Par Marlène Panara Publié le : 23/05/2022

Les dernières données d’Eurostat, service de la Commission européenne chargé des statistiques, indiquent une augmentation globale du nombre “d’immigrés clandestins” dans l’UE. InfoMigrants fait le point sur ce qu’il faut comprendre de ces chiffres.

Ce que disent les statistiques : “Le nombre d’immigrés clandestins dans l’Union européenne a augmenté de 22% en 2021 pour atteindre 681 200 personnes”. 

Ce qu’il faut comprendre : D’abord, 22% d’augmentation ne signifie pas forcément 22% de nouvelles arrivées de migrants, un raccourci souvent sciemment utilisé par les politiciens de droite et d’extrême-droite. Derrière ces chiffres se cachent en fait des profils très distincts : Eurostat prend en compte les étrangers arrêtés pour être entrés irrégulièrement, ceux déjà là et identifiés en situation irrégulière sur le territoire, et enfin les personnes déboutées définitivement de leur demande d’asile. Les données distinguent ensuite, parmi ces personnes, celles qui ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement.

Ensuite, cette augmentation peut tout à fait s’expliquer par une surveillance plus accrue des autorités. “Avec des moyens de contrôles renforcés d’une année sur l’autre, on détecte forcément plus de personnes”, explique Laurent Delbos, juriste spécialisé en droits des étrangers.

Enfin, ce décalage entre 2020 et 2021 peut aussi s’expliquer par un contexte sanitaire changeant. “En 2020, les déplacements dans le monde ont été très largement limités à cause de la pandémie, donc il y a eu bien moins d’arrivées dans l’UE, et donc moins de détection d’entrées irrégulières”, affirme Laurent Delbos. En 2021, avec “un retour à la vie normale” quasiment observé dans tous les pays européens et la réouverture des frontières, “l’augmentation des immigrés irréguliers est tout à fait logique”, assure de son côté Zaid Al-Azm, avocat spécialiste du droit d’asile.

Ce que disent les statistiques : “La plus importante communauté d’immigrés clandestins est formée par les Syriens, suivis des Algériens et des Afghans. Le nombre d’Afghans présents de manière irrégulière dans l’un des 27 membres de l’UE a bondi de 55% par rapport à 2020”.

Ce qu’il faut comprendre : L’augmentation des ