Itzkia Siches a démissionné de la présidence de l’ordre des médecins , elle a pris la direction de la campagne de Gabriel Boric. Nous vous proposons ce portrait qui date de 2020 (NDLR)

iIzkia Siches, 34 ans, est depuis 2017 la première femme présidente de l’ordre des médecins du Chili. Engagée à gauche, elle critique ouvertement les mesures prises par le gouvernement du président Sebastián Piñera face à la pandémie de coronavirus.

Yasna Mussa

3 mai 2020 à 19h52

Santiago (Chili), correspondance.– Quelques semaines après le premier cas de Covid-19, début mars, Izkia Siches, la présidente de l’ordre des médecins, se trouvait au palais présidentiel, à l’invitation du chef d’État Sebastián Piñera.

À huis clos, la jeune responsable de l’organisation qui regroupe les médecins chiliens avait profité de l’occasion pour réclamer un confinement total dans la capitale du pays pour faire face en urgence à la crise sanitaire qui s’annonçait. Ce que refuse toujours le chef d’État. 

« À un moment, j’ai dû dire au président que je ne venais pas ici pour en retirer une photo à La Moneda [siège de la présidence chilienne – ndlr] mais pour lui proposer la collaboration des médecins du pays afin de réorienter certains points et en débloquer d’autres », explique la jeune femme à Mediapart.

Izkia Siches a imposé sa présence. Elle parle de manière directe et simple. Elle affiche une sérénité à toute épreuve. Elle communique avec habileté aussi bien sur les réseaux sociaux que face à une caméra. Cette médecin de 34 ans a critiqué ouvertement le gouvernement de Piñera et ses propositions sont souvent allées à l’encontre de celles du ministre de la santé, Jaime Mañalich.

Dans un climat de tension dû au mouvement social qui a commencé en octobre, la présidente de l’ordre des médecins a été la cible de menaces de mort et de viol, son compte personnel Instagram a été piraté. L’ordre des médecins a déposé plainte. Et les messages de soutien ont afflué de tous les secteurs politiques.

Izkia Siches. © Capture d’écran/Colegio de medico

Izkia Siches n’avait pas attendu la pandémie de Covid-19 pour faire parler d’elle. Elle avait fait sensation en novembre 2019 lors de la session de la commission parlementaire qui se penchait sur une possible mise en examen constitutionnelle de l’ancien ministre de l’intérieur, Andrés Chadwick.

Assise à côté de Jaime Mañalich, elle portait des lunettes de protection, une manière de protester contre l’effroyable bilan des semaines de protestations : plus de 200 personnes avaient été blessées aux yeux par les forces de l’ordre.

L’ordre des médecins a été l’une des organisations les plus actives durant le mouvement social, appelant à plusieurs reprises les autorités à cesser l’usage des balles en caoutchouc ou autre matériel anti-émeute. Siches a élevé la voix de nombreuses fois, s’érigeant en critique permanente du gouvernement. Mais c’est à l’occasion de la pandémie qu’elle s’est fait remarquer.

Depuis toujours, Izkia Siches dérange l’ordre établi. En 2017, elle est la première femme élue présidente de l’ordre des médecins, une organisation qu’elle avait elle-même qualifiée de conservatrice et qui a pour réputation d’être élitiste. Née à Arica, une ville du nord du Chili, elle a grandi dans une commune de la banlieue de Santiago et a commencé son engagement politique à l’université du Chili où elle a effectué ses études de médecine. Elle a notamment été militante des Jeunesses communistes.

« Les présidents ont toujours été des hommes blancs et majoritairement conservateurs. Je suis une femme de gauche, basanée, originaire d’Arica, à moitié aymara, aux yeux bridés, éduquée dans un collège sans prétention que personne ne connaît », expliquait-elle dans une interview au journal La Segunda après son élection.

Alors que le gouvernement chilien, déjà discrédité par sa gestion brutale du mouvement social des mois précédents, hésitait et hésite toujours sur la démarche à suivre face à l’épidémie, Siches est apparue comme la voix de la raison. Sur les réseaux sociaux, certains l’ont baptisée avec humour « nouvelle ministre chargée de la santé ».

« C’est un défi que je n’ai pas affronté seule, dit-elle à Mediapart. J’ai une équipe de conseillers qui me soutient. Je suis la figure visible, ce qui n’est pas toujours le rôle le plus facile. »

La période est compliquée après des mois de mobilisation sociale et un exécutif affaibli. D’où l’importance, explique-t-elle, de « collaborer avec le gouvernement à ce moment précis pour, par exemple, pouvoir expliquer aux mouvements sociaux ce que nous affrontons, l’importance des mesures de distanciation physique ou sociale pour que justement cela n’ait pas de conséquences pour les citoyens et pour ceux qui ont réclamé la dignité et des mesures [pendant les manifestations] ».

