Dans un pays marqué par deux années de crise sanitaire et qui subit une grave sécheresse, la tension sociale est montée d’un cran.

Par Aurélie Collas(Casablanca, correspondance)

Lors d’une manifestation contre la hausse des prix, à Rabat, le 20 février 2020. STR / AFP

Des scènes de chaos dans un souk, provoquées par le prix des tomates ; des manifestations, des menaces de grève et un hashtag sur les réseaux sociaux qui appelle à la démission du premier ministre. Au Maroc, le gouvernement fait face à une colère populaire provoquée par la hausse des prix des produits de première nécessité et des hydrocarbures, sur fond d’envolée des cours mondiaux. Dans un pays marqué par deux années de crise sanitaire liée au Covid-19 et qui subit une grave sécheresse, la tension sociale est montée d’un cran.

Le 13 février, la Confédération démocratique du travail (CDT, l’une des trois centrales syndicales les plus représentatives) organisait des sit-in dans plusieurs villes du pays. Une semaine plus tard, le 20 février, des manifestations avaient lieu à Casablanca, Rabat et Tanger à l’appel du Front social, héritier du Mouvement du 20-février né au moment des printemps arabes, en 2011. La mobilisation, qui visait aussi à commémorer ce mouvement,« s’est étendue à une cinquantaine de villes », rapporte Mounaim Ouhti, membre du comité de suivi du Front social, qui regroupe syndicats, partis de gauche et associations. « Nous avons fait passer un message : certes, le Maroc n’échappe pas au contexte international, mais pourquoi serait-ce aux citoyens d’en subir les effets ? L’Etat doit agir pour préserver le pouvoir d’achat des ménages. »

Le même jour, près de Kénitra, au nord de Rabat, des « accrochages » se sont produits dans un souk hebdomadaire à cause des prix abusifs de certains produits, selon l’agence de presse marocaine MAP. « Un distributeur vendait des tomates 70 dirhams [6,50 euros] la caisse. Lorsqu’il a remarqué qu’il était le seul à en vendre, il a augmenté son prix à 100 dirhams », rapporte Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur. Selon lui, ces pratiques de spéculation sont fréquentes, en raison de la multiplication des intermédiaires entre producteurs et consommateurs. « Dans la conjoncture actuelle, elles viennent renforcer l’inflation causée par la flambée des prix mondiaux des denrées alimentaires », précise-t-il.

Insécurité alimentaire

Céréales, sucre, huiles, légumes, café, thé… « Les prix grimpent depuis l’été 2021 et c’est un raz-de-marée depuis le début de l’année : tous les produits sont concernés, poursuit M. Kherrati. Le pire, ce sont les prix des carburants : à partir du moment où ils flambent, tout augmente derrière. » Selon le Haut-Commissariat au plan, l’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 3,1 % en janvier comparé au même mois de l’année précédente.

Cette inflation met à mal le budget modeste, parfois dérisoire, de milliers de ménages marocains qui peinent à joindre les deux bouts, contraints par des dépenses incompressibles liées au logement, à la santé, à l’éducation, à l’énergie, au transport… « Auparavant, un ménage modeste pouvait faire son marché pour la semaine avec 200 dirhams. Aujourd’hui, avec la même somme, il ne tient qu’une journée et demie au plus », souligne M. Kherrati.

L’impact de cette conjoncture est d’autant plus fort qu’elle intervient après deux ans de pandémie marqués par de nombreuses restrictions. Au cours de cette période, le taux de chômage est passé de 10 % à 12 %. Dans un pays où le salaire minimum s’élève à 2 600 dirhams nets par mois (242 euros), l’insécurité alimentaire touche près du quart de la population, selon le rapport 2021 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Les foyers de contestation sont nombreux et le spectre d’un mouvement de protestation contre la vie chère, comme le Maroc en a déjà connu, présent dans les esprits. Après un silence remarqué dans les médias, le gouvernement a multiplié les déclarations ces derniers jours pour rappeler les efforts budgétaires consentis afin de limiter l’impact de la hausse des prix à l’échelle mondiale.

Premier round de dialogue social

Sa marge est limitée, car depuis la loi sur la liberté des prix promulguée en 2000, le Maroc a progressivement laissé le champ libre aux acteurs économiques pour jouer le jeu de la concurrence. Seuls quinze groupes de produits et services sont toujours réglementés (leur prix est encadré), dont trois restent subventionnés : le blé tendre, le sucre et le gaz butane. Mardi 22 février, le ministère de l’économie a assuré, par voie de communiqué, la poursuite des subventions octroyées à ces trois produits. Il a aussi rappelé que les droits de douane sur les importations de blé étaient suspendus depuis novembre, et ce jusqu’en avril.

De son côté, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a lancé jeudi un premier round de dialogue social, le premier de sa mandature, débutée en octobre 2021. Et des discussions ont été entamées avec les professionnels du transport routier qui, le 17 février, menaçaient d’une « grève nationale ». La CDT plaide pour une régulation du marché des hydrocarbures, dont « la libéralisation, il y a six ans, a permis aux trois distributeurs en situation de monopole de réaliser des bénéfices phénoménaux et illégitimes aux dépens des consommateurs », selon Abdennacer Naanaa, membre du conseil national du syndicat.

Vendredi, les perspectives étaient toutefois plus que moroses. Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné la chute des Bourses et la flambée des matières premières, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, a alerté sur un « important risque économique » pour le monde.

Aurélie Collas(Casablanca, correspondance)

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