Trois films, « Maurice Audin, une histoire de mathématiciens », « Les archives et les disparus » et « Sadek Hadjérès parle du PCA et de Maurice Audin », témoignent de ce que, depuis 1957, les mensonges d’Etat et l’accès aux archives sont des enjeux majeurs. Entre les promesses d’Emmanuel Macron en 2018 et, à l’opposé, les fermetures d’archives qui ont suivi, la mobilisation citoyenne continue.

Trois courts films sont présentés ci-dessous par le blog Histoire coloniale et postcoloniale de Mediapart. Deux de François Demerliac, « Maurice Audin, une histoire de mathématiciens » et « Après l’affaire Audin, les archives et les disparus de la guerre d’Algérie », suivis de l’entretien filmé « Sadek Hadjérès parle du PCA et de Maurice Audin » de Mehdi Lallaoui.

Trois films qui témoignent de ce que, depuis l’arrestation et l’assassinat de Maurice Audin en juin 1957 lors de la guerre d’Algérie, les questions de l’accès aux archives et de la recherche de la vérité à l’encontre des mensonges de l’armée et de l’Etat, ont été posées comme des enjeux démocratiques majeurs.

Ce fut le combat de l’historien Pierre Vidal-Naquet dans son premier livre L’Affaire Audin, en 1958, et du Comité qu’il a fondé avec le mathématicien Laurent Schwartz. Un combat qu’a mené durant plus de soixante ans le journal l’Humanité et que d’autres ont poursuivi comme l’Association Josette et Maurice Audin et le quotidien Mediapart.

Mais c’est un combat inachevé.

Entre les promesses d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Josette Audin en septembre 2018, et, à l’opposé, les fermetures d’archives qui ont suivi, la mobilisation des citoyens continue.

Ces trois films ont été projetés à Nanterre le 1er décembre avec l’aide de la municipalité dans le prolongement de son inauguration, peu avant, d’une rue « Josette et Maurice Audin », en présence de Pierre Audin, leur fils, né à Alger quelques mois avant l’assassinat de son père, et de Fatiha Hassanine, qui est intervenue au nom de l’Association Josette et Maurice Audin, une inauguration réclamée par diverses associations dont le MRAP et la Ligue des droits de l’homme. 

« Maurice Audin, une histoire de mathématiciens » retrace la personnalité de ce jeune chercheur âgé de 25 ans qui était en passe de soutenir sa thèse de mathématiques quand il a été enlevé par des parachutistes français à son domicile d’Alger, le 11 juin 1957, durant la grande répression qu’on a appelé la « bataille d’Alger ».

Il relate la manière dont sa jeune épouse, elle-même enseignante de mathématiques, a écrit aussitôt à ses professeurs à Paris pour attirer leur attention sur la disparition de son mari qui lui était présentée par les autorités françaises comme une évasion mais dont elle a vite compris qu’elle résultait d’un assassinat.

L’organisation à Paris, dans un amphithéâtre de la Sorbonne, de la soutenance de la thèse in abstentia de Maurice Audin, le 2 décembre 1957, a constitué un moment fort de protestation de l’université française contre les crimes de la répression coloniale.

Comme l’affaire Dreyfus un demi-siècle plus tôt, l’affaire Audin a constitué « un moment de la conscience humaine ». De nombreux intellectuels et autres citoyens se sont mobilisés contre les mensonges de l’armée et de l’Etat. Et le film explique que l’affaire Audin a ensuite représenté un modèle de mobilisation en faveur d’autres scientifiques victimes d’autres répressions, en Amérique latine ou en URSS, comme, en particulier, le mathématicien ukrainien et dissident soviétique Léonide Pliouchtch.

« Maurice Audin, une histoire de mathématiciens »https://youtu.be/LRLBOeg1caE

Il a fallu attendre soixante-et-un-an ans pour qu’un président de la République, Emmanuel Macron, en septembre 2018, rendant visite à Josette Audin qui avait lutté toute sa vie pour réclamer la vérité sur la mort de son mari, mette fin aux mensonges proférés par les autorités françaises et lui dise qu’il avait été tué par les militaires français qui le détenaient.

Le film « Après l’affaire Audin. Les archives et les disparus de la guerre d’Algérie » de François Demerliac montre comment cette visite avait été préparée par des rencontres à l’Elysée entre Josette Audin et ses enfants, des historiennes et historiens spécialistes de la guerre d’Algérie, des journalistes et des citoyens engagés contre ces mensonges, avec des conseillers du président de la République. Il montre qu’aussitôt après, Josette Audin est venue célébrer ce moment à la Fête de l’Humanité.

Un moment historique, même si, à des journalistes qui lui demandaient après la visite présidentielle si elle était satisfaite, elle a répondu : « Oui et non…» Car Emmanuel Macron n’avait rien dit sur comment cette mort était intervenue. Restant au milieu du gué. Peut-être pour éviter de désigner les responsabilités des autorités d’Alger, militaires et civiles, d’alors, dans cet assassinat.

Le film montre aussi que, logiquement, la question du sort des milliers d’autres disparus de la « bataille d’Alger » a été aussitôt posée. Car le cas de ce jeune universitaire d’origine européenne, s’il a davantage fait parler de lui en France que ceux de milliers d’Algériens autochtones, n’a été qu’un exemple parmi d’autres, dans une répression massive qui a causé de nombreuses disparitions forcées.

C’est le but du site internet 1000autres.org, ouvert dès le lendemain de la visite présidentielle, de tenter, avec l’aide des familles algériennes de ces disparus, de leur rendre un nom, une profession, un visage.

Enfin, l’historienne Raphaëlle Branche y explique que la demande d’Emmanuel Macron, formulée au même moment, d’une pleine ouverture des archives sur tous les disparus de cette guerre a été loin d’être suivie d’effet, puisque de nouvelles entraves se sont dressées, au contraire, contre l’accès aux archives.  

« Après l’affaire Audin, les archives et les disparus de la guerre d’Algérie »

https://youtu.be/v3uEC_AANU8

D’où une mobilisation des historiens, des archivistes et autres citoyens qui ont constitué un Collectif Accès aux archives publiques et se sont exprimés dans la presse. Ils ont déposé deux recours au Conseil d’Etat et ont obtenu le 2 juillet 2021 une décision de sa part qui leur a donné raison en annulant purement et simplement un instruction interministérielle qui avait voulu faire obstacle à l’application de la loi (1).

Mais la mobilisation se poursuit car les partisans de la fermeture des archives ont été prompts à réagir : à la hâte, ils ont fait adopter par le Parlement un article inséré dans la loi contre le terrorisme et sur le renseignement du 30 juillet, qui limite l’accès à certaines archives. La riposte s’organise du côté des citoyens et des associations qui sont bien décidés à défendre le droit démocratique que constitue l’accès aux archives.

Sur la période des guerres coloniales et en particulier de la guerre d’Algérie, le travail historique doit pouvoir se développer librement. Le troisième film présenté ici incite, par exemple, à de plus amples recherches sur le contexte de l’affaire Audin. Intitulé « Sadek Hadjérès parle du PCA et de Maurice Audin », il porte sur l’orientation politique prise, entre le lendemain du déclenchement de l’insurrection algérienne, en novembre 1954, et la « bataille d’Alger », en 1957, par le parti dont Josette et Maurice Audin étaient membres, le parti communiste algérien. Hadjérès, qui était alors l’un des principaux dirigeants de ce parti, explique le choix qui a été fait alors par sa direction.

Le choix, à partir de 1955, de participer à la guerre d’indépendance en organisant ses propres opérations armées (2). Il rapporte les conversations qu’il a eues à ce sujet avec Josette et Maurice Audin, à leur domicile d’Alger, tout en expliquant que les tâches confiées à ces deux militants étaient strictement politiques et non militaires.

Il souligne aussi que les actions résultant de ce choix politique n’ont pas seulement été menées par des militants communistes d’origine autochtone puisque nombre de ses membres d’origine juive ou européenne y ont participé – Hadjerès cite ainsi, comme exemple des partisans de cet engagement dans la guerre d’indépendance algérienne, le jeune étudiant en droit oranais en 1955, Paul Bouaziz, qui a plus tard obtenu la nationalité algérienne, et, à sa mort à Paris le 20 novembre 2021, a été l’objet de plusieurs hommages dans la presse de ce pays. Un autre, Fernand Iveton, guillotiné « pour l’exemple », l’a payé de sa vie. Il est évoqué dans le beau film, « De nos frères blessés », sur les écrans en mars 2022 (3), qui restitue son parcours.

« Sadek Hadjérès parle du PCA et de Maurice Audin

(1) Voir le livre Les disparus de la guerre d’Algérie suivi de La bataille des archives (2018-2021), Paris, l’Harmattan, 2021, présenté notamment sur le site de la Ligue des droits de l’homme, ainsi que sur celui du MRAP.

(2) Voir sur le site histoirecoloniale.net : « Un témoignage essentiel. 1955-1957 : la participation du parti communiste algérien à la lutte armée d’indépendance et le rôle de Maurice Audin, par Sadek Hadjerès ».

(3) L’association Le Maghreb des films présentera ce film en avant-première en février 2022 au cinéma Le Louxor, en présence du réalisateur.


L’Association histoire coloniale et postcoloniale invite le samedi 11 décembre 2021 à 16h30,
au CICP,
 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris

(et aussi à distance à l’adresse : https://meet.jit.si/histoire-coloniale mot de passe HCO-111221) à une 

rencontre – débat 

Les traces du passé colonial et les débats qu’il suscite

eurocentrisme tardif,
 approche intersectionnelle
 et questions sur l’universalisme

avec Kaoutar Harchi et Michèle Riot-Sarcey

Les adhérents sont conviés à 14h30 pour l’AG de l’association, présidée par Malika Rahal.

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