Les décisions gouvernementales ont été marquées par des polémiques. Dans le pays le plus touché d’Amérique du Sud, avec le pourcentage le plus élevé de personnes contaminées par rapport au nombre d’habitants, les autorités ont annoncé que le test coûterait quelque 26 euros, tout en écartant toute mesure de confinement. De leur côté, la grande majorité des pays de la région comme le Pérou ou l’Argentine ont confiné leurs habitants et proposent des tests gratuits.

Grâce à la présidente de l’ordre des médecins et aux réunions entre différents acteurs qu’elle a suscitées, le référendum qui devait approuver ou non une nouvelle Constitution, fixé normalement au 26 avril, a finalement été repoussé au 25 octobre. Siches a également tout fait pour avertir la population des risques de contamination lors de rassemblements.

« Indépendamment de la crise sociale et politique que nous avons vécue, il fallait que nous nous mettions d’accord, je crois que nous avons été bien compris. Les gens ont vu que même si je ne suis pas spécialement proche du gouvernement, j’ai pu travailler avec l’administration actuelle et j’espère qu’il fera de son mieux dans cette pandémie car c’est la seule façon pour que les citoyens aillent bien », souligne-t-elle.

Les relations entre le ministre de la santé et l’ordre des médecins ont toujours été tendues. En 2013, Mañalich a été sanctionné et exclu de l’ordre deux ans plus tard pour manquements à l’éthique, une décision annulée ensuite par la justice. Mañalich était directeur d’une clinique privée haut de gamme et déjà ministre de la santé lors de la première présidence de Sebastián Piñera, de 2010 à 2014.

Depuis le déclenchement du mouvement social, dont l’une des revendications est un système de santé accessible aux plus pauvres, il s’est tristement distingué par des propos provocateurs, comme lorsqu’il s’est exclamé à la télévision que « notre système de santé est l’un des meilleurs et les plus efficaces au monde ! »

«Ce que fait le gouvernement est l’antithèse de la santé publique»

Dans les manifestations, depuis octobre dernier, on a pu voir des banderoles brandies par les parents de patients morts après avoir attendu des heures à l’hôpital. Près de deux millions de personnes se trouvent sur les listes d’attente des services de santé publique, selon des données du ministère de la santé. Quelque 80 % sont dans l’attente d’une consultation avec un spécialiste, les autres d’une opération chirurgicale. Le temps d’attente moyen est de 13 mois pour les premiers, d’un an et quatre mois pour les seconds.

Ils pourraient évidemment choisir le système de santé privé, géré par ISAPRES, mais les mensualités des cotisations sont élevées et seul un pourcentage minime de la population y a accès. La presque totalité de la population (81 %) est affiliée au Fonds national de santé, le FONASA.

Devant les coûts très élevés des actes médicaux, une bonne partie de ceux qui souffrent de maladies graves ou dont les traitements sont trop chers ont recours à la solidarité, en organisant par exemple des loteries. Une sorte de Téléthon entre amis et proches pour guérir du cancer, payer une chirurgie ou une hospitalisation.

C’est dans ce contexte que la pandémie de coronavirus est arrivée. Pour Alexis Ahumada, chirurgien-dentiste et spécialiste en santé publique, le rôle des maires et de l’ordre des médecins a été décisif.

« Ils sont allés beaucoup plus loin que le gouvernement. Les politiques sanitaires de ce dernier se sont contentées d’être en réaction, c’est un modèle orienté vers la prise de décision personnelle, dans la mesure où ce sont les gens qui décident de rester ou non chez eux, au lieu de prendre des mesures correctes de santé publique, des mesures plus restrictives de caractère obligatoire », explique celui qui travaille dans le département de santé de la ville de Recoleta, dans la banlieue est de Santiago.

Face à l’augmentation des cas de Covid-19, le président Sebastián Piñera a décrété l’état de catastrophe et un couvre-feu nocturne, mais pour Izkia Siches, cela n’est pas suffisant. « Nous devons être humbles et affronter cette crise avec hauteur et unité, en reconnaissant les failles et en tentant d’y remédier », juge-t-elle.

