Alors que le ministère de l’intérieur avait affirmé, en décembre dernier, ne « procéder à aucun éloignement vers l’Iran dans le contexte actuel » concernant une Iranienne menacée d’expulsion, Mediapart a répertorié deux autres cas pour lesquels des préfectures ont délivré une OQTF. L’une d’elles a même pris attache avec Téhéran, alors que l’intéressée a fui la répression en Iran.

Nejma Brahim et Rémi Yang

20 janvier 2023 à 16h49

ElleElle a été placée en centre de rétention administrative (CRA dans le jargon), lundi 16 janvier, après avoir été arrêtée par les forces de l’ordre à l’aéroport de Chambéry, en Savoie, où elle tentait de gagner l’Angleterre pour y rejoindre des proches avec de faux papiers, faute de visa. Marjan*, 38 ans, a fui l’Iran en novembre dernier pour trouver refuge en Europe, dans un contexte où la répression fait rage dans son pays. Elle n’imaginait pas l’accueil que lui réserverait la France : la préfecture de Savoie lui a notifié une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ainsi qu’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans.

Sur le document, que Mediapart a pu consulter, la préfecture considère que Marjan « ne justifie d’aucune circonstance humanitaire particulière » et qu’elle « n’établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d’origine ». L’Iran est pourtant en proie à une terrible vague de répression à l’encontre de l’opposition, notamment des femmes, depuis le 16 septembre dernier et la mort de la jeune Kurde iranienne Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs parce que ses cheveux n’étaient pas assez couverts.

Marjan l’a dit et redit, lors de ses auditions : elle a participé aux manifestations qui rythment le pays depuis quatre mois, elle était recherchée, elle était en danger. Pour tenter de rejoindre au plus vite son conjoint basé en Angleterre, après être arrivée en Italie avec un visa à son nom, ses proches et elle ont donc fait appel à des passeurs, qui leur ont fourni plusieurs documents d’identité, sous différents noms, pour qu’elle puisse s’y rendre par avion plutôt que par la mer, en traversant la Manche – un périple beaucoup plus dangereux, où de récents naufrages ont fait des morts.

Des Iraniennes lors d’une manifestation à Téhéran, le 23 septembre 2022. © Photo SalamPix / Abaca

C’est dans ce contexte qu’elle a été interpellée, dans différents aéroports français, alors qu’elle tentait de s’envoler pour le Royaume-Uni.

« Je ne veux pas retourner en Iran, et je ne veux pas rester en France non plus. Je préfère rester mourir ici [plutôt] que de retourner en Iran. Ma vie est en danger, ils vont me tuer », peut-on lire dans sa première audition, en date du 25 décembre.

Dans sa dernière audition cette semaine, elle déclare : « Ça fait environ deux mois que je suis partie. Mon père a été interpellé par la police car il a manifesté et moi aussi j’étais recherchée car j’avais participé à une manifestation contre le voile intégral, la loi sur l’exhibition et la peine de mort. » Puis, plus loin, lorsque l’agent évoque la possibilité d’un éloignement vers l’Iran, elle rétorque : « Vous voulez me renvoyer vers quel pays ? Je ne souhaite pas aller au centre de rétention et je ne veux pas retourner dans mon pays. »

Elle préférait demander l’asile au Royaume-Uni

Contactée après sa remise en liberté mercredi, sur décision du juge des libertés et de la détention (JLD), Marjan n’a pas souhaité s’exprimer.

Elle aurait été très marquée par son passage en centre de rétention : « Elle était très fatiguée et n’arrivait pas à trouver le sommeil mercredi soir, raconte Mona, qui l’a hébergée pour une nuit à sa sortie du CRA. Elle se sentait vraiment perdue et stressée, et s’inquiétait pour ses enfants restés en Iran. Elle voulait toujours rejoindre l’Angleterre pour rejoindre son fiancé. Elle est obligée de partir de manière irrégulière mais ne veut pas traverser la Manche. C’est une situation très stressante. »

Elle était avec sa sœur et deux amies lorsque la police secrète leur est tombée dessus. Elle a été violentée mais a réussi à s’enfuir avec d’autres femmes.

Le conjoint de Marjan*, menacée d’expulsion

« Quand on a des cas comme ça, on n’a pas le droit à l’erreur, commente Me Alexandre Mazéas, avocat spécialiste en droit des étrangers, qui a défendu Marjan devant le JLD mercredi et lui a permis de sortir du centre de rétention. Ses déclarations en audition étaient très claires et on ne fait pas de telles déclarations à la va-vite. Son frère et sa sœur ont d’ailleurs été incarcérés, sa sœur a ensuite été libérée sous caution. C’est à ce moment-là qu’elle a décidé de fuir son pays. »

Son conjoint, que Mediapart a pu retrouver, confirme qu’elle était bien recherchée en Iran pour avoir participé à une manifestation contre le régime. « Elle était avec sa sœur et deux amies lorsque la police secrète leur est tombée dessus. Elle a été violentée mais a réussi à s’enfuir avec d’autres femmes, qui l’ont accueillie chez elles pour la nuit. Le lendemain matin, elle a trouvé une centaine d’appels en absence de sa mère sur son téléphone, relate-t-il depuis l’Angleterre. La police était venue au domicile familial cette nuit-là pour tout fouiller et embarquer sa sœur. »

