La chercheuse Héloïse Fayet revient sur la proposition d’Emmanuel Macron de bâtir une coalition internationale contre le Hamas, à l’instar de celle qui combat les djihadistes de l’organisation État islamique. Elle en pointe l’imprécision et le manque de pertinence stratégique.  

Fabien Escalona

25 octobre 2023 à 17h19

La phrase, prononcée à Jérusalem par Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse commune avec le premier ministre israélien Benyamin Nétanayhou, a largement occulté le reste de ses propos« La France, a-t-il affirmé, est prête à ce que la coalition internationale contre Daech, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse lutter aussi contre le Hamas. » 

L’Élysée s’est empressé de clarifier cette étonnante proposition de services, en expliquant que la coalition déjà en place avait été mentionnée comme une « référence », et que tout dépendrait des « besoins » exprimés par les autorités israéliennes. Benyamin Nétanyahou lui-même n’a pas réagi à la suggestion, se contentant de goûter l’assimilation du Hamas à une organisation réprouvée par l’ensemble de la communauté internationale. Dans de nombreux pays arabes, comparer la force palestinienne à des promoteurs du djihad international est en revanche très mal perçu. 

En France, l’opposition de gauche s’est désolée de la confusion occasionnée. Le dirigeant socialiste Olivier Faure a regretté une « incroyable improvisation », en ajoutant : « La seule coalition dont la France devrait prendre la tête, c’est la coalition pour une paix durable. » Le député insoumis François Ruffin a pour sa part analysé la sortie présidentielle comme « un couplet sur le choc des civilisations ». À droite, en revanche, le dirigeant du parti Les Républicains, Éric Ciotti, s’en est félicité, au motif que « le Hamas, [ce serait] Daech ».

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À Hébron, le 22 octobre 2023, un palestinien brandit un drapeau du Hamas lors d’un rassemblement contre les frappes militaires israéliennes sur la bande de Gaza. © Photo Hazem Bader / AFP

Pour y voir plus clair, Mediapart a interrogé Héloïse Fayet. Chercheuse au Centre des études de sécurité, au sein du think tank de l’Institut français des relations internationales (Ifri), elle a publié l’an dernier une étude sur la « posture stratégique » de la France au Moyen-Orient, dans laquelle elle appelait à dépasser une « focale contre-terroriste ». Dans cet entretien, elle souligne que la mise en équivalence de tous les groupes dits « terroristes » de la région n’a pas de véritable pertinence stratégique. 

Mediapart : La proposition de « coalition » d’Emmanuel Macron suggère une mise en équivalence de l’État islamique (Daech) et du Hamas, qui partageraient une idéologie islamiste et des moyens d’actions terroristes. Mais peut-on vraiment traiter ces deux organisations de la même manière ?   

Héloïse Fayet : Tout d’abord, il faut préciser que cet amalgame n’a jamais été suggéré par des chercheuses ou des chercheurs travaillant sur ces deux entités. Il est le fruit d’une campagne de communication menée par les dirigeants d’Israël et leurs relais en France. Cette campagne a pu s’appuyer sur le fait que les actions commises par le Hamas, le 7 octobre dernier, ont rappelé les pires exactions de Daech. Pour le reste, les différences sont majeures.

Le Hamas est un groupe politique doté d’une branche armée, dont le champ d’action est circonscrit dans une zone géographique précise, à savoir les territoires palestiniens, qu’il affirme défendre contre l’État israélien. Il n’entend pas se projeter à l’étranger : le temps où des actes terroristes de groupes palestiniens étaient commis en Europe est révolu.

Une extension du mandat de la coalition [contre Daech] paraît extrêmement improbable.

Par contraste, Daech a tenté de bâtir un califat autoproclamé qui n’était reconnu par personne, et possédait des contours d’autant plus flous que l’objectif ultime était de rassembler tous les musulmans. Ses ennemis étaient et restent beaucoup plus nombreux, tandis que ses revendications ne s’inscrivent dans aucun « fait national ». De plus, les attaques terroristes de ce groupe ont récemment frappé l’Europe à plusieurs reprises.

Dans la même conférence de presse à Jérusalem, Emmanuel Macron a d’ailleurs aussi parlé d’Al-Qaïda. Il s’agit certes d’une organisation terroriste islamiste, mais plutôt en rivalité avec Daech. Rassembler des acteurs aussi différents sous une même bannière, surtout avec le Hamas, me semble assez confus.

De quoi parle-t-on quand on évoque la coalition contre Daech ? Quelles formes prend-elle concrètement ?

