Alors que vient de se terminer la 4ème édition du Rallye Dakar en Arabie Saoudite, avec son bilan carbone catastrophique, ainsi que la mort d’un spectateur italien le 10 janvier, quel bilan moral pour France Télévisions, le diffuseur de l’épreuve ?

Claude GUENEAU

Claude GUENEAU

Journaliste.

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Sur France 2, France 3 et France 4, les téléspectateurs ont découvert une compétition haletante, traversant des « paysages magiques, aussi sublimes qu’impitoyables ». Les efforts de communication du prince Mohammed Ben Salmane, pour façonner une image attrayante du royaume, sont payés de retour : « si on peut donner un coup de main pour donner une meilleure image de l’Arabie Saoudite, ça serait parfait » déclarait le pilote Stéphane Peterhansel à francetvinfo.fr, le 18 janvier 2020.

N’est-ce pas aussi ce que fait France Télévisions en retransmettant largement cet événement ?  « Notre mission consiste à rendre compte d’une course automobile, sans prendre position sur le régime politique du pays dans lequel ce rallye se déroule » répondait, en commission déontologie, le 17 décembre 2020, le directeur de la rédaction des sports. »

Admettons un instant ce point de vue, et aussi le fait que le Rallye Dakar fait partie d’un paquet cadeau, avec le Tour de France, vendu par Amaury Sport Organisation, ASO, à France Télévisions, mais qu’en est-il de « l’envers du décor » que dénonce Amnesty International ? La Direction de l’Information a-t-elle cherché à racheter la mauvaise conscience de la télévision publique ? A-t-elle tenté de mettre un pied dans la porte, c’est-à-dire profiter de l’ouverture du royaume aux caméras de télévisions, pour y envoyer des équipes de reporteurs, enquêter sur la dramatique réalité des droits humains ?

La réponse est dans la question. Non ! Aussi bien à l’occasion du rallye que tout au long de l’année, le journal de 20 heures de France 2 a fait systématiquement l’impasse sur les atteintes aux libertés en Arabie Saoudite. Le 12 mars 2022, 81 condamnés à mort ont été décapités en une seule journée, pas un mot ; le 9 août, une universitaire saoudienne, Salma al Shehab, est condamnée à 34 ans de prison pour ses tweets féministes, silence !

A l’occasion du voyage d’Emmanuel Macron dans le Golfe, le 3 décembre 2021, aucune équipe de journalistes n’est allée à la rencontre des Saoudiennes et des Saoudiens. Dans le journal télévisé, regardé par plus de 5 millions de téléspectateurs, une rapide évocation de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, en tout et pour tout, dans un sujet institutionnel qui se termine par « l’Arabie, premier client de la France en matière d’armements », suivi d’un cocorico sur la vente de 80 rafales aux Emirats, sans aucune évocation de la guerre avec le Yémen.

Bis repetita le 28 juillet 2022, le prince Mohammed Ben Salmane est reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. Dans le 20 heures, on insiste beaucoup sur la question du pétrole, mais à nouveau, rien sur la sinistre dictature :  aucun sujet, aucun reportage sur les violations répétées des droits des opposants, des femmes, des personnes LGTB, sur les droits à une justice équitable, sur le sort des travailleurs immigrés…

Depuis 4 ans, la question est pourtant inlassablement soulevée en commission de déontologie, ainsi qu’en Comité Social et Economique. Le CSE a voté des motions dénonçant « le Dakar de la honte ! », demandant que France Télévisions cesse de se rendre complice des opérations de propagande de la dictature saoudienne.

Que répond France Télévisions ? La direction de l’information, comme la présidente se retranchent dans le déni, Delphine Ernotte déclarant en CSE central, le 16 janvier 2020 : « on n’est pas là pour faire la promotion du pays, mais de la compétition sportive. Je crois qu’on applique strictement cette règle, avec des journalistes sportifs qui commentent le sport et une rédaction qui fait son travail et qui continuera à le faire. On est dans un bon équilibre ».

Le bon équilibre ? Un décompte sur les 12 derniers mois, pour ne se limiter qu’à cette période, prouve que le 20 heures n’a pas consacré une seule minute, un seul reportage, un seul sujet à la répression féroce qu’endurent les opposants, et toutes celles et ceux qui n’acceptent pas le joug de la dictature. En dehors de la couverture de la visite officielle d’Emmanuel Macron à Djeddah, le 4 décembre, pas un journaliste de France Télévision n’a mis un pied en Arabie Saoudite… à l’exception, bien sûr, des envoyés spéciaux sur le Rallye Dakar.

Quelles informations les citoyens vont-ils retenir sur l’Arabie Saoudite ? La traversée de paysages sublimes, la magnificence du désert saoudien, les dunes ondulantes à perte de vue ? Pourquoi la télévision publique, par ses silences, s’aligne-t-elle sur la mansuétude dont le président de la République fait preuve à l’égard du régime saoudien ?

Claude Gueneau

Journaliste

Ex-secrétaire du Comité Social et Économique Siège de France Télévisions

Membre du Comité National du Syndicat National des Journalistes, Snj-CGT

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