C’est un cousin qui l’aurait ensuite aidée à se cacher, puis à fuir l’Iran. Son compagnon dit avoir déjà déboursé 10 000 euros pour l’aider à rejoindre l’Europe et souligne qu’il était « impossible » pour elle de passer par des moyens légaux, comme une demande de visa humanitaire, alors qu’elle était recherchée en Iran et qu’elle a dû fuir le pays en catastrophe. « Les femmes en Iran ne sont pas considérées comme des êtres humains. Elles ne sont rien », résume-t-il pour expliquer le mouvement de révolte que connaît aujourd’hui le pays.

Aussi, je sollicite de votre haute bienveillance la délivrance d’un laissez-passer consulaire à son nom lui permettant l’accès à votre territoire.

La préfecture de Savoie

Sollicitée, la préfecture de Savoie nous répond qu’« une OQTF ne signifie pas automatiquement une reconduite » et affirme qu’il n’y a « pas de reconduite vers un certain nombre de pays, dont l’Iran fait partie ». « Même en l’absence d’annulation vers le JLD, la ressortissante iranienne n’aurait donc pas été reconduite », assurent ses services. Mais tout porte à croire que sans la décision du JLD – qui s’est basé sur des irrégularités dans le cadre de la procédure plutôt que sur le fond –, Marjan avait de fortes chances d’être expulsée et renvoyée en Iran : selon nos informations, la préfecture de Savoie avait en effet déjà pris attache avec les autorités iraniennes.

« L’intéressée est démunie de tout document d’identité ou de voyage en cours de validité. Aussi, je sollicite de votre haute bienveillance la délivrance d’un laissez-passer consulaire à son nom lui permettant l’accès à votre territoire », peut-on lire dans un document émanant de la préfecture et adressé au consul d’Iran, que Mediapart s’est procuré. « Compte tenu de la brièveté des délais imposés par la réglementation pour exécuter cette mesure, je vous saurais gré de bien vouloir traiter ma demande en urgence. » Interrogés sur cette démarche, qui contredit les affirmations précédentes, ses services n’ont pas répondu à l’heure où nous publions cet article. À lire aussi Une Iranienne fuit la répression, elle est menacée d’expulsion par la France

6 décembre 2022

Le ministère de l’intérieur avait pourtant été catégorique, lorsque nous l’avions déjà interrogé en décembre dernier sur le cas d’une Iranienne elle aussi enfermée au CRA de Toulouse, sous le coup d’une OQTF prononcée par la préfecture de l’Aude cette fois. « Nous ne procédons à aucun éloignement vers l’Iran dans le contexte actuel », avait-il réagi à ce moment-là. Il refuse cette fois tout commentaire sur la démarche initiée par la préfecture de Savoie mais réitère « qu’aucune expulsion n’est faite vers l’Iran ».

Comme l’analysait Mediapart ici, la surenchère sur les OQTF et la course aux chiffres pourraient pousser les préfectures, en région, à vouloir prononcer toujours plus d’OQTF contre les étrangers et étrangères en situation irrégulière, même lorsqu’ils ne sont pas expulsables.

« Lors de sa quatrième et dernière interpellation le week-end dernier, pointe la préfecture, elle dit ne pas avoir fait de démarches [pour demander l’asile] car elle ne souhaite pas rester en France mais aller en Angleterre. » Un élément sur lequel l’intéressée a insisté lors de ses auditions. « Elle ne peut pas rester en France alors qu’elle n’y connaît personne. Ici au moins, je peux l’aider, l’accueillir chez moi et la prendre en charge le temps qu’elle se reconstruise », explique son conjoint.

Marjan n’a pas été la seule femme, en ce début d’année, à être visée par une OQTF et à risquer un renvoi vers l’Iran.

Reconnue réfugiée en Grèce et menacée d’expulsion par la France

Arrivée en France début janvier, Mme Z., une autre exilée iranienne, espérait rallier l’Angleterre, où certaines de ses connaissances, rencontrées durant son parcours de migration, y sont « très heureuses ». Elle a été arrêtée le 6 janvier par les services de police alors qu’elle tentait de traverser la Manche, avant de ressortir du commissariat avec une OQTF sans délai, assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français et l’espace Schengen d’un an.

« La préfecture, sans prendre en compte la situation géopolitique, lui claque une OQTF un vendredi, avec un délai de 48 heures pour faire recours. C’est un procédé inique, dénonce MeVincent Souty, son avocat. On la laisse seule dans une ville qu’elle ne connaît pas, avec un délai qui court jusqu’à dimanche alors qu’elle n’a pas accès à Internet ni à un interprète pour déposer un recours. Il y a une volonté de fermer la porte de la justice administrative. »

La police m’a placée au centre de rétention. Elle m’a menottée pendant une journée. Mon corps tremblait pendant la détention à cause du froid et de la douleur.

