monde arabo-musulman, liée à la question israélo-palestinienne. L’antisémitisme des manifestations anti-pass sanitaire est “celui de l’extrême droite”, explique Michel Wieviorka. Un antisémitisme ancestral, ”à l’épaisseur historique énorme”, ajoute le spécialiste, que l’on retrouve régulièrement selon les contextes historiques.

La crise sanitaire -comme souvent dans l’histoire des crises- est un terreau propice à l’expression de cet antisémitisme. Pour celui qui se raconte comme l’observateur des malheurs de ce monde, “du Moyen-Âge au Covid, les juifs sont des boucs émissaires traditionnels, si je puis dire. Rappelez-vous, on les accusait d’empoisonner les puits”. Dans ces manifestations où les théories du complot embrument l’esprit de certains manifestants, cet antisémitisme archaïque resurgit.

Un antisémitisme contradictoire

Il ressuscite, mais ses traits évoluent. Par rapport à la simple désignation habituelle d’un nouvel ennemi commun, cette expression actuelle de l’antisémitisme est plus alambiquée. Michel Wieviorka s’explique: “Dans ces manifestations, Macron [et les autres membres du gouvernement, ndlr] est à la fois désigné comme l’Hitler et le juif: il est celui qui a travaillé pour la haute finance, qu’on désigne comme affilié aux Rothschild…On le dénonce pour ça. Et en même temps, il est celui qui a les mêmes comportements que ceux qui s’en sont pris aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale”.

En résumé, dans ces manifestations, on peut aussi bien voir une pancarte suggérant un complot juif qui vient d’en haut que des étoiles jaunes et des croix gammées dénonçant la “dictature nazitaire”.

Un antisémitisme décomplexé

“La grande nouveauté”, insiste Michel Wieviorka, également auteur de L’Antisémitisme expliqué aux jeunes (Éditions Le Seuil) publié en 2014, “c’est sa visibilité”. Pour l’expliquer, l’ancien président de l’Association internationale de sociologie s’en réfère aux expressions d’antisémitisme que l’on avait pu observer au moment des manifestations des Gilets jaunes. “C’était des épisodes annexes, en marge, plutôt relativement distinct du message porté par l’ensemble du mouvement”. Dans ces manifestations anti-pass sanitaire, le sociologue remarque que l’antisémitisme s’insère de façon décomplexée au sein même de la foule et que personne ne cherche à s’en écarter ou à le dénoncer.

C’est bien là le danger le plus préoccupant de ce regain décrypte ce sociologue. Sans refus clair et net de la part de chaque manifestant et de ceux qui exhortent la foule de ce type d’expression au sein des cortèges, il est à craindre que sa présence se renforcera. “Il ne faut en aucun cas avoir affaire avec cette haine, il faut être chirurgical dans sa façon de la dénoncer. Je dirais même que l’indifférence là-dessus est inacceptable”, conclut Michel Wieviorka.

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