À la recherche du soutien israélien face à Moscou, Volodymyr Zelensky a pris depuis le 7 octobre une position résolument pro-israélienne, quitte à se mettre à dos les pays du monde arabe qu’il avait mis des mois à convaincre.

Clara Marchaud

14 novembre 2023 à 14h26

Lviv (Ukraine).– Presque deux ans après l’invasion russe, les sirènes, bombardements et crimes de guerre ont à nouveau envahi les écrans, pour des événements à des milliers de kilomètres de l’Ukraine. Le 7 octobre, le Hamas a attaqué Israël depuis la bande de Gaza, tuant près de 1 200 personnes (selon le dernier bilan israélien). En Ukraine, les images des terroristes tuant méthodiquement des kibboutzniks (habitants et habitantes des kibboutz) à leur domicile ont provoqué l’émotion, ravivant le traumatisme omniprésent du 24 février 2022 et des massacres commis dans les zones occupées par l’armée russe.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a immédiatement proposé de se rendre en Israël pour apporter son soutien au pays, une visite refusée par voie de presse. Début novembre, une nouvelle visite du président a été reportée sine die après avoir fuité dans la presse. 

Si l’ancien comédien cherche à tout prix à montrer son soutien à l’État hébreu, c’est qu’il espère capitaliser sur le revirement anti-israélien inattendu opéré le 7 octobre par Moscou, en soutenant le Hamas. Depuis le début de l’invasion russe, Kyiv tentait en effet de rallier Israël à sa cause, malgré la relation personnelle entre Benyamin Nétanyahou et Vladimir Poutine et l’alliance de circonstance entre leurs deux pays.

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Volodymyr Zelensky (à gauche) et Benyamin Nétanyahou (à droite) lors d’une réunion en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 19 septembre 2023. © Photo Ukrainian Presidential Press Service via AFP

Mais le premier ministre israélien ménage Moscou, dont l’appui demeure décisif pour ses opérations militaires et frappes en Syrie contre les milices soutenues par l’Iran. Benyamin Nétanyahou est l’un des seuls chefs d’État occidentaux à ne pas s’être rendu en Ukraine depuis le début de l’invasion, et Israël ne soutient pas les sanctions contre la Russie.

Plusieurs sources ukrainiennes indiquent cependant qu’Israël fournirait discrètement du renseignement et des technologies militaires à l’Ukraine. Sans doute sous la pression de Washington, l’État hébreu a accepté le transfert d’équipements militaires avec des éléments produits par Israël. Depuis des mois, Kyiv aimerait surtout obtenir des armes, et notamment les technologies israéliennes antimissiles.

Regagner la confiance

Ce qui était loin d’être gagné avant le 7 octobre. Dans une interview en juin dernier, Benyamin Nétanyahou a suggéré que des armes livrées à l’Ukraine pourraient se retrouver dans les mains des ennemis d’Israël, en particulier l’Iran. Cette remarque avait provoqué l’un des plus importants conflits diplomatiques entre les deux États et la colère de Kyiv, d’autant que des drones iraniens sont utilisés par Moscou pour frapper les civils ukrainiens. « La supposée “neutralité” du gouvernement israélien est considérée comme une position clairement prorusse », a déclaré l’ambassadeur ukrainien en Israël, convoqué peu après par le ministère des affaires étrangères de l’État hébreu. 

Avec le retournement de Moscou, les autorités ukrainiennes espèrent cependant regagner la confiance de leur partenaire israélien, en promouvant le récit d’un « axe du mal » composé de l’Iran, du Hamas et de la Russie. Comme plusieurs pays européens, l’Ukraine s’est ainsi abstenue lors d’un vote de l’Assemblée générale de l’ONU réclamant une « trêve humanitaire immédiate », fin octobre, avant l’entrée des troupes israéliennes dans la bande de Gaza.

