L’AFRIQUE EN 2022. Koyo Kouoh, directrice du musée Zeitz Mocaa, au Cap, évoque les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur l’écosystème culturel du continent.

Propos recueillis par Roxana Azimi

La commissaire d’exposition Koyo Kouoh et le président français, Emmanuel Macron, au sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre 2021. LUDOVIC MARIN / AFP

Fondatrice en 2008 du centre d’art Raw Material Company, à Dakar, la commissaire d’exposition d’origine camerounaise Koyo Kouoh a pris en 2019 la direction du musée d’art contemporain Zeitz Mocaa, situé dans la ville sud-africaine du Cap. A ses yeux, la pandémie de Covid-19, qui a fragilisé tout l’écosystème culturel, a paradoxalement renforcé l’importance des institutions sur un continent ayant souvent privilégié les événements temporaires comme les biennales.

L’intérêt pour les artistes africains n’a d’ailleurs pas faibli, comme en témoigne le succès des foires comme 1-54 et AKAA, à Paris, qui ont pu passer entre les gouttes en 2021. L’art africain est surtout plus que jamais au cœur de l’actualité avec le processus de restitution qu’ont engagé quelques pays européens comme la France, la Belgique et l’Allemagne. Un mouvement qui n’est pas prêt de s’arrêter et sur lequel Koyo Kouoh n’a qu’un mot à dire : « Il faut rendre. »

Alors que l’Afrique du Sud semble se relever de la vague Omicron, comment le Zeitz Mocaa a-t-il vécu ces deux années de pandémie ?

C’était l’horreur et ça l’est toujours. Lorsque la pandémie a frappé, notre musée venait d’ouvrir ses portes depuis quelques mois et il sortait déjà d’une mini-crise de démarrage avant mon arrivée. C’était une vraie mise à l’épreuve. Mon souci fut avant tout de mettre à l’abri les collaborateurs et de sauvegarder les 53 emplois. J’étais choquée par la vague de licenciement dans les musées en Occident, surtout dans le monde anglo-saxon, qui est le plus impitoyable malgré les fonds de dotation importants dont ils bénéficient.

Le confinement en Afrique du Sud a été long et dur, les institutions ont été fermées pendant sept mois, le calendrier des projets a été entièrement revu. On a dû fermer à deux semaines de l’ouverture d’une exposition d’Alfredo Jaar [architecte, photographe et réalisateur chilien] sur le Rwanda et à un mois d’une rétrospective de Tracy Rose [artiste et photographe sud-africaine]. Il a fallu être très flexible, tout reporter. Mais nous, les Africains, sommes habitués à l’imprévu.

Nous avons perdu 90 % de nos recettes. Pour compenser, nous avons bénéficié des aides publiques du National Disaster Relief Fund [un fonds d’aide mis en place pour surmonter la pandémie], et les administrateurs aussi ont mis la main au portefeuille. Mais cela reste toujours compliqué, car le musée est encore en construction. Je n’ai pas le budget et le nombre d’employés qu’il faudrait pour faire tourner la machine.

Les Rencontres de Bamako et la Biennale de Dakar, qui devaient se tenir ces deux dernières années, ont été décalées à 2022. Certaines foires ont été annulées. Quelles répercussions ont ces reports pour les artistes ?

Les annulations de biennales sont mauvaises pour les villes comme pour les artistes, car il s’agit de moment de retrouvailles, d’échanges et d’effervescence. Mais même si je reconnais à ces grandes manifestations un attrait, une fonction de rassemblement et de structuration du secteur, je plaide avant tout pour le travail au quotidien. Parce qu’avec ou sans pandémie, entre deux biennales, que fait-on ?

L’Afrique a beaucoup misé sur l’événementiel, mais on ne peut pas s’en tenir qu’à cela. La crise sanitaire a montré l’importance des organisations qui se battent au quotidien, des gens qui se lèvent chaque matin pour l’art et la culture. A Dakar, par exemple, la scène artistique a organisé un rassemblement, le Parcours, en fin d’année, alors que la biennale a dû être reportée. Quand les événements disparaissent, ce sont les organisations culturelles qui restent.

