La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé vendredi avoir émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour sa responsabilité dans la « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. 

Paul Daloy

17 mars 2023 à 17h59

LaLa Cour pénale internationale (CPI) a déclaré vendredi avoir émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour sa responsabilité dans la « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. 

La CPI a également mis en cause Mme Maria Alekseyevna Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie, a déclaré la CPI dans un communiqué.

M. Poutine « est présumé responsable du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d’Ukraine vers la Fédération de Russie », a ajouté la Cour.

« Les crimes auraient été commis sur le territoire ukrainien occupé au moins à partir du 24 février 2022 », a poursuivi la CPI, ajoutant qu’il existait « des motifs raisonnables de croire que M. Poutine est personnellement responsable des crimes susmentionnés ».

Lundi, le New York Times avait rapporté que la CPI s’apprêtait à lancer des poursuites contre des Russes pour le transfert d’enfants vers la Russie et pour des frappes délibérées sur des infrastructures civiles en Ukraine.

Le procureur de la CPI Karim Khan a déclaré plus tôt ce mois-ci, après une visite en Ukraine, que les enlèvements présumés d’enfants faisaient « l’objet d’une enquête prioritaire ».

La présidence ukrainienne s’est félicitée vendredi de l’émission d’un mandat d’arrêt contre le président russe. « Ce n’est que le début », s’est félicité le chef de l’administration présidentielle Andriï Iermak sur Telegram.

Le ministre ukrainien des affaires étrangères Dmytro Kouleba a réagi sur Twitter, saluant le fait que « la roue de la justice tourne »« Les criminels internationaux seront redevables d’avoir volé des enfants et d’autres crimes internationaux », a-t-il ajouté.

La CPI, créée en 2002 pour juger les pires crimes commis dans le monde, enquête depuis plus d’un an sur d’éventuels crimes de guerre ou contre l’humanité commis pendant l’offensive russe. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont membres de la CPI, mais Kyiv a accepté la compétence de la Cour sur son territoire et travaille avec le procureur.

La Russie nie les allégations de crimes de guerre. Les experts ont admis qu’il était peu probable qu’elle remette des suspects.

Mediapart republie ci-dessous l’article « Ukraine : comment des enfants de Novopetrivka ont échappé à la déportation en Russie », mis en ligne le 20 février 2023.

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Kherson, Stepanivka, Novopetrivka (Ukraine).– Le 23 février 2022, Natalia* a eu une surprise pour son cinquante-deuxième anniversaire. Cette directrice d’une école spécialisée pour enfants en situation de handicap a vu débarquer son mari, son fils de 20 ans et sa sœur Tetiana, dans son établissement de Novopetrivka, un village de 1 347 habitants de la région de Mykolaïv. Il est minuit moins quelques heures dans l’histoire de l’Ukraine, les chars russes s’apprêtent à traverser la frontière, mais personne ne veut encore le croire.

La petite famille a prévu de se revoir deux jours plus tard pour les vraies festivités, les retrouvailles surprise ne s’éternisent donc pas, juste le temps de s’embrasser et de prendre quelques photos avec le bouquet de fleurs rouges et blanches, à côté des ballons d’anniversaire colorés.

Ce moment de joie est le dernier avant la vie sous les bombes, et très vite, la vie sous l’occupation, accompagnée de ses crimes, parmi lesquels les déplacements forcés et les déportations d’enfants.

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L’école spécialisée de Novopetrivka, le 27 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

Dans le sud du pays, les colonnes russes progressent à une vitesse fulgurante. Aidé par un réseau de collaborateurs, Moscou s’empare le 2 mars de Kherson, seule capitale régionale à tomber. Ses unités continuent leur progression vers Mykolaïv, grande ville à une centaine de kilomètres à l’ouest. La résistance y est plus forte, l’armée russe est arrêtée et tente une manœuvre d’encerclement. En vain. Elle progresse tout de même dans les campagnes alentours, ce plat pays agricole découpé par des routes sans virages et des canaux d’irrigation, où les anciens kolkhozes soviétiques forment une myriade de patelins reculés.

