Alors que le navire humanitaire s’apprêtait à porter secours à une embarcation en détresse samedi matin, les Libyens n’ont pas hésité à tirer des coups de feu à proximité des sauveteurs de SOS Méditerranée.

Nejma Brahim

26 mars 2023 à 10h43

Les équipes de l’ONG SOS Méditerranée, dont le navire humanitaire sillonne la Méditerranée centrale pour sauver les exilé·es tentant la périlleuse traversée vers l’Europe, sont encore en état de choc. Samedi 25 mars au matin, alors qu’elles avaient été alertées par la plateforme Alarm Phone au sujet d’une embarcation en détresse dans les eaux internationales, au large de la Libye, elles ont été la cible de tirs de la part des gardes-côtes libyens, arrivés rapidement sur place pour intercepter le bateau.

« L’Ocean Viking a maintenu une distance de sécurité avec l’embarcation et a tenté de joindre à de multiples reprises le patrouilleur libyen, en vain », indique l’ONG dans un communiqué publié samedi en fin d’après-midi. Les gardes-côtes libyens se seraient alors approchés, « à une courte distance », de l’Ocean Viking, et auraient menacé les équipes à bord à l’aide de leurs armes, « tirant plusieurs coups de feu dans les airs ». L’information n’a pas été confirmée ou infirmée par une autre source à l’heure où nous publions cet article.

Dans une vidéo diffusée par l’association, on peut voir et entendre plusieurs coups de feu tirés depuis le patrouilleur libyen, tandis que Luisa, coordinatrice des opérations de recherche de sauvetage (dont nous avions fait le portrait en 2021), tente de le joindre par radio VHF.

« Libyan coastguards, Libyan coastguards, you just shot in the air with your guns, can you please answer the VHF ? Ocean Viking is leaving the aera, don’t shoot on us ! » (« Gardes-côtes libyens, gardes-côtes libyens, vous venez de tirer dans les airs avec vos armes. Pouvez-vous répondre à la radio ? L’Ocean Viking quitte la zone, ne tirez pas sur nous ! »), peut-on entendre.

L’un des sauveteurs, arabophone, s’adresse directement à eux par radio pour leur répéter qu’ils quittent la zone. Mais les gardes-côtes ouvrent de nouveau le feu. « This is international waters, you can’t shoot on us ! » (« Ce sont les eaux internationales, vous n’avez pas le droit d’ouvrir le feu sur nous »), insiste-t-il. Les gardes-côtes libyens ont aussi tiré en direction des exilé·es, encore à bord de leur canot pneumatique. « Ils battaient aussi les gens avec un bâton pour les obliger à s’arrêter », ajoute Tanguy, chef des équipes de recherche et de sauvetage présent à bord du navire humanitaire.

Au moment des tirs, le sauveteur explique avoir vu un homme à bord du patrouilleur libyen, sur la passerelle, « avec un fusil automatique de gros calibre ». « Il a pointé son arme vers nous. Il a tiré une première fois en l’air, tout le monde est rentré à l’intérieur pour se mettre à l’abri. L’escalade a été très rapide », relate-t-il, précisant que la dernière fois que les gardes-côtes libyens ont ouvert le feu vers eux remonte à 2017. « On est censés se sentir comment si, à chaque fois qu’on s’équipe pour faire du sauvetage, on doit se demander si on va se faire tirer dessus ? »

Avec le soutien de l’Union européenne

« Le bateau [des exilé·es – ndlr] était surchargé, on voyait beaucoup de personnes sur les flotteurs, qui essayaient d’échapper aux gardes-côtes libyens, raconte Morgane Lescot, chargée de la communication à bord de l’Ocean Viking. J’ai suivi la scène aux jumelles par la suite et je les ai vus poursuivre le canot pneumatique en détresse, en tirant dans l’eau pour les empêcher d’aller plus loin. C’était d’une violence extrême. » Près de 80 personnes ont ainsi été interceptées et renvoyées en Libye, qui n’est pourtant pas considéré comme un « port sûr » compte tenu de la situation instable que connaît ce pays.

L’ONG allemande Sea-Watch, dont le navire humanitaire réalise lui aussi des missions de sauvetage en Méditerranée centrale, a déclaré avoir été témoin de « l’attaque » contre les équipes de SOS Méditerranée samedi et décrit une scène violente, poussant l’Ocean Viking à quitter la zone en opérant des « manœuvres dangereuses ».

L’avion de reconnaissance de Sea-Watch, le Seabird 2, a pu documenter l’interception de l’embarcation et constater qu’une personne exilée était tombée à l’eau. « Une violence et une violation du droit international cautionnées et financées par l’Union européenne », ajoute Sea-Watch dans un tweet. À lire aussi Interceptée par les garde-côtes libyens, elle finit par traverser mais perd son bébé

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Comme nous l’avions déjà souligné à travers le témoignage de Mandjou, un exilé secouru par l’Ocean Viking aujourd’hui installé en France, « la Libye vit de ce que l’Union européenne lui donne ». La création de sa zone SAR (de recherche et de sauvetage) a été financée par l’UE à hauteur de 8 millions d’euros, et près de 500 gardes-côtes libyens ont ainsi été formés et équipés avec l’argent européen entre 2016 et 2020.

Au total, depuis 2015,l’UE a injecté près de 700 millions d’euros en Libye, « au titre de divers instruments de financement » visant surtout à sous-traiter la gestion de ses frontières à ce pays tiers.

Malgré toutes les alertes documentées par les chercheurs, les ONG ou encore les journalistes, quant au non-respect des droits humains en Libye, aux kidnappings perpétrés par des milices ou aux nombreux cas de torture et de viol sur des femmes, hommes et enfants, l’UE continue de soutenir et d’encourager ce que tout le monde s’accorde à appeler aujourd’hui l’« enfer libyen ».

Nejma Brahim

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