Elle a été rejointe dans son appel à mettre en place un confinement total par des maires de toutes les tendances politiques. Mais le ministre Mañalich refuse toujours, lançant même au cours d’une interview : « Que se passera-t-il si le virus mute et devient, excusez-moi cette expression, une meilleure personne ? » Une intervention ridicule qui a fait le tour du monde.

Mais, quelques jours plus tard, le même ministre annonçait un confinement strict dans sept communes de la capitale, presque toutes situées dans les zones les plus riches de Santiago.

« Il me semble que ce que fait le gouvernement est l’antithèse de la santé publique », juge le docteur Ahumada. « Recoleta est quasiment isolée. La quarantaine obligatoire affecte presque toutes les communes voisines. Cela provoque beaucoup de crainte et d’incompréhension parmi la population. Dans cette commune, nous avons une proportion élevée d’adultes majeurs, mais aussi de migrants en condition de surpeuplement. Cela génère un sentiment d’incertitude au sein de la population car ce sont des mesures arbitraires et qui vont à l’encontre du concept de santé collective », poursuit-il.

Dans un pays où environ 326 324 femmes travaillent comme employées de maison et 2,5 millions de personnes occupent un emploi informel, décider de se confiner de son propre chef n’est pas une décision évidente. Le coût de la vie est élevé – le Chili est l’un des six pays les plus chers d’Amérique latine – et les citoyens ne peuvent pas compter sur un système social, comme en France par exemple, avec un chômage ou une activité partielle pris en charge par l’État. Pour nombre de salariés, ne pas travailler signifie ne pas pouvoir se nourrir. À lire aussi «Le mois de mars débarque» annonce ce graffiti dans les rues de Santiago. Au Chili, la révolte continue de gronder 9 mars 2020 Le mouvement social chilien prétexte à des violences sexuelles 8 mars 2020

Pour Alexis Ahumada, le rôle qu’Izkia Siches a tenu dans ce contexte a été crucial. « Son leadership a été fondamental dans cette pandémie. Avant les déclarations de la présidente de l’ordre des médecins, nous ne disposions pas de beaucoup de données. Désormais, il y a enfin une répartition par régions et des contraintes sur la transparence des données. Elle a élevé la voix et a été conseillée par un groupe important d’épidémiologistes et d’experts en santé publique qui ont été les porte-parole de ceux qui sont en première ligne. Par conséquent, elle a également permis qu’il y ait un accord sur le Covid-19, dans lequel ont été inclus d’autres acteurs, comme les universités ou les municipalités », explique le chirurgien-dentiste.

Cette vision est partagée par Rossana Castiglioni, professeure associée à l’École de sciences politiques de l’université Diego-Portales et spécialiste en politique sociale comparée en Amérique latine. Pour elle, il n’y avait aucune voix claire aux premiers jours de la crise : « Par exemple, les premières mesures qui ont été annoncées sont venues du ministre de l’éducation et non de celui de la santé. Le leadership du ministère de la santé s’est donc construit peu à peu. » 

La politiste juge que « la présidente de l’ordre des médecins a également évolué avec le temps ». « Elle a commencé avec une position d’ouverture, prête au dialogue en tentant de participer au processus, non pas pour la prise de décision mais plutôt pour une prise de parole par rapport à l’urgence. Le gouvernement lui a répondu en claquant la porte. De fait, selon des informations données par la presse, il y a eu une réunion à La Moneda à laquelle a participé la présidente de l’ordre des médecins et où la position du président Piñera a été de dire simplement que “la décision est prise par l’exécutif”, pas avec les acteurs non gouvernementaux. »

Izkia Siches est toujours aussi présente dans les médias. Son visage est à la une des journaux, sur les couvertures des magazines et elle passe régulièrement à la télévision. Entre son poste le matin à l’hôpital public San-Juan-de-Dios et sa vie comme présidente de l’ordre des médecins, elle s’interroge sur le sens de la crise actuelle.

« En tentant de relier ce qu’a été le mouvement social et cette pandémie, je pense que cela nous fait évidemment réfléchir sur le système sanitaire que nous voulons construire dans ce pays pour être préparés à ces pandémies et aux autres défis. C’est l’un des premiers sujets de préoccupation des citoyens, selon les enquêtes, et cette immense crise peut se transformer en une grande opportunité. »

Le Chili, avec 18 millions d’habitants, comptait, dimanche 3 mai, plus de 18 000 cas de Covid-19 et 247 morts. Le gouvernement refuse toujours de mettre en place le confinement national que réclament les autorités régionales et les acteurs sociaux.

Yasna Mussa

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