Le village de Natalia tombe le 18 mars. Novopetrivka est coupé du monde, sans électricité, sans réseau, mais avec ces invités encombrants qui volent tout ce qu’ils trouvent dans les magasins. Ils font peur. « Ils se comportaient comme s’ils étaient les propriétaires du village, ils fouillaient les maisons », raconte une habitante, qui ajoute, tout en euphémisme : « J’ai une fille, elle a 10 ans, on l’a cachée. On avait peur qu’ils prennent les filles. »

Peu après avoir capturé le village, les soldats se rendent à l’école spécialisée, alors presque déserte : sur les cent un petits pensionnaires, il ne reste que quinze orphelins et enfants placés, chouchoutés par le personnel qui les protège dans un abri aménagé au sous-sol.

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Natalia, la directrice de l’école spécialisée de Novopetrivka, pendant un appel vidéo, le 30 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

« La première fois que les Russes sont venus, ils ont apporté des bonbons et ce genre de choses aux enfants », raconte Valentyna Artiukh, qui enseigne ici depuis trente-quatre ans. Elle parle de ces élèves, âgés de 8 à 16 ans, avec un sourire dans sa voix forte : il y a Lisa, très maligne et émotive, Dasha et Denis qui s’occupaient des plus jeunes… Les photos qu’elle étale sur la table de son bureau glacial montrent un petit brun à l’air mutin et des têtes blondes intimidées.

Six mois en première ligne

À partir de la mi-avril et pour six mois, Novopetrivka se retrouve en première ligne. Le front s’étend le long du canal bordant le village au nord, un rempart naturel avec ses hauts talus qui constituent des fortifications idéales. Les soldats russes y ont creusé d’interminables galeries de tranchées. Aujourd’hui encore, des carcasses calcinées de véhicules civils et militaires témoignent des combats passés. Des buissons cachent toujours des étuis d’obus. Des détritus en plastique jonchent la boue gelée sur le sol. Dans le secteur nord de Novopetrivka, les modestes maisons au toit de tôle sont toutes dévastées.

La deuxième fois que les soldats russes viennent à l’école, le 14 juillet, la visite a un air de démonstration de force : ils arrivent dans des véhicules blindés et positionnent des unités dans l’église face à l’école, relate Valentyna Artiukh. Jointe par téléphone, Natalia raconte : « Les enfants étaient en classe, il n’y avait pas de bombardement ce jour-là, je suis sortie pour parler aux militaires. »

Les hommes armés lui disent très fermement qu’ils vont emmener les quinze enfants. La directrice refuse, le ton monte. Ils la menacent. Elle comprend qu’elle ne peut pas s’y opposer, mais obtient deux concessions : elle les accompagnera avec son mari, et ils ne partiront que le lendemain.

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Valentyna Artiukh, professeure de langue et littérature ukrainiennes à l’école spécialisée de Novopetrivka, le 27 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

Le 15 juillet, les employés encore présents dans le village viennent. « Tout le monde pleurait comme à un enterrement, on se disait au revoir », se remémore Natalia. Valentyna Artiukh dépeint des enfants en larmes, refusant de partir, face à des soldats russes « polis » qui leur « faisaient beaucoup de promesses », assurant qu’ils les mettaient en sécurité.

Stepanivka, première étape

Le convoi formé de véhicules civils s’élance, sans que personne ne connaisse sa destination. Après quelques heures, ils arrivent à proximité de Kherson, toujours occupé, et s’arrêtent dans le centre d’aide sociale et psychologique pour mineurs de Stepanivka. C’est la première étape de la déportation de ces quinze enfants : un déplacement forcé, un crime de guerre.

Les autorités ukrainiennes ont recensé plus de 16 207 cas similaires depuis le 24 février 2022. « Nous avons des informations vérifiées pour ceux-là, mais nous estimons à 100 000 le nombre d’enfants temporairement déplacés dans les régions occupées et déportés en Russie », indique à Mediapart Daria Gerasymchuk, conseillère du président Zelensky en charge du droit des enfants. Ces pratiques sévissent plus particulièrement dans les régions de Donetsk et Louhansk, en partie aux mains de séparatistes pro-Russes depuis 2014, et de Kherson, même si elles ont aussi cours dans les oblasts de Kharkiv, Zaporijjia et Mykolaïv, ajoute la haute responsable.

