Visage aux traits tirés, lumière blafarde et cadrage approximatif : lorsque Ali Bongo Ondimba, le président gabonais déchu lors d’un coup d’État militaire le mardi 29 août, et maintenu depuis en résidence surveillée, s’exprime en anglais dans une vidéo pour appeler ses « amis » à « faire du bruit », le sentiment de déjà-vu est puissant. Souvenez-vous des images de l’ancien président de la Guinée, Alpha Condé : la mise en scène montrait un homme fatigué, habillé d’un jean et d’une chemise à fleurs chiffonnée, avachi dans un canapé et l’air hagard.

Les Guinéen⸱nes avaient célébré la chute de celui qui venait de rempiler pour un troisième mandat contesté, après avoir fait modifier la Constitution. À Libreville, le jour n’était pas encore levé quand les Gabonais⸱es sont également descendu⸱es dans la rue pour acclamer les militaires qui venaient, croyaient-ils, de mettre fin à cinquante-six ans de règne de la famille Bongo et du Parti démocratique gabonais (PDG), moins d’une heure après l’annonce de la victoire probablement frauduleuse d’Ali Bongo Ondimba par le Comité gabonais des élections (CGE).

Dans un message lu à la télévision, les militaires ont annoncé la mise en place d’un conseil de transition et la désignation du général Brice Clotaire Oligui Nguema, commandant de la garde républicaine, en tant que chef de l’État provisoire.

Voir la liesse des Gabonais⸱es, les entendre crier « Liberté !» et chanter d’une seule voix l’hymne national, « La Concorde », suscite forcément l’émoi. Qui ne serait pas étourdi par ce qui ressemble fort à la libération d’un peuple opprimé pendant presque six décennies et habité par un ardent désir d’alternance ? Mais, après la sortie du « coma démocratique », pour citer Marc Ona Essangui, le président du collectif Tournons la page et infatigable militant gabonais qui s’est exprimé sur RFI le 30 août, le « réveil républicain » pourrait, lui, ressembler à une gueule de bois.

En Guinée, deux ans après le putsch, la junte militaire, dirigée par Mamadi Doumbouya, dont les portraits façon dictature nord-coréenne sont apparus dans les rues de Conakry, n’a toujours pas rendu les rênes du pouvoir aux civils. L’Histoire s’écrit sous nos yeux et il est sûrement trop tôt pour connaître les réelles intentions des putschistes.

Mais, comme le relève le chercheur Roland Marchal dans Le Point Afrique, quelques signes déjà perceptibles permettent de douter des intentions républicaines d’Oligui Nguema : « Dans son discours, [il] n’a pas mentionné de durée de transition ; il n’a pas affirmé vouloir quitter le pouvoir après l’organisation d’élections libres et surveillées par l’Union africaine et la communauté internationale ; il n’a pas annoncé la mise en place d’une commission de récupération des biens volés ni affirmé que l’argent retrouvé irait au Trésor public… »

La plateforme d’opposition gabonaise, Alternance 2023, qui revendique la victoire de son candidat Albert Ondo Ossa lors du scrutin du 26 août, ne s’y est pas trompée. Lors d’un point presse, le 30 août, l’un de ses porte-paroles a salué le « courage » et le « patriotisme » de l’armée « républicaine », mais il a aussi appelé à un dialogue pour « trouver la meilleure solution », et demandé à « s’épargner l’isolement international » et « éviter les sanctions » internationales. Ondo Ossa, interrogé par TV5 Monde, parle quant à lui d’une « révolution de palais », accusant Pascaline Bongo, la sœur d’Ali, d’être derrière ce coup. Il rappelle, à juste titre, la filiation d’Oligui Nguema avec les Bongo, qui est un cousin d’Ali. Sûr de sa victoire, le leader de l’opposition demande également au CGE de recompter les voix et de prononcer à nouveau les résultats de l’élection du 26 août. Reste à savoir si cette option est inscrite dans l’agenda des putschistes.

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