Raja Salamé, le frère cadet du grand argentier libanais, a été arrêté et inculpé pour complicité d’actes d’enrichissement illicite. Il est soupçonné de l’avoir aidé à détourner de l’argent de la banque centrale pour se constituer un luxueux patrimoine immobilier à Paris.

Par Hélène Sallon(Beyrouth, correspondante)

Au palais de justice de Baabda, au Liban, Raja Salamé, 61 ans, a été inculpé de « complicité d’actes d’enrichissement illicite » et « blanchiment d’argent » dans le cadre de l’acquisition par l’entourage de son frère Riad Salamé, gouverneur de la banque centrale du pays, de biens immobiliers à Paris, le 17 mars.
Au palais de justice de Baabda, au Liban, Raja Salamé, 61 ans, a été inculpé de « complicité d’actes d’enrichissement illicite » et « blanchiment d’argent » dans le cadre de l’acquisition par l’entourage de son frère Riad Salamé, gouverneur de la banque centrale du pays, de biens immobiliers à Paris, le 17 mars. AHMAD AL-KERDI / REUTERS

Au Liban, l’affaire Salamé, du nom du gouverneur de la banque centrale (BDL), Riad Salamé, soupçonné de détournement de fonds, vient de connaître un rebondissement inattendu. Jeudi 17 mars, son frère cadet, Raja Salamé, a été arrêté pour « complicité d’actes d’enrichissement illicite » et « blanchiment d’argent » dans le cadre de l’acquisition par l’entourage de Riad Salamé de biens immobiliers à Paris, a appris Le Monde.

A l’issue d’un interrogatoire au palais de justice de Baabda, la juge Ghada Aoun, procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, a inculpé l’homme d’affaires libanais, âgé de 61 ans. Il a été placé en détention et son dossier confié à un juge d’instruction. Le gouverneur de la BDL devrait être convoqué à son tour lundi par la juge Aoun, précise une source judiciaire.

Une affaire tentaculaire

Raja Salamé est un personnage central de l’affaire tentaculaire dans laquelle son frère Riad est mis en cause. A 71 ans, l’indéboulonnable gouverneur de la BDL, en poste depuis 1993, est considéré par les Libanais comme l’un des principaux responsables de la faillite de l’Etat. Ses « ingénieries financières » ont permis de dissimuler l’insolvabilité de l’Etat, tout en offrant aux banques et à leurs actionnaires de juteux profits jusqu’à ce que le système s’effondre. A la tête d’un patrimoine estimé à plusieurs centaines de millions d’euros, Riad Salamé fait l’objet d’enquêtes au Liban et dans cinq pays européens, dont la France et la Suisse, pour soupçons de « détournement de fonds » et de « blanchiment d’argent ».

L’enquête suisse a notamment révélé l’existence d’un contrat de courtage entre la BDL et la société Forry Associates LTD, détenue par Raja Salamé. Les magistrats helvètes soupçonnent que cet arrangement ait permis de détourner plus de 330 millions de dollars de commissions sur la vente de titres financiers de la BDL entre 2002 et 2015. A la suite d’une demande d’entraide judiciaire émanant de la Suisse, une enquête a été ouverte au Liban et confiée au procureur adjoint à la Cour de cassation, le juge Jean Tannous.

La juge Ghada Aoun a, de son côté, ouvert une enquête, constituée de plusieurs volets, à la suite d’une plainte déposée par le collectif d’avocats Le Peuple veut la réforme du système, qui accuse notamment le gouverneur de la BDL de « détournement de fonds, enrichissement illicite et blanchiment d’argent ». Elle a prononcé, en janvier, une interdiction de voyager et un gel des avoirs à l’encontre de M. Salamé.