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Une chambre du centre d’aide sociale et psychologique pour mineurs de Stepanivka, le 26 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

Kyiv dénonce une politique d’État, exécutée sur le terrain ukrainien et pensée depuis Moscou. Vladimir Poutine a signé un décret, fin mai 2022, destiné à faciliter l’adoption d’enfants ukrainiens par les familles russes. Plus que personne, sa conseillère aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, en est l’instrument.

« [Elle] a lancé la simplification de la procédure d’octroi de la citoyenneté aux enfants orphelins en Ukraine. Elle est l’une des personnes les plus impliquées dans le transport illégal d’enfants ukrainiens vers la Russie et dans leur adoption par des familles russes », énonce le règlement de l’Union européenne qui l’a sanctionnée fin juillet, à l’instar des États-Unis et d’autres pays occidentaux. Mère de vingt-deux enfants, « Bloody Mary », comme on la surnomme, a elle-même adopté un orphelin « évacué » de Marioupol au printemps dernier.

Ces adoptions sauvages alarment au-delà des frontières de l’Ukraine. En juin, la haute commissaire pour les droits humains de l’ONU, Michelle Bachelet, se disait « inquiète des projets qu’auraient les autorités russes d’autoriser le déplacement d’enfants d’Ukraine vers des familles dans la Fédération de la Russie, qui ne semble pas […] respecter les meilleurs intérêts de l’enfant ».

En plus des crimes de guerre, la Russie a probablement commis le crime contre l’humanité de déportation et de déplacement forcé.

Amnesty International

Dans un document publié en juillet 2022, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) écrit avoir « reçu des informations sur des cas d’orphelins amenés en Russie », sans être en mesure de les vérifier : « Nous avons des informations [obtenues auprès de militants et d’avocats ukrainiens – ndlr] sur environ 2 000 enfants de différents orphelinats et d’institutions pour enfants qui auraient été transférés en Russie, alors même que des membres de leur famille étaient vivants et qu’ils étaient dans ces institutions uniquement pour y recevoir des soins médicaux. »

« Le droit international humanitaire interdit les déplacements forcés individuels ou de masse de personnes protégées depuis un territoire occupé, il spécifie qu’aucune partie au conflit ne doit évacuer vers un pays étranger des enfants qui ne sont pas les nationaux de cette partie, sans le consentement des parents ou des tuteurs légaux, sauf pour des raisons sanitaires ou de sécurité », souligne Amnesty International dans un rapport sur le sujet paru en novembre 2022. Rappelant le décret pris fin mai par Vladimir Poutine, l’ONG dénonce « une politique délibérée de la Russie liée à la déportation d’Ukraine vers la Russie de certains civils, dont des enfants, qui suggère qu’en plus des crimes de guerre, la Russie a probablement commis le crime contre l’humanité de déportation et de déplacement forcé ».

Un cabinet d’avocats français s’est penché sur la qualification juridique de ces crimes. Au terme de leur analyse, ils ont saisi la Cour pénale internationale au nom de l’association française Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre. Dans ce document, que Mediapart a pu consulter, Emmanuel Daoud et Gabriel Sebbah estiment que « les transferts forcés et déportations à grande échelle d’enfants ukrainiens vers la Russie, dans une volonté manifeste des autorités russes d’effacer, au moins en partie, les Ukrainiens en tant que groupe national doté d’une identité propre, sont susceptibles de constituer plusieurs des crimes, [dont] le crime de génocide ».

Prendre les enfants, c’est couper nos racines.

Daria Gerasymchuk, conseillère de Volodymyr Zelensky

Ils invoquent la définition proposée par le statut de Rome, créant la CPI, qui dispose dans son article 6 que le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe » est constitutif de génocide lorsqu’il est « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Pour les juristes, les éléments sont réunis.