La position pro-Israël ukrainienne n’est pas qu’une question d’aide militaire. Les Ukrainien·nes observent également ce conflit « à travers le prisme de leur guerre avec la Russie. Les représailles d’Israël à Gaza sont accueillies avec compréhension en Ukraine », analyse le chercheur ukrainien Iliya Kousa, dans un article pour le centre Carnegie. L’attaque du 7 octobre est ainsi comparée aux massacres commis à Boutcha en avril 2022. « Pour la plupart des Ukrainiens, le monde arabe est perçu comme quelque chose de lointain et d’étranger, alors qu’il existe de nombreux liens socioculturels et commerciaux entre l’Ukraine et Israël. »

Par ailleurs, les autorités ukrainiennes voient la main de la Russie derrière le Hamas. S’il est difficile de dire que l’attaque du 7 octobre a été menée par le Kremlin, l’organisation terroriste serait cependant soutenue par Moscou. Dans une interview à Russia Today, le 8 octobre, un haut responsable du Hamas a déclaré que l’organisation avait informé Moscou de l’attaque peu après son début et avait reçu une licence pour fabriquer sa propre version des kalachnikovs et de ses munitions.

L’idée [pour la Russie] est que l’Occident perde des ressources, du temps, des armes dans autant de crises que possible.

Oleksandr Kraïev, du think tank Ukrainian Prism

Selon le renseignement ukrainien, certains combattants du groupe Wagner auraient également participé à la formation de membres du Hamas. « Il est clair que les dirigeants russes tentent d’acquérir une influence dans les pays du Sud en utilisant les souffrances des habitants de Gaza et en comparant les deux guerres. À Moscou, ils croient qu’ils sont en guerre non seulement contre l’Ukraine, mais aussi avec l’Occident, et cela s’étend jusqu’au Moyen-Orient », estime l’ancien ministre des affaires étrangères ukrainien, Pavlo Klimkin.

« Cela fait partie de la stratégie à long terme du Kremlin “du chaos contrôlé”. Plus il y a de crises et de conflits dans les différentes parties du monde, plus il est facile pour la Russie et ses alliés de mener leurs propres affaires, ajoute le politologue ukrainien Oleksandr Kraïev, du think tank Ukrainian Prism. L’idée est que l’Occident perde des ressources, du temps, des armes dans autant de crises que possible. »

Sous la pression de l’aile conservatrice des républicains, les États-Unis rognent ainsi de plus en plus sur l’aide à l’Ukraine. Le Congrès a ainsi dû couper six milliards de dollars d’aide militaire pour éviter le shutdown en octobre dernier.

« Peut-être que sur certaines armes spécifiques, nos demandes d’aides peuvent se chevaucher, comme sur les obus pour l’artillerie de 155 mm et les missiles pour le système de défense aérienne, mais pas rivaliser », détaille le député ukrainien Yehor Tchernev, interrogé par Mediapart. Pour le moment, le conflit israélien n’influence pas l’aide donnée à l’Ukraine, explique ce membre du parti présidentiel et de la commission parlementaire de défense. « Mais tout va dépendre de sa durée et de son intensité. »

La position pro-israélienne du gouvernement ukrainien ne fait cependant pas l’unanimité dans la population. Dans une tribune publiée dans Mediapart, plusieurs centaines d’intellectuels et d’activistes ukrainiens appellent Kyiv à changer sa position (lire notre entretien avec Daria Saburova).

« Adopter une position trop pro-israélienne pourrait mettre en péril les relations de l’Ukraine avec les pays du Sud, pour lesquels Kyiv rivalise depuis de nombreux mois avec la Russie, investissant d’énormes ressources et énergies à cette fin, alerte Iliya Kousa, évoquant notamment la Turquie, le Qatar ou l’Arabie saoudite. L’Ukraine est réticente à risquer ses liens durement acquis avec les pays du Sud, mais elle ne peut certainement pas se permettre de perdre l’aide occidentale irremplaçable. » Un jeu d’équilibriste parti pour durer. 

Clara Marchaud

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