Volet parisien

L’un des volets de son enquête porte sur les biens immobiliers détenus par son entourage à Paris. Ce patrimoine est déjà au cœur de l’information judiciaire ouverte, en juillet 2021, par la justice française contre « X pour des chefs de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs ». En octobre, des perquisitions avaient été menées dans le centre de secours de la BDL, installé dans des locaux sis au 66, avenue des Champs-Elysées. Selon des documents dévoilés par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour (OLJ), la BDL a signé un contrat de prestations de services – de plus de 37 000 euros mensuels – en septembre 2010 pour ces locaux avec la société Eciffice, dirigée par Anna Kosakova, une Ukrainienne avec laquelle Riad Salamé a eu une fille hors mariage.

La majorité des loyers ont été transférés par Eciffice au propriétaire des bureaux, la société SCI ZEL. Selon le quotidien suisse Le Temps, cette société de gestion immobilière avait acquis les bureaux des Champs-Elysées entre 2010 et 2014, pour un montant de 8,7 millions d’euros. La société était alors dirigée par Raja Salamé, qui a cédé la gérance et ses parts en 2015 à Mme Kosakova. La SCI ZEL possède aussi l’appartement avenue Georges-Mandel où est domiciliée Anna Kosakova, acheté en 2007 pour 2,4 millions d’euros. L’appartement a été financé à hauteur de 900 000 euros sur les fonds propres de Raja Salamé.

L’essentiel des fonds de la SCI ZEL provient d’une société de gestion de patrimoine, BET SA, créée en 2007 au Luxembourg et dirigée par Mme Kosakova. Selon les statuts de l’entreprise, dont l’OLJ a pris connaissance, le capital initial de BET SA a été constitué par la société luxembourgeoise Procedia SARL, gérée par Gabriel Jean, l’administrateur de Stockwell, une société luxembourgeoise détenue par le gouverneur.

« Riad Salamé bénéficie d’un réseau de protection politique tentaculaire. C’est l’homme qui en sait trop sur le système et qui, s’il devait tomber, entraînerait beaucoup de monde dans sa chute. » Karim Emile Bitar, politologue

Riad Salamé devrait être convoqué lundi pour une confrontation sur ce dossier, et pourrait être à son tour inculpé. Dans toutes les enquêtes qui le visent, qu’il décrit comme le fruit d’une campagne médiatique visant à ternir son image, le gouverneur maintient une même ligne de défense. Il affirme que sa fortune a été constituée avant son arrivée à la BDL, durant sa carrière de banquier d’affaires à Merrill Lynch, et qu’il l’a fait fructifier par des investissements qui ne contreviennent pas aux obligations liées à ses fonctions.

Refus de comparaître

Il s’est jusqu’à présent refusé à comparaître devant la juge Ghada Aoun, qu’il accuse d’être politiquement motivée du fait de ses affinités connues avec le camp du président chrétien Michel Aoun, qui réclame sa destitution. Le mandat d’amener que la juge Aoun a émis à son encontre, mi-février, n’a pas été mis à exécution. « Riad Salamé bénéficie d’un réseau de protection politique tentaculaire. C’est l’homme qui en sait trop sur le système et qui, s’il devait tomber, entraînerait beaucoup de monde dans sa chute », explique le politologue Karim Emile Bitar, selon qui le maintien de M. Salamé au poste de gouverneur « pose un problème de crédibilité et de confiance dans le système financier ».

L’avancée des enquêtes au Liban et en Europe fragilise la position du grand argentier libanais, qui participe également aux négociations avec le Fonds monétaire international en vue de l’octroi d’un prêt au pays du Cèdre. « On n’en est plus au stade de la suspicion, souligne l’avocat fiscaliste Karim Daher. Des instructions sont ouvertes en Suisse, en France et au Liban. Toutes ces affaires mettent au jour un certain nombre d’activités et de procédés qui, tout au moins, renseignent que le gouverneur et son cercle proche ont été parties prenantes à des transactions nouées entre eux et la banque centrale. »

Hélène Sallon(Beyrouth, correspondante)

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