Il y a en fait deux coalitions. L’une est très large et politique. Dénommée en anglais The Global Coalition against Daesh, elle rassemble 86 partenaires, parmi lesquels l’Union européenne et l’Alliance atlantique, ainsi que des pays comme le Qatar et l’Arabie saoudite. Son objectif est de s’attaquer aux financements de Daech, et de soutenir la reconstruction des territoires libérés de sa domination.

L’autre est plus restreinte et militaire. Dénommée en anglais Combined Joint Task Force – Operation Inherent Resolve, elle rassemble une vingtaine de pays engagés dans un combat armé contre cette organisation, et dans le soutien aux forces irakiennes qui lui font face. L’opération Chammal en est la déclinaison française.

Le problème, c’est qu’on ne sait pas trop de quelle coalition a parlé Emmanuel Macron, et les explications ultérieures de l’Élysée n’ont pas véritablement permis d’éclaircir ce point.

L’Élysée s’est en effet sentie obligée de préciser les propos du président de la République. Finalement, il s’agirait de « s’inspirer » de la coalition contre Daech. Mais cela rend-il le projet plus compréhensible ou pertinent ?

L’idée de base consiste à tirer les leçons de la lutte contre Daech, pour les appliquer contre d’autres groupes terroristes. L’Élysée a écarté la piste d’une extension du mandat de la coalition existante, tant elle paraît extrêmement improbable. Le mandat actuel dépend en effet de plusieurs résolutions des Nations unies, et l’on n’imagine pas qu’en étant réorienté contre le Hamas, il puisse recueillir les mêmes soutiens (comme celui du Qatar), sans parler des blocages actuels du Conseil de sécurité.

Dans la même prise de parole d’Emmanuel Macron, on trouvait d’ailleurs déjà l’idée de « bâtir une coalition », qu’on suppose donc nouvelle. En rencontrant Mahmoud Abbas [le dirigeant de l’Autorité palestinienne, en rivalité avec le Hamas – ndlr], il a même parlé d’une simple « coopération », qui ne suppose pas la même exigence en termes de légalité internationale.

Mais dans tous les cas, cela pose le problème de l’aide concrète que d’autres pays pourraient apporter à Israël, qui est pourtant habitué à faire face au Hamas depuis trente ans. Et encore une fois, les groupes dont on parle sont en réalité très différents.

La proposition est d’autant plus déroutante qu’Emmanuel Macron a rappelé les fondamentaux de la position française sur le conflit israélo-palestinien. Cela semble cohabiter avec un discours de type « guerre contre le terrorisme », moins maîtrisé…

Le président de la République a saisi l’occasion pour envoyer un message à des milices chiites proches de l’Iran, mais ce n’est pas le meilleur moyen d’éviter « l’escalade » régionale contre laquelle il a justement mis en garde. D’autant plus que le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban ou les Houthis au Yémen sont des organisations territorialisées, poursuivant des objectifs locaux qui leur sont propres. On ne gagne pas grand-chose, analytiquement et stratégiquement, en les mettant dans le même sac.

On peut d’ailleurs noter qu’en Irak et en Syrie, les militaires de la coalition contre Daech doivent déjà sans cesse rappeler qu’ils sont là uniquement dans ce but, sous mandat de l’ONU, et n’ont pas l’intention de lutter contre les intérêts iraniens. Sur la base de ce soupçon, ils font l’objet d’attaques de milices chiites depuis quatre ou cinq ans. Les choses se sont accélérées depuis une dizaine de jours, les bases de la coalition militaire ayant subi au moins treize attaques de drones et de roquettes.

La proposition d’Emmanuel Macron n’est-elle pas une nouvelle maladresse, à l’heure où les Occidentaux peinent à faire partager leur agenda par les pays du « Sud global » ?

À ce stade, je dirais que le risque principal est surtout de ne pas être compris, et que cette proposition efface le reste de la visite du président sur place. Il a pourtant rencontré les dirigeants d’Israël et de l’Autorité palestinienne en rappelant l’attachement de la France à la « solution des deux États », et a été reçu par le roi de Jordanie avant de rencontrer son homologue égyptien…

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Même dans le monde occidental, je me demande si la proposition va être comprise. Une consultation de nos alliés aurait eu lieu auparavant, mais il n’est pas certain qu’ils s’attendaient à cette formulation.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un travail d’exégèse doit être fait pour rassurer sur les intentions de la France : en avril dernier, cela avait déjà été le cas à propos de Taïwan [Emmanuel Macron avait alors laissé penser que la montée des tensions était davantage due aux États-Unis qu’à la Chine – ndlr].

Fabien Escalona

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