C’est aussi la ligne défendue par Kyiv. « Rien de ce que font les Russes sur le territoire de l’Ukraine n’est lié au hasard : les déportations d’enfants visent à détruire la nation ukrainienne », déclare Daria Gerasymchuk, la conseillère du président Zelensky, accusant Moscou de perpétrer un « génocide » dans son pays. « Je vois trois raisons à ces déportations : envoyer les garçons dans les écoles militaires pour en faire des soldats, utiliser les enfants comme monnaie d’échange contre des Russes, reproduire les déportations comme au temps de l’Union soviétique avec les Tatars de Crimée et les Ukrainiens. Prendre les enfants, c’est couper nos racines. »

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Volodymyr Sahaidak, directeur du centre d’aide sociale et psychologique pour mineurs de Stepanivka, le 26 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

De Stepanivka, à nouveau partir

Volodymyr Sahaidak a été forcé de réfléchir à cette question. Depuis trois ans, il dirige le centre de Stepanivka, dans les faubourgs de Kherson. C’est là que les Russes ont envoyé les quinze enfants de Novopetrivka le 15 juillet. L’institution tourne alors au ralenti.

Dès le mois de mars, Volodymyr Sahaidak a décidé de mettre à l’abri les cinquante-deux pensionnaires, des orphelins et des enfants placés. « Quand on a compris que Kherson était occupé, on a repensé à ce qu’on avait entendu sur les déportations dans les régions de Louhansk et Donetsk après 2014 », explique Oksana Koval, directrice adjointe de l’établissement. Trop dangereux de les évacuer en l’absence de corridor humanitaire.

L’équipe décide de les cacher chez des voisins et parmi leurs propres familles. Oksana en héberge trois. L’infirmière et son mari accueillent Lisa, une jeune fille de 14 ans. Cinq grands ados restent néanmoins dans le centre. Difficile de caser ces garçons de 16 ans, presque des hommes, alors que la plupart des hôtes étaient des femmes…

La manœuvre fonctionne. Les forces d’occupation russe ne découvrent l’endroit qu’en juin. Fous de rage qu’on ne leur dise pas où se trouvent les pensionnaires, ils emportent les ordinateurs et tous les documents qu’ils trouvent. Mais l’équipe tient bon.

Avec l’arrivée des quinze de Novopetrivka, le centre de Stepanivka retrouve une vie paradoxale dans ces coteaux du nord de Kherson occupé. « Il y avait de l’électricité, de l’eau, des magasins ouverts, c’était très différent de Novopetrivka. J’ai été surprise d’entendre Volodymyr nous accueillir en ukrainien, je me suis sentie mieux ! », se souvient Natalia. Le quotidien a beau être calme, les adultes savent leur situation précaire. Le couperet tombe en octobre.

Depuis plusieurs semaines, l’armée ukrainienne prépare une contre-offensive dans la région de Kherson. Méticuleusement, ses forces coupent les voies de ravitaillement des occupants. À Moscou, l’état-major finit par décider un retrait organisé, afin d’éviter le fiasco de la région de Kharkiv, en septembre, où ses unités ont abandonné quantité de véhicules et de munitions dans la débâcle. Le 19 octobre, des hommes en civil surgissent à Stepanivka. « On vient évacuer les enfants vers la rive gauche », lancent-ils au directeur, qui réclame un délai. « Ne jouez pas à ce jeu, si les enfants ne sont pas prêts quand on arrive avec les bus, on reviendra avec les soldats et vous aurez des problèmes », se voit-il rétorquer.

De la Crimée à la Géorgie

Seuls les quinze enfants de Novopetrivka sont concernés, les ados ayant intégré le lycée comme internes à la rentrée. Volodymyr Sahaidak cherche à connaître la destination des enfants. Les hommes en civil lui répondent qu’il s’agit de Guenitchesk, une ville à l’opposé, dans l’oblast de Kherson. Mais les chauffeurs de bus disent autre chose : la Crimée.

