A Travers Les Murs

Dans le centre de rétention, le temps se fige autour de Moustapha qui vit par la danse. C’est d’ailleurs pendant il dansait devant chez lui qu’il a été arrêté pour être placé au centre de rétention.

De la mise à l’abri aux portes verrouillées pour Moustapha

08/09/2021

Les cheveux roses, tressés, une tête de minot, le visage détendu, il arbore toujours un grand sourire quand on croise son regard. C’est comme ça qu’il nous apparaît chaque jour, Moustapha.

A croire que son corps est ici, mais que sa tête est ailleurs. C’est peut-être ce qu’on peut lui souhaiter de mieux.

Scolarisé pendant 3 ans dans une petite ville de province, protégé en tant que mineur isolé en France, Moustapha a subi une rupture de droit peu après sa majorité. Puisque son contrat de travail n’a pas été renouvelé, ses droits se sont arrêtés. Perte de salaire, perte de logement, perte de droit au séjour. Comme tant d’autres…

Arrivé en France à 16 ans, il a atterri au CRA du haut de ses 24.

8 ans après sa mise à l’abri, le système français n’a plus que portes verrouillées à lui offrir. Qu’il se soit formé ici, construit ici, cela ne semble faire aucune différence, aux yeux de l’Etat.

Sommé de quitter la France au mois d’avril dernier, il n’a pas eu le temps de faire un recours dans les 48heures imposées par le délai légal. Pourtant, on lit dans son dossier que lui est promis un emploi dans une « pépinière de sauvegarde de la biodiversité fruitière ». Je l’imagine tant au milieu des vergers avec son énergie céleste.

Moustapha, il danse. Il danse, entre 4 murs, les écouteurs aux oreilles. Il danse dans le réfectoire blafard, devant cette télé qui tourne en boucle, quand les autres restent assis, cloués sur les tables de cantine.

Le temps se fige, autour de lui. Moustapha, on voit que ça le démange, le démon de la danse. D’ailleurs, c’est comme ça qu’il s’est fait arrêter avant d’arriver là ; en dansant devant chez lui.

Quoique depuis quelques jours, on dirait que son corps s’est un peu éteint. Il dort, il reste assis… Souvent ces derniers jours, on le voit traîner son matelas dans “le patio”, la cour emmurée du -1 de l’hôtel de police. Je m’imagine qu’il veut profiter un peu du ciel bleu, qui lui tend les bras derrière le grillage qui quadrille la cour. Il se love là, à même le sol, recroquevillé sous sa couette. Le temps se fige à nouveau.

Ses proches s’inquiètent, ils appellent, continuent de se creuser la tête pour savoir comment ils peuvent l’aider à sortir de là… Malheureusement, notre travail consiste à leur expliquer qu’à ce stade-là, alors que le Juge des libertés et de la détention, validé par la cour d’appel, a prolongé sa rétention pour une première durée de 28 jours de rétention, ils ne peuvent qu’attendre, et être patients. Son frère, qui vit ici, fouille, cherche, il a retrouvé des papiers; “il veut vous les envoyer, on sait jamais”. C’est vrai ça, on ne sait jamais.

Moustapha suspend le temps. Il aura peut-être le pouvoir de le faire jusqu’à sa sortie d’ici…

Et dans les oreilles de Moustapha, cette chanson qu’il a choisi spécialement pour cette chronique : Call me police, Navigator ft. Balla

Portrait réalisé par Pauline Racato, intervenante dans le Centre de Rétention Administrative de Bordeaux pour la Cimade.

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