Mme Z., réfugiée iranienne

Une situation d’autant plus invraisemblable que Mme Z. bénéficie d’une protection internationale jusqu’en 2025, d’après des documents que nous avons pu consulter. En 2022, elle a obtenu le statut de réfugiée en Grèce, pays qu’elle a décidé de quitter après avoir survécu deux ans sur place, avec une maigre pension, et subi de nombreuses violences. « La police m’a placée au centre de rétention. Elle m’a menottée pendant une journée. Mon corps tremblait pendant la détention à cause du froid et de la douleur », témoigne-t-elle, ajoutant avoir « peur » d’être expulsée.

« Soit la préfecture n’a pas vérifié les fichiers européens, soit ils lui ont notifié cette OQTF en toute connaissance de cause et c’est dramatique », poursuit MSouty. Contactée, la préfecture de Seine-Maritime « ne souhaite pas s’exprimer à ce stade », invoquant un « contentieux en cours sur ce dossier » au tribunal administratif de Rouen, où une audience est prévue le 15 février prochain.

Mme Z. a fui l’Iran et ses mœurs ultrarigoristes en 2019. Là-bas, elle habitait à Ahwaz, dans le sud-ouest du pays. Son mari, avec qui elle a eu deux filles, et sa belle-famille la battaient lorsqu’elle refusait de porter le hijab – obligatoire dans les lieux publics – ou le tchador. Elle se rappelle particulièrement une nuit de violences conjugales. « Mon mari m’a frappée alors que j’étais à mon septième mois de grossesse. Je me suis évanouie. Après avoir repris conscience, je n’entendais plus rien. Deux mois plus tard, le bébé est né. »

« Nous avons rompu à la demande de sa famille et ils lui ont choisi une autre femme. Ils m’ont pris les enfants. Après ça, les hommes m’ont demandé de devenir leur concubine pour de l’argent. Je ne voulais être avec personne. Même mon voisin m’a proposé ça. » Mme Z. raconte s’être disputée avec sa famille, qui lui reprochait de ne pas vouloir se remarier. « Mais mon ancien mari m’a dit qu’il ne me laisserait pas me marier et qu’il me tuerait si je faisais quoi que ce soit. J’aurais pu construire ma vie, mais on ne m’a pas laissée faire. En Iran, les femmes divorcées servent uniquement au concubinage des hommes. On ne m’aurait pas laissée vivre en paix, j’ai donc décidé de quitter l’Iran. »

Une OQTF visant une Iranienne déjà annulée par la justice

Lorsqu’elle s’enfuit en Turquie, en 2019, elle reçoit des menaces de mort de sa famille et de son ex-mari. « Ma famille m’a maudite et m’a dit qu’elle souhaitait que je meure. Mes oncles ont dit que s’ils mettaient la main sur moi, ils me tueraient. »

Des menaces qu’elle prend alors très au sérieux : ses cousins lui ont envoyé une photo sur laquelle l’un d’eux exhibe la tête décapitée d’une femme qui, comme elle, avait fui en Turquie. Pourtant, la préfecture de Seine-Maritime considère que ces liens familiaux pourraient justifier son renvoi en Iran. « [Mme Z.] ne prouve pas être démunie de tous liens familiaux dans son pays d’origine, d’autant plus qu’elle déclare que ses enfants résident en Iran », peut-on lire dans l’OQTF. À lire aussi OQTF, une passion française

6 janvier 2023

Ces OQTF prononcées à l’encontre d’Iraniennes sont « une honte pour la France », estime Me Mazeas. « Il est inconcevable que l’on puisse mettre en rétention ces personnes et pire, que l’on contacte les autorités iraniennes en communiquant leur nom. Nous sommes face à une politique migratoire qui n’a plus de sens et ne fait plus preuve d’humanité. »

Pour Paul Chiron, de la Cimade, ces arrêtés sont « scandaleux ». « Pourquoi notifier une OQTF à une personne qu’on ne peut pas expulser si ce n’est pour remplir une politique du chiffre ? Ça met les personnes en danger et les enfonce dans une précarité administrative. » Intervenante juridique pour la Cimade au CRA de Toulouse, Elsa Putelat réclame qu’aucune procédure d’expulsion ne soit déclenchée pour des personnes risquant leur vie en cas de renvoi. « Il est tout de même contradictoire qu’Emmanuel Macron reçoive des militantes iraniennes pour apporter son soutien au peuple iranien et que l’on voie de telles actions en parallèle. Le gouvernement doit condamner ces pratiques préfectorales. »

Ces OQTF sont aussi régulièrement contestées – et annulées – devant la justice : pour Leïla*, l’Iranienne dont Mediapart avait documenté le cas en décembre dernier, le tribunal administratif de Toulouse a estimé, le 10 janvier dernier, que la décision de la préfecture visant à éloigner l’intéressée était entachée d’une « erreur de droit », jugeant que « la requérante devait être regardée, compte tenu de la situation actuelle en Iran, comme ayant clairement sollicité le souhait de former une demande d’asile devant les services de police ». Ce même tribunal devra se prononcer dans les prochaines semaines sur le cas de Marjan.

Nejma Brahim et Rémi Yang

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