Pour ce qui est du marché, les foires sont récentes en Afrique. Les collectionneurs vont depuis toujours, et encore maintenant, directement chez les artistes. La structuration du marché, avec le système occidental des foires et des galeries, est importante, mais il existe d’autres systèmes qui fonctionnent bel et bien.

Un nouveau musée doit voir le jour dans les palais royaux d’Abomey, au Bénin, tandis qu’un musée d’art moderne vient d’ouvrir dans une ancienne prison de Tanger, au Maroc. Que doit être une institution africaine au XXIe siècle ?

On est le produit de notre environnement, de notre culture. Un musée au Sénégal n’est pas identique à un musée au Kenya ou au Malawi. Au Zeitz Mocaa, j’ai pris beaucoup de temps pour réfléchir non pas à ce que le musée doit être, mais à ce qu’il ne doit pas être. Il ne faut pas reproduire l’activité curatoriale des trente dernières années.

La grande majorité des expositions sur l’Afrique ont été collectives, des réunions de quinze, vingt ou cinquante artistes qu’on mélangeait en espérant produire un récit lisible. J’ai moi-même participé à ce mouvement. En arrivant au Cap, il m’a semblé important d’aller au-delà de cette tendance. Au Zeitz Mocaa, j’ai décidé qu’on ne ferait presque que des expositions individuelles. La vraie compréhension passe par l’exploration des pratiques individuelles.

Quelques institutions françaises se sont engagées dans un nouveau mode de collaboration avec leurs partenaires africains, qui ne passe plus par une simple circulation des expositions ou des prêts d’œuvres mais par une coproduction. Sentez-vous un changement d’ère dans les relations entre les musées occidentaux et les institutions africaines ?

Il y a très peu de coopération muséale entre l’Afrique et l’Europe, encore moins dans le domaine de l’art contemporain. La France est vraiment la dernière de la classe en la matière, par rapport à l’Allemagne et aux pays scandinaves. Dans ma génération, les commissaires d’exposition originaires d’Afrique ont beaucoup travaillé en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Scandinavie. Peu en France, un pays qui n’a pas saisi l’ampleur du changement en marche depuis au moins dix ans sur ce terrain de la coopération.

Que pensez-vous de l’opération « Africa2020 » ?

Entre la France et l’Afrique, les relations sont compliquées depuis des siècles. Si une saison a été dédiée à l’Afrique en 2021, c’est qu’il n’y avait jamais eu une manifestation de cette ampleur, contrairement à d’autres pays européens qui ont regardé de plus près la création en Afrique. C’est un aveu de désintérêt. Mais je trouve généralement positif tout ce qui met l’Afrique en avant, d’autant que les collaborations enrichissent.

Le travail du comité d’organisation a sorti les professionnels français d’une certaine torpeur par rapport à l’Afrique. Mais cela reste laborieux. Certains responsables d’institutions ne viennent pas en Afrique avec le respect dont ils font preuve lorsqu’ils se rendent en Asie ou aux Etats-Unis.

La France a restitué en 2021 au Bénin des objets pillés durant la colonisation. D’autres pays promettent des restitutions d’objets au Nigeria. Quelles sont vos attentes ?

Il n’y a même pas de discussion à avoir : il faut rendre. Que les Africains décident de revendre, d’enterrer ou de montrer ces objets, ça ne regarde pas l’Occident. Une grande partie de notre héritage culturel nous a été enlevée pour être sacralisée dans des contextes qui ne lui conviennent pas. Ils sont décontextualisés et réinterprétés de manière souvent fausse.

On a dépossédé des peuples de ce qui constitue leur génie culturel, tout en leur niant toute humanité. C’est scandaleux et honteux. L’humanité se construit et se définit par la transmission de la parole et des objets. Quand on n’y a plus accès, il y a sorte de césure. Je me sens ainsi amputée de quelque chose que je ne connais pas.

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