Pire naufrage depuis 2016, la nouvelle catastrophe en Méditerranée révèle, une fois de plus, la politique macabre des dirigeants européens en matière d’accueil et de secours en mer.

Hugo Boursier • 15 juin 2023

Est-ce ainsi que les humains meurent
Un survivant d’un naufrage devant un entrepôt du port de la ville de Kalamata, en Grèce, le 14 juin 2023.
© Angelos Tzortzinis / AFP

Morbide hypocrisie. Alors que la Méditerranée s’alourdit de plusieurs centaines de corps morts après le terrible naufrage d’un chalutier dans la nuit de mardi à mercredi, en mer Ionienne, les autorités européennes – que ce soit les dirigeants des pays membres de l’Union européenne comme des institutions en lien avec le contrôle des frontières – se murent dans le silence coupable ou affichent d’effarantes réactions protocolaires.

Parti, selon plusieurs sources, de Tobrouk, une ville portuaire à l’Est de la Libye, le bateau embarquait 750 personnes, sans gilets de sauvetage, dans des conditions atrocement précaires. Une centaine de passagers ont pu être sauvés. Ils sont aujourd’hui pris en charge par les secouristes de la Croix-Rouge, effondrés de savoir qu’il en reste tant, inertes, au large de la Grèce. Sans que cela n’émeuve la diplomatie européenne, trop occupée à dresser des murs et des barbelés en Hongrie, en Pologne, en Lettonie, en Lituanie, en Bulgarie ou au Bélarus. Ou à financer la Turquie pour retenir les personnes exilées à sa frontière.

Car les noyés ont beau s’entasser dans les fonds marins de cette mer-cimetière, les chefs d’État et les agences européennes, comme Frontex, qui leur servent de bras armé, n’ont pas l’air de vouloir remettre en question la politique d’accueil des personnes exilées. À peine prennent-ils le temps de commenter ce naufrage – le pire depuis 2016.

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Kyriákos Mitsotákis, le premier ministre grec sortant engagé dans de futures élections législatives, fin juin, se dit « attristé par la perte de tant de vies innocentes ». Le matin même du naufrage, mardi 12 juin, le conservateur se félicitait pourtant d’avoir « réduit au minimum les flux migratoires ». Il est aussi accusé par plusieurs ONG de mener une politique répressive d’ampleur contre les exilés, en les refoulant illégalement aux frontières. Si le gouvernement provisoire a décrété trois jours de deuil national, le favoris du prochain scrutin va-t-il changer son programme, alors que la barre des 20 000 morts en Méditerranée a été franchie depuis 2020 ?

Dans le silence et la complaisance avec l’extrême droite, les dirigeants européens ne peuvent feindre une quelconque émotion.

De son côté, Emmanuel Macron n’a pas réagi, tout comme Georgia Meloni qui s’offrait, dimanche 11 juin, une visite en Tunisie munie d’un chèque d’1 milliard d’euros, en partie pour financer le contrôle des frontières du pays. La première ministre italienne d’extrême droite était accompagnée d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

Le comble du cynisme vient sûrement de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, qui confie sur Twitter, mercredi 14 juin, être « profondément ému(e) » par « les événements tragiques qui se déroulent au large de la Grèce ». Une agence visée par des enquêtes de presse et des rapports d’association révélant l’attitude violente de ses gardes et le refoulement illégal auquel elle recourt. La veille du naufrage, un de ses avions avait d’ailleurs repéré le bateau surchargé. Mais n’a pas daigné le secourir, prétextant, tout comme les gardes-côtes grecs, que ses passagers voulaient poursuivre leur traversée jusqu’en Italie.

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Dans le silence et la complaisance avec l’extrême droite, les dirigeants européens ne peuvent feindre une quelconque émotion après ce drame lorsqu’ils dessinent, avec minutie, depuis la crise migratoire de 2015, la nouvelle image de carte postale de l’Union européenne : une forteresse bordée d’un cimetière à ciel ouvert. Les rescapés, eux, devront encore traverser l’enfer administratif et le racisme qui les attendent une fois arrivés sur le continent. Et survivre, malgré le cauchemar de la traversée.

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