Bordeaux. « C’est une façon d’honorer leur courage » : un livre d’entretiens avec les parties civiles du procès Papon
Jean-François Meekel devant le palais de justice de Bordeaux, qui a accueilli le procès de Maurice Papon, d’octobre 1997 à avril 1998. © Crédit photo : S. L.

Par Serge Latapy

Publié le 06/01/2024 à 10h27.

Mis à jour le 06/01/2024 à 12h11.

  • Le journaliste Jean-François Meekel, qui a couvert l’affaire Papon, publie une série d’entretiens réalisés avec sept parties civiles de ce procès emblématique

Journaliste honoraire après avoir longtemps officié à France 3 Aquitaine, Jean-François Meekel a, dans les années 1990, couvert l’affaire devenue procès Maurice Papon. À Bordeaux, il a chroniqué de « bout en bout » ce procès hors norme de l’ex-secrétaire général de la préfecture de la Gironde, condamné par la cour d’assises le 2 avril 1998 à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l’humanité. Il publie aujourd’hui des entretiens (1) réalisés en marge du procès avec sept témoins clés (2).

Maurice Papon a Bordeaux, en 1997.

Maurice Papon a Bordeaux, en 1997.

Archives Michel Lacroix

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

Je couvrais le procès pour la télé, ce qui reste un peu frustrant. Avec ces témoins, que j’ai suivis pendant des années, s’étaient créés des liens assez fort. J’ai eu l’envie de « mettre en boîte » par écrit des entretiens, réalisés à l’issue du procès. L’idée était d’en contacter plus mais je m’en suis tenu à ces sept-là, qui vivaient en Gironde. Certains ont été publiés dans la revue « Le Passant ordinaire ». J’ai voulu les rassembler.

Tous les témoignages du procès sont dans le domaine public. Qu’est-ce que ces entretiens apportent ?

Au procès, ils racontent leur histoire, celle de leurs proches, leur souffrance. Là, il s’agit d’une sorte d’exercice réflexif, sur ce que leur a apporté le procès. Ils analysent, ils parlent de l’avant et de l’après. Après que leur parole a été entendue, leur souffrance reçue.

On s’aperçoit que tous ces témoins étaient liés, avec des personnalités différentes…

Ils étaient tous des émigrés venus d’Europe de l’Est, des juifs ashkénazes qui vivaient dans le vieux Mériadeck, à l’époque un quartier pauvre, mais dans une certaine fraternité. Michel Slitinsky était le feu follet, celui qui a porté l’affaire. Il a fait un travail de titan pour la recherche d’archives et de témoins. Le rôle de Maurice David Matisson, devenu psychothérapeute, a peut-être été de tenir les parties civiles pendant le procès. Leurs témoignages apportent beaucoup. Celui d’Esther Fogiel est bouleversant : elle avait sidéré le public.

Il y a aussi le témoignage inédit d’une jurée du procès…

Celui-là date de quelques mois. C’est par hasard que je l’ai rencontrée. Cet entretien est important, il vient éclairer ce que m’ont dit les parties civiles vingt-cinq ans plus tôt. Elle raconte son trac, elle dit qu’il lui a fallu « se hisser à la hauteur de l’événement », son sentiment d’être le réceptacle d’une parole presque sacrée.

Comment les parties civiles ont-elles accueilli le verdict ?

Certains disaient que Papon aurait dû prendre perpétuité, d’autres savaient qu’il ne resterait pas longtemps en prison – ce qui s’est passé. Ce qui leur importait était que le procès a eu lieu et qu’on reconnaisse la responsabilité de l’État français. Et aussi leur propre parcours, leur souffrance. Qu’ils puissent le dire à la face de la nation, que ce soit entendu.

Le dernier de ces témoins est mort en 2020…

Je voulais que ces paroles restent. C’est une forme de respect pour ces gens. Une façon d’honorer leur mémoire et leur courage. Personne ne voulait de ce procès et c’est leur détermination qui a fait qu’il a eu lieu.

Dans le palais de justice de Bordeaux, après le verdict.
Dans le palais de justice de Bordeaux, après le verdict.
Archives Claude Petit

(1) « Procès Papon, témoignages des parties civiles ». Les Dossiers d’Aquitaine, 15 euros.

(2) Juliette Drai-Benzazon, Éliane Dommange, Esther Fogiel, Claude Léon, Maurice David Matisson, René Panaras, Michel Slitinsky.

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