Pourquoi faut-il s’inquiéter de la dissolution de l’ONG Memorial en Russie ? Nous en parlons dans la première partie des Matins.

Sur cette photo prise le 15 novembre 2021, un employé inspecte des documents d'archives dans les bureaux du groupe de défense des droits Memorial à Moscou.
Sur cette photo prise le 15 novembre 2021, un employé inspecte des documents d’archives dans les bureaux du groupe de défense des droits Memorial à Moscou.• Crédits : ALEXANDER NEMENOVAFP

Hier, la justice russe a ordonné la dissolution du Centre de défense des droits humains de l’ONG Memorial, qui, la veille, a été dissoute par la Cour suprême du pays. Plus tôt dans le semaine, l’un des historiens membres de l’ONG a vu une nouvelle fois sa peine prolongée à 15 ans de réclusion.

Cette déferlante de décisions judiciaires illustre la volonté du gouvernement de Vladimir Poutine de s’accaparer le récit de l’époque soviétique. En affaiblissant les historiens indépendants dont les recherches se concentrent sur la répression stalinienne, l’État russe cherche à imposer une représentation de l’URSS comme principal ennemi de l’Allemagne nazi et vainqueur du monde libre. 

Jusqu’où la Russie peut-elle réécrire son histoire ? Quelles sont les activités de Mémorial qui dérangent le pouvoir en place ? Nous en parlons ce matin avec Nicolas Werth, directeur de recherche émérite au CNRS et président de la branche française de Memorial International

L’ampleur du travail de l’ONG

Memorial est un lieu central d’échanges et de discussions pour tous les chercheurs en sciences sociales s’intéressant à ce pays. L’ONG a constitué une base de données de plus de 3 millions de noms et un fond unique d’archive privée. Mémorial a enregistré des milliers de témoignages de rescapés de camps du goulag. Mais que vont devenir ces archives ?

C’est un grand point d’interrogation, bien qu’il soit évident que tout ce travail ne va pas disparaître grâce aux techniques modernes d’informatique. Mais on ne sait pas ce qu’il va se passer dans les semaines et les mois à venir. Le processus de liquidation va prendre des mois, voire plus. La question aujourd’hui est de s’occuper de cet héritage et de le mettre à l’abri. 

Le centre des droits humains s’occupait en particulier de dresser des listes de prisonnier politiques.

Dans les listes de Memorial analysées par des juristes, il y a plus 400 de prisonniers politiques à ce jour pour lesquels Memorial a apporté une aide juridique et matérielle, les a défendus notamment sur toutes les violations importantes et massives des droits de l’homme en Tchétchénie par exemple. 

L’enjeu de la mémoire pour Poutine

Nicolas Werth rappelle que la grande popularité de Vladimir Poutine au sein de la population tient à deux facteurs : l’entrée réelle de la Russie dans la société de consommation depuis une vingtaine d’années et un progrès du bien-être de toute la classe moyenne dans le pays. Le second élément du succès de Poutine c’est l’affirmation de la Russie comme une grande puissance non seulement régionale mais aussi mondiale, depuis l’effondrement de l’URSS.

L’Etat russe a une politique historique très sophistiquée. Les autorités ne nient pas totalement les pages sombres, le pouvoir a permis la création d’un musée du goulag, un mur du chagrin dédié aux victimes des répressions. Il cherche surtout à éviter que les populations ne s’intéressent à la question des bourreaux. Les ennuis ont commencé pour Memorial, et en particulier pour Iouri Dmitriev, à partir du moment où elle a commencé à publier des listes de personnels du NKVD responsables de massacre. Pour le pouvoir il s’agit de victimes comme des victimes de catastrophes naturelles. Il n’y a jamais eu de procès des responsables policiers et politiques. Quand Memorial a commencé à enquêter sur les bourreaux, les choses ont commencé à sentir le souffre.  

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