C’est une première. L’entreprise Transports Veynat a été condamnée jeudi pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger ses salariées. Deux cadres ont aussi été condamnés pour harcèlement sexuel, et deux autres seront jugés pour « agression sexuelle ».

Dan Israel

26 janvier 2024 à 19h46

UneUne décision inédite et une avancée certaine dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail. La société Veynat, géant du transport de liquides alimentaires, installée en périphérie de Bordeaux (Gironde), a été condamnée le 25 janvier par le tribunal correctionnel de Bordeaux à 50 000 euros d’amende pour blessures involontaires, parce qu’elle n’avait pas pris les mesures adéquates pour assurer la sécurité de ses salariées victimes de harcèlement sexuel.

Deux cadres ont été condamnés à 18 et 8 mois de prison avec sursis, pour harcèlement sexuel aggravé envers plusieurs femmes de l’entreprise. Deux autres cadres devront être soumis à une expertise psychiatrique, avant d’être jugés pour « agression sexuelle » sur deux salariées. Le PDG de Veynat a quant à lui été relaxé, le tribunal ayant jugé que les faits ne pouvaient pas lui être imputés personnellement.

Mediapart avait détaillé l’affaire il y a deux mois. C’est une salariée, Laurène Maury, qui avait déclenché la procédure judiciaire, en témoignant devant l’inspection du travail après avoir claqué la porte à l’automne 2021. Elle avait dévoilé une ambiance hypersexualisée, où les avances sexuelles et les remarques dégradantes étaient courantes, de la part de plusieurs cadres haut placés.

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Des camions de la société Transports Veynat. © Capture d’écran / Compte Instagram des Transports Veynat

Après avoir dénoncé le harcèlement dont elle était la cible auprès de la direction, elle n’avait été ni entendue ni protégée. « Les cadres que j’ai dénoncés ont su que j’avais parlé, et très vite, je suis devenue une pestiférée, on disait de moi que j’étais une salope », avait-elle décrit à Mediapart. La situation a abouti à une tentative de suicide, puis à une hospitalisation de trois mois, accompagnée d’une nécessité de prendre des médicaments.

Fait très rare : au terme d’une longue enquête, la Sécurité sociale a qualifié son arrêt de travail de maladie professionnelle. Et le 25 janvier, les juges ont considéré que l’entreprise était responsable de la dépression et de la tentative de suicide de la salariée.

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L’enquête conjointe de l’administration et de la gendarmerie, déclenchée par le témoignage de Laurène Maury, avait confirmé ses propos en tous points. Plusieurs salariées ont évoqué devant les enquêteurs une « ambiance masculine, machiste », des « comportements très irrespectueux », des propositions sexuelles répétées, et ont confié qu’elles surveillaient leur manière de s’habiller pour s’éviter trop de remarques.

Plusieurs des collègues de Laurène Maury ont témoigné qu’elle était la cible de commentaires réguliers portant sur la longueur de ses jupes, sur sa culotte ou sur sa supposée légèreté amoureuse. Elle recevait aussi régulièrement des SMS, des messages instantanés et des courriels à connotation sexuelle plus ou moins explicite.

L’entreprise a fait appel

Le procès s’est tenu le 23 novembre. Seule Laurène Maury s’était portée partie civile. « Après l’audience, et même si la procureure avait été plutôt rassurante, je m’étais préparée à ce que l’entreprise ne soit pas condamnée. Je sais que les dirigeants de l’entreprise étaient partis confiants pour entendre la décision au tribunal jeudi, et cela m’avait déstabilisée. Les condamnations m’ont donc étonnée, mais j’en suis très contente et soulagée », déclare la jeune femme à Mediapart.

Elle confie avoir été impressionnée par la présence, à l’audience de novembre, de la prestigieuse avocate pénaliste Jacqueline Laffont, qui défendait l’entreprise juste après avoir accompagné le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, devant la Cour de justice de la République. « Aujourd’hui, je me dis que finalement, nos voix comptent, je me suis sentie légitimée, dit-elle. Je considère que j’ai apporté ma petite pierre à l’édifice. »

De son côté, Veynat annonce à Mediapart avoir fait appel de ce qu’elle considère comme une « condamnation injuste et incompréhensible, qui ne reflète pas la réalité des mesures que [l’entreprise prend] depuis des années pour lutter contre le harcèlement et protéger [ses] salariés ». « Veynat n’est pas une entreprise sexiste, et nous n’avons aucune tolérance au sexisme », assure-t-il, affirmant avoir été condamné « pour des faits involontaires liés à des obligations formelles ».

Des déclarations étonnantes aux yeux de Marion Stephan, l’avocate de Laurène Maury. « Je suis surprise du déni de réalité dont fait montre la société face à des preuves matérielles, comme les nombreux écrits que nous avons produits dans ce dossier, déclare-t-elle à Mediapart. L’entreprise n’a pas rempli son obligation d’assurer la sécurité de ses salariées, et n’a pas agi après la révélation des faits, comme l’y oblige pourtant la loi. »

L’avocate rappelle que le directeur des ressources humaines avait demandé à Laurène Maury d’écrire elle-même à ses harceleurs pour leur demander de cesser leurs remarques et propositions sexuelles. « La réaction de la société laisse voir un certain mépris envers Mme Maury, qui a eu le courage de se présenter à l’audience et de porter le témoignage de plusieurs victimes », estime Marion Stephan.

Dan Israel

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