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Oksana Koval, directrice adjointe du centre d’aide sociale et psychologique pour mineurs de Stepanivka, le 26 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

Avant tout, le convoi doit franchir le Dniepr. La traversée se fait à bord de petits bateaux rouillés qui menacent de chavirer. Puis, les enfants et Natalia, qui les accompagne toujours, sont débarqués à Djankoï, sur la péninsule annexée en 2014. « À la gare, il y avait un grand groupe d’enfants et des familles, certaines avaient l’air contentes d’être évacuées ici, d’autres semblaient hagardes. On ne connaissait personne, on ne savait pas où aller. Je parlais en ukrainien et tout le monde faisait semblant de ne pas comprendre », dit Natalia.

Elle finit par établir qu’ils sont censés aller dans la région de Krasnodar, en Russie. Là-bas, on leur promet un séjour d’environ trois semaines dans un « centre de loisirs ». Seul avantage d’être en Russie : ses interlocuteurs « n’ont plus d’arme ». Fini les soldats. « J’ai décidé de me battre pour les enfants », raconte la quinquagénaire, toujours plus déterminée. Elle refuse qu’elle et son mari soient séparés d’eux, et l’obtient. Très vite, elle commence à planifier leur exfiltration.

Le lieu n’est pas gardé par la police ni par l’armée, seulement par des vigiles, mais Natalia s’y sent constamment surveillée et elle n’est « pas libre de [ses] mouvements ». Elle découvre la réalité parallèle dans laquelle évolue la population russe : « Les employés ne nous comprenaient pas, ils demandaient pourquoi les enfants ne dansaient pas comme les autres, pourquoi ils n’étaient pas souriants… On a vu des voitures civiles avec des Z, ce symbole de mort. On était déportés, à 100 %. Nous n’avions rien demandé, nous avons été forcés d’aller là alors qu’aucun d’entre nous ne voulait quitter notre village, malgré la proximité avec la ligne de front et les bombardements. »

Ils vont bien, très bien, moi aussi je vais bien.

Natalia, en Géorgie

Il s’agit donc de fuir. Natalia refuse de livrer les détails de cette opération faite de coups de main de volontaires étrangers, d’interminables négociations, et de « chance », insiste la directrice. Après trois semaines, elle profite d’un moment de flottement pour partir avec les enfants. Direction la Géorgie. Le 17 novembre 2022, le groupe passe la frontière. Tous sont désormais en sécurité. « Ils vont bien, très bien, moi aussi je vais bien », confie Natalia, jointe par téléphone depuis Tbilissi.

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Photos d’enfants sur « l’arbre du bonheur », dans le centre d’aide sociale et psychologique pour mineurs de Stepanivka, le 26 janvier 2023. © Photo Igor Ishchuk pour Mediapart

Dans les décomptes du gouvernement ukrainien, les quinze enfants de Novopetrivka sont considérés comme sauvés et rapatriés, même s’ils ne sont pas de retour en Ukraine. Interrogée à ce sujet, Daria Gerasymchuk invoque la situation sécuritaire de Novopetrivka, pourtant loin du front aujourd’hui, et ferme le ban : « Si les proches veulent rapatrier leurs enfants, personne ne les en empêche. Ce n’est pas moi qui décide, cette décision est prise par l’administration civile et militaire de la région, mais je pense que la partie ukrainienne peut décider sans intervention des journalistes, je crois que ce serait éthique de laisser décider les Ukrainiens quels enfants doivent être où et quand. »

Dans le centre de Stepanivka, qui a un temps abrité les quinze enfants de Novopetrivka et les ados, plus aucun bruit ne résonne. Les Monopoly et les puzzles prennent la poussière dans la salle de jeu. Les lits ne sont plus occupés que par des peluches. Volodymyr Sahaidak et Oksana Koval ont réussi à cacher les enfants dont ils avaient la charge. Tous sauf six : les cinq ados et Lisa, la jeune fille de 14 ans placée chez l’infirmière et son mari. Internes au lycée depuis la rentrée des classes, ils ont été attirés en Crimée en octobre. En « classe verte », leur avait-on promis. Ils n’en sont pas revenus. Le téléphone de Lisa ne répond plus.

Paul Daloy

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