Rabbin, autrice et intellectuelle, connue pour son attachement aux valeurs de la laïcité, de la démocratie et de la République, elle est venue nous aider à mieux cerner ce qui s’est joué hier et ce qui se jouera demain. Delphine Horvilleur est l’invitée d’Augustin Trapenard.

L'écrivaine et rabbine Delphine Horvilleur, 2022
L’écrivaine et rabbine Delphine Horvilleur, 2022 © Maxppp / L’EST REPUBLICAIN

En cette période plus troublée que jamais, et au lendemain d’une élection présidentielle historique, elle est venue nous aider à prendre un peu de hauteur et à mieux comprendre les enjeux existentiels auxquels se confronte la société française. Delphine Horvilleur est dans Boomerang.

Extraits de l’émission

« Pour se construire, il faut avoir une certaine gratitude face au monde tel qu’il nous a été donné. Ce qui ne doit pas empêcher pas d’être critique face au monde, et ce de manière parfois forte. »

« Le passé ne passe pas car il n’a de cesse de créer des fantômes. Les fantômes reviennent toujours, continuellement. Et on se les prend aujourd’hui en pleine face. » Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

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« Dans un pays, il n’est pas nécessaire d’être d’accord tout le temps. Mais il faut s’assurer que tout le monde peut prendre part à la conversation. Aujourd’hui, le problème est le sentiment d’impuissance : trop de gens pensent qu’ils ne comptent pas. »

« Il faut se souvenir de tous ceux qui, avant nous, ont su changer l’avenir, sans amnésie du passé. »

« On utilise la tradition pour dire qu’il ne faut rien changer. Mais tous nos récits sacrés montrent, symboliquement, que l’on est capable de changer et de voir les vents nouveaux. »

Carte blanche

Pour sa carte blanche, Delphine Horvilleur a écrit un texte inédit.

"Balade pour celle qui va voter" - La Carte blanche de Delphine Horvilleu

Le texte de Delphine Horvilleur

“Je tiens mon enfant par la main, sa petite paume dans la mienne, et nous marchons vers le bureau de vote.

Quelques dizaines de mètres nous en séparent et quelques dizaines d’années, qui sont précisément la distance entre deux générations. Et je pense à ce qui les relie les unes aux autres, à travers le temps et l’espace, et parfois des grands rêves ou des grandes peurs.

Sur ce chemin, je pense à ceux qui, avant moi, ont parcouru ces quelques mètres, à ceux que j’ai accompagnés, enfant, dans un bureau de vote, ma petite paume dans la leur pour qu’ils y déposent un bulletin. Et je me souviens de cette vieille comptine qu’on chantait à tue-tête : “Bulletins, bulletins, bulletins, tin tin, tintamarre, tintamarre, tintamarre, mare mare”.

Nous marchons, mon enfant et moi, sans tintamarre, en silence, dans le même silence un peu solennel qui résonnait quand j’accompagnais mes parents les jours d’élection. Je savais que ce moment était sacré, presque religieux, au sens étymologique. Un temps qui nous fait nous sentir reliés à un moment où une génération dit à la suivante “Sache qu’un jour viendra à ton tour”. Mais la file d’attente est longue et je finis par dire à l’enfant : “Et si on chantait quelque chose ?” Depuis des jours et des jours, un refrain me trotte dans la tête et je lui glisse à l’oreille : ‘J’ai la mémoire qui flanche. Je me souviens plus très bien'”.

Depuis des jours et des jours, j’écoute ceux qui créent de fausses équivalences, qui relativisent les dangers des extrêmes.

J’ai envie de leur dire : “Tu as la mémoire qui flanche ? Tu ne te souviens plus très bien de ce à quoi nous mène la nostalgie du passé, le fantasme de la pureté, la haine de l’étranger ?” 

Mon enfance se faufile avec moi dans l’isoloir, mais jamais nous n’avons été moins isolés. Il me tend l’enveloppe. Jamais nous n’avons été autant enveloppés de souvenirs, d’héritage, de fantômes du passé. Et il me semble qu’il y a beaucoup de monde autour de nous quand quelqu’un dit “a voté”.

Et, en rentrant du bureau de vote, nous avons ri et même récité des poèmes. J’ai parlé à mon enfant d’une poésie que je le lui ferai lire un jour ; un homme y raconte qu’à chaque fois qu’il se rend au restaurant, il insiste pour que la serveuse ne change pas la nappe et laisse devant lui les tâches et les miettes de ceux qui l’ont précédé. Pourquoi ? “Simplement, dit-il, pour se souvenir qu’on a vécu avant lui”. Peut-être qu’il faudrait en faire autant au jour du scrutin : voter dans la conscience qu’on a vécu avant nous et que l’histoire envoie des messages comme des miettes sur une nappe, les enseignements d’un passé qu’il ne faut jamais oublier. Ne pas laisser la mémoire flancher et se souvenir très, très bien de tous ceux qui, avant nous avons, avant nous, ont su changer l’avenir sans amnésie du passé, l’histoire d’un pays qui a accueilli des hommes et des femmes venus de très loin pour gagner le droit d’y voter. 

Ce sont aussi leurs souvenirs qui, ce matin, me tenaient par la main”.

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