Les trois derniers naufrages, qui ont fait au moins 32 morts, ont eu lieu loin des côtes turques. Les migrants essaient d’embarquer directement pour l’Italie pour éviter les refoulements.

Par Marina Rafenberg(Athènes, correspondance) Publié hier à 19h01, mis à jour à 08h22

Le pape François rencontre des migrants lors de sa visite dans le camp de réfugiés de Karatepe, sur l’île de Lesbos, le 5 décembre 2021.
Le pape François rencontre des migrants lors de sa visite dans le camp de réfugiés de Karatepe, sur l’île de Lesbos, le 5 décembre 2021. ALESSANDRA TARANTINO / AP

Deux corps inanimés ont été retrouvés en pleine mer, mercredi 29 décembre, par les garde-côtes près de Tinos, île de l’archipel des Cyclades. Plusieurs jours après le naufrage d’un voilier survenu le 24 décembre au large de Paros, ces deux hommes d’une trentaine d’années ont été identifiés d’après les témoignages des rescapés comme faisant partie des passagers de ce navire parti de Turquie pour rejoindre directement l’Italie. Au moins 18 demandeurs d’asile – Syriens, Kurdes, Palestiniens – sont morts, mais plusieurs dizaines sont toujours recherchés.

Les 22 et 23 décembre déjà, deux autres incidents au large de l’île de Folegandros et près d’Anticythère, au sud du Péloponnèse, ont conduit à la noyade d’au moins 14 réfugiés. « Alors que les chances de retrouver des survivants sont minces, nous craignons qu’entre 46 et 71 personnes aient perdu la vie durant ces trois naufrages », note l’ONG Mare Liberum. En 2020, 102 exilés sont morts dans cette zone de la Méditerranée. En 2021, le nombre de disparus devrait être de plus de 80.

Folegandros, Anticythère ou Paros ne sont pas les destinations habituelles des migrants. Mais ces accidents successifs témoignent de la tentative des passeurs de contourner les patrouilles des gardes-côtes grecs et de l’agence européenne Frontex qui encerclent avec efficacité les îles proches de la Turquie comme Lesbos ou Samos. Ils veulent surtout éviter les refoulements, une pratique contraire au droit international qui consiste à ne pas enregistrer les demandeurs d’asile en Grèce et à les renvoyer de force vers les eaux territoriales turques.

Entre la Turquie et l’Italie, les tentatives de passage direct se sont multipliées, même avec des bateaux plus gros, comme cela fut le cas en octobre avec un ferry transportant près de 400 passagers. Les bateaux sont souvent vétustes et les migrants sont entassés, fréquemment sans gilet de sauvetage. La traversée, qui peut durer plus de deux jours pour atteindre l’Italie, coûte près de 9 000 euros.

« Ils partent des grands ports »

D’après Nikolaos Kokkalas, porte-parole des gardes-côtes grecs, environ 130 navires avec près de 13 000 migrants ont essayé en 2021 de rejoindre l’Italie depuis le rivage turc, en passant par la mer Egée et le sud de la Crète. « Ces grands navires ne partent pas des plages désertes, comme certains petits canots pneumatiques qui tentent de venir sur les îles grecques. Ils partent des grands ports, ce qui montre que la Turquie n’a pas le contrôle qu’elle devrait avoir dans ses propres ports. Lorsque 80 à 100 migrants montent sur un voilier, cela ne peut se faire sans que les autorités turques le voient », dénonce le ministre grec des migrations, Notis Mitarachi.

Le gouvernement grec a renforcé depuis 2020 le contrôle aux frontières avec l’aide de Frontex et se félicite régulièrement d’avoir diminué de près de 80 % les flux migratoires vers les îles du nord de la mer Egée. « Parce que notre pays garde de manière très efficace les cinq îles de la mer Egée qui avaient été ciblées dans le passé et l’Evros [le fleuve, qui marque la frontière terrestre au nord de la Grèce] avec l’extension du mur, les trafiquants empruntent d’autres voies », explique Notis Mitarachi. La direction de la police portuaire grecque a informé la Commission européenne et Frontex de la reprise de cette route pour obtenir plus de soutiens.

Pour les défenseurs des droits de l’homme, le durcissement de la politique migratoire opéré par le gouvernement conservateur depuis plus d’un an ne peut que conduire à des nouvelles tragédies, obligeant les exilés à emprunter des routes plus périlleuses. « Les refoulements et les conditions d’accueil déplorables dans les camps sur les îles comme moyen de dissuasion n’ont que pour résultat de réduire les arrivées par les chemins les plus sûrs », constate Efi Latsoudi, de l’ONG Refugee Support Aegean.

« Stratégie systématique »

Tommy Olsen, fondateur de l’ONG norvégienne Aegean Boat Report, soutient qu’il existe « une stratégie systématique de pushbacks mise en place par le gouvernement grec qui conduit les réfugiés à emprunter d’autres voies vers l’Europe ». Il estime que « le nombre de refoulements effectué en 2021 est en augmentation, 622 cas impliquant 15 589 personnes alors qu’en 2020 il y en a eu 324 avec 9 741 réfugiés refoulés ». La Commission européenne a appelé Athènes à mettre en place un mécanisme indépendant pour enquêter sur ces violations aux frontières. Mais le gouvernement grec a toujours nié ces accusations.

Autre souci de taille pour M. Olsen, qui a peur que ces naufrages se multiplient : « Les ONG menant des opérations de secours en mer ne peuvent plus travailler comme avant. » En septembre, une nouvelle loi a en effet interdit aux ONG d’entreprendre des sauvetages en mer, à moins qu’elles ne travaillent en étroite collaboration avec les gardes-côtes. Le non-respect est passible d’une amende d’au moins 500 euros par participant, d’au moins 3 000 euros pour l’organisation et d’une peine de prison minimale pouvant aller jusqu’à un an.

Marina Rafenberg(Athènes, correspondance)

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