L’historien Benjamin Stora, chargé par Emmanuel Macron de rendre un rapport, attendu pour janvier, sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, revient sur l’absence de volonté de De Gaulle d’examiner le passé douloureux de la colonisation et de la guerre après 1962.

Propos recueillis par Antoine Flandrin

Benjamin Stora, auteur d’Une mémoire algérienne (Robert Laffont, collection « Bouquins », 2020), explique que le manque d’égards du Général pour les trois groupes de mémoire touchés par l’issue de la guerre – pieds-noirs, harkis et officiers – a été ressenti comme une blessure qui est restée.

Quel rôle de Gaulle a-t-il joué dans la construction de la mémoire de la guerre d’Algérie ?

S’il fut le décideur principal du passage à l’indépendance de l’Algérie, il n’y a pas eu, après 1962, de volonté de sa part de s’attarder sur ce passé récent, ni de prêter une attention particulière aux trois groupes de mémoire touchés par l’issue de cette guerre : les pieds-noirs, dont il pensait qu’une partie d’entre eux resteraient en Algérie – il a été démenti sur ce point ; les harkis, dont il ne souhaitait pas le rapatriement ; et les appelés du contingent, soit 1,5 million de soldats. Ses deux principaux objectifs étaient de garder des liens (essentiellement économiques) avec l’Algérie indépendante et d’éviter les affrontements entre Français – alors que la France avait connu une guerre civile entre 1960 et 1962 avec les attentats de l’OAS, le putsch des généraux –, d’où trois lois d’amnistie votées en 1962, 1964 et 1968.

Pour ces trois groupes, ce manque d’égards a été très douloureux…

Attention, c’est plus compliqué pour les militaires : si la fin de la guerre a été mal vécue par les officiers, elle ne l’a pas été par les appelés du contingent, soulagés de retrouver leurs familles. L’immense masse de ces jeunes français s’est alors rangée derrière de Gaulle. Pour les officiers, les pieds-noirs et les harkis, l’issue de la guerre a été un terreau de l’antigaullisme qui s’est transmis de génération en génération. L’image d’un de Gaulle méprisant, qui a trahi, est restée.

Comment le mythe gaullien du décolonisateur s’est-il mis en place ?

C’est après coup que le général a utilisé de manière importante la question de l’indépendance de l’Algérie pour se forger une image de décolonisateur en direction des mondes en effervescence à l’époque : l’Afrique avec le discours de Dakar [1958]; l’Amérique latine avec le discours de Mexico [1964] ; l’Asie, avec le discours de Phnom Penh [1966] ; et l’Amérique du Nord, avec le fameux « Vive le Québec libre ! » [1967]. Avec ces discours, il se pose en partisan d’un tiers-monde qui se refuse à aller du côté des Américains ou des Soviétiques.

Votre rapport vise à proposer des pistes afin d’apaiser le contentieux. Ne fallait-il pas revenir sur l’action de De Gaulle ?

Si on revient sur son action, on rouvre une discussion sur son attitude, sur l’antigaullisme. J’ai cherché à dégager des pistes qui fassent consensus pour avancer et ne pas retomber dans les clivages classiques qui sont nés du passage à l’indépendance de l’Algérie. Il faut trouver des passerelles parce que l’Algérie est un pays important en Méditerranée et qu’il est nécessaire de bâtir avec lui des relations qui puissent permettre d’affronter les défis de l’avenir.

Le clivage central avec l’Algérie, c’est la question de la colonisation. Je ne pense pas qu’on puisse surmonter le fossé entre les imaginaires sur cette question. On ne peut éliminer ce passé, mais il faut trouver des points de convergence, où on peut se mettre d’accord sur des personnages de passage, et de Gaulle peut en être un. Mais il faut faire attention. Il est ambivalent : d’une part, il a conduit une guerre très dure contre les maquis algériens avec le plan Challe, en 1959 ; d’autre part, il a permis le passage à l’indépendance – il a risqué sa vie pour ça, c’est très important.

Antoine Flandrin

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