Dans un rapport publié cette semaine dans un relatif anonymat, en raison notamment de la déferlante d’indignations suscitée (à juste titre) par les révélations des Forbidden Stories, Human Rights Watch n’y va pas par quatre chemins : le sort réservé aux Chagossiens par le Royaume-Uni et les États-Unis depuis près de soixante ans relève du « crime contre l’humanité ». En l’occurrence, l’ONG, qui s’est entretenue avec 57 personnes pour aboutir à cette conclusion, en identifie trois : « Le crime colonial de déplacement forcé, toujours en cours ; l’empêchement, par le Royaume-Uni, du retour sur sa terre natale ; et sa persécution, par le Royaume-Uni, fondé sur la race et l’origine ethnique ».

Le rapport de 106 pages intitulé «‘C’est là que le cauchemar a commencé’ : Déplacement forcé des Chagossiens par le Royaume-Uni et les États-Unis et persistance des crimes coloniaux » retrace le drame de ce peuple expulsé dans les années 1960 et 1970 des îles sur lesquelles il vivait depuis plusieurs générations. Il décrit, à la suite du juriste Philippe Sands, les manigances de Londres pour faire croire à la communauté internationale qu’il ne s’agissait que de « travailleurs saisonniers », puis pour éviter d’être condamné par les tribunaux internationaux. Il souligne la complicité de Washington, qui voulait vider cet archipel de ses habitants pour y installer l’une de ses plus grosses bases militaires outre-mer, sur l’île de Diego Garcia. Il soulève par ailleurs quelques détails scandaleux de cette spoliation à grande échelle : ainsi apprend-t-on que les États-Unis et le Royaume-Uni « ont payé des sommes considérables, y compris en nature, pour l’installation de la base américaine à Diego Garcia », que le Royaume-Uni « a indemnisé financièrement le gouvernement mauricien pour la perte du territoire des Chagos », ainsi que « les propriétaires de la plantation de noix de coco » dans laquelle travaillaient les Chagossiens ; mais que ces derniers, eux, n’ont reçu que des miettes – et encore, en échange d’un engagement à renoncer à leur droit au retour…

Cette enquête n’apprendra rien de nouveau à ceux qui connaissent cette histoire, mais elle a le mérite de mettre en lumière une réalité encore trop peu connue, de la contextualiser dans le temps long (« L’histoire des crimes coloniaux, y compris des crimes aussi récents que ceux commis contre les Chagossiens, est l’histoire de l’échec à les reconnaître – sans parler de les traiter – comme tels », affirme HRW), et surtout de mettre des mots sur l’une des injustices les plus flagrantes du XXe siècle.

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