Le siège de la bande de Gaza se poursuit. Les autorités israéliennes ont donné 24 heures aux Palestiniens du nord de l’enclave pour évacuer vers le sud. Plus d’un million de personnes sont concernées. La bande de Gaza est toujours interdite d’accès aux journalistes étrangers. 

Céline Martelet

13 octobre 2023 à 20h03

Jérusalem-Est.– Vendredi 13 octobre, à 4 heures du matin, les téléphones portables des Gazaoui·es ont tous affiché le même message : « L’armée israélienne appelle à l’évacuation de tous les civils de Gaza City pour leur propre sécurité et à se déplacer vers la zone de Wadi Gaza. » L’armée israélienne a ajouté que les habitants des zones évacuées ne pourront revenir que lorsqu’ils en auront reçu le feu vert, parce que « les terroristes du Hamas se cachent dans les tunnels en dessous des maisons et dans les immeubles occupés par des civils innocents ».  

Près d’une semaine après l’attaque surprise de groupe armé islamiste, Israël donne 24 heures à plus d’un million de personnes pour abandonner leur domicile et tout laisser derrière elles. Mais pour aller où ? La majorité des Gazaoui·es n’ont pas de voiture. Et où trouver du carburant ? Israël a imposé un siège total de la bande de Gaza. La route principale pour rejoindre le sud a été endommagée par des bombardements. Des trous gigantesques coupent cette route en deux.

« Je n’ai plus de maison » Le message d’Ayman est arrivé ce vendredi 13 novembre à la mi-journée. Le Palestinien vivait dans un immeuble de Gaza City. Il avait heureusement eu le temps d’évacuer avec ses trois enfants et sa femme. La famille avait trouvé refuge ces 48 dernières heures dans un premier camp, mais Ayman a encore dû fuir en quelques minutes. « C’est une nouvelle Nakba », raconte-t-il. La Nakba correspond pour les Palestiniens  à l’exil forcé de 700 000 d’entre eux lors de la proclamation de l’État d’Israël en 1948. « Les gens qui n’ont pas de voiture ou de camionnette sont en train de marcher dans la rue. Des femmes et des enfants qui courent sur le bord de la route. Je ne peux m’arrêter de pleurer pendant que je conduis là. » Le Palestinien a connu l’offensive de 2014. Elle aussi très violente mais cette fois, il craque. « Nous sommes partis avec juste nos vêtements. On n’a pas d’eau, pas de nourriture. Rien pour les enfants. Plus d’argent. C’est horrible. » 

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Une famille montée sur une charrette tirée par un âne ainsi que des centaines d’autres Palestiniens transportant leurs biens fuient la ville de Gaza City le 13 octobre 2023. © Mahmud Hams / AFP

Sur les images qui nous proviennent de la bande de Gaza, on peut voir des familles entassées dans des voitures, d’autres à pied sur le bord de la route. Les villes du sud de l’enclave n’ont absolument pas la capacité d’accueillir un million de personnes, surtout après plus de quatre jours d’un siège total… 

423 000 personnes déplacées de force

Pour l’ONU, l’évacuation ordonnée par Israël est « impossible sans provoquer des conséquences humanitaires dévastatrices ». Le porte-parole de son secrétaire général, Stéphane Dujarric, appelle « fortement à ce que cet ordre […] soit annulé ». Une prise de position aussitôt qualifiée de « honteuse » par l’ambassadeur d’Israël à l’ONU.

Ces derniers jours, déjà 423 000 personnes ont été déplacées de force, contraintes de quitter leur quartier détruit ou sans domicile après la destruction de leur habitation. La grande majorité de ces déplacé·es a trouvé refuge dans les écoles gérées par l’agence des Nations unies pour les réfugié·es palestinien·nes (l’UNRWA). 

Ouvrez les yeux ! Vous savez ce qui se passe.

Fatima, une Gazaouie

Cet appel à évacuer laisse bien sûr présager une opération terrestre de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, et donc jusqu’à la ville de Gaza. Durant l’été 2014, un commando des forces spéciales israéliennes était entré dans l’enclave palestinienne. Une incursion de quelques heures mais demeurant assez proche de la barrière de séparation. C’est cette barrière que le Hamas est parvenu à franchir samedi dernier.

Fatima parvient à nous envoyer un audio depuis la bande de Gaza. La jeune femme est à bout de souffle, en colère : « Si je commence à vous décrire ce qui se passe, j’en ai pour des heures. Ouvrez les yeux ! Vous savez ce qui se passe. » Le fracas d’une bombe résonne derrière elle. Elle marque une pause et poursuit, après un long soupir. « Ce que vous voyez sur les réseaux sociaux, ce n’est rien par rapport à la réalité ici. Mais vos pays, en Occident, ont décidé de dire que nous avons tué ces Israéliens. Ils sont contre nous ! »

De nombreux réfugiés palestiniens vivent dans des camps autour de la ville. Des familles de pêcheurs pour certains, qui n’ont pas les moyens de fuir. Pas de voiture, pas de famille ou de connaissances pour les héberger dans le sud de l’enclave palestinienne. Alors ils n’ont d’autre choix que de rester.

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« Je n’ai plus de nouvelles de ma mère depuis plusieurs jours. Elle était dans un quartier qui a été bombardé. » Wahid est paralysé par l’angoisse depuis le début du siège israélien de la bande de Gaza. Il étudie en France. « Mon père ne sait pas où aller. Il m’a raconté que les gens quittaient Gaza City à pied. »

Des familles ont aussi décidé de venir se coller à l’hôpital Al-Shifa, le plus important établissement hospitalier de la bande de Gaza. Elles vont dormir dans les rues ou dans les jardins autour, en espérant que l’armée israélienne ne cible pas cet établissement où des centaines de blessé·es sont pris·es en charge. 

Tout au sud, le passage de Rafah qui permet d’entrer en Égypte est toujours fermé. Des centaines de Gazoui·es ont tenté encore aujourd’hui de traverser cette frontière mais sans succès. « C’est trop. Si je survis à tout cela, je pars d’ici. Je ne veux pas que mes enfants grandissent ici. Je vais trouver un moyen de rejoindre l’Europe ou n’importe quel autre endroit. Je te préviens ils vont nous couper aussi internet à partir de minuit. » Ce message était le dernier d’Ayman vendredi soir. Depuis, son téléphone est éteint. 

Céline Martelet

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