Le 21 janvier 2017, un jeune exilé venu de Gambie se jette dans l’eau glaciale du Grand Canal de Venise et se noie sous le regard ébahi des touristes. Personne ne lui vient en aide. Certains l’insultent. Pateh Sabally avait 22 ans. Mais pourquoi avoir traversé le Sahara, puis la Méditerranée et enfin l’Italie, pour, finalement, se donner la mort dans l’une des villes les plus connues au monde ? Khalid Lyamlahy ne prétend pas pouvoir répondre à cette question. Hanté par ce drame, l’écrivain marocain s’est lancé sur les traces de ce réfugié parmi d’autres afin, sinon de comprendre son acte, d’en saisir la portée pour « désenclaver [son] histoire », dans le but de « l’ouvrir et la rattacher au monde ». « Pourquoi Venise ? Pour crier au monde ta blessure ou pour laisser une bulle de silence dans le vacarme ? », interroge-t-il. Avec talent, l’auteur tisse un lien invisible avec Pateh, une intimité posthume qu’il restitue dans un monologue poétique où s’entremêlent fiction et réalité, faits et pensées. Dédié « à la mémoire des Africains morts loin de leurs terres, ensevelis dans le silence et l’oubli », disparus dans « un silence macabre » et souvent réduits à « des chiffres enveloppés dans des couvertures de survie », Évocation d’un mémorial à Venise rappelle une évidence que nombre de dirigeants européens ont choisi d’ignorer : derrière les chiffres de la prétendue « invasion » se jouent des drames personnels qui nous concernent toutes et tous. « Avec les récits de réfugiés, on pourrait composer une sorte de dictionnaire de la défaite collective », écrit-il. À la lettre P, on trouverait le nom de Pateh. A lire : Khalid Lyamlahy, Évocation d’un mémorial à Venise, Présence africaine, 2023, 175 pages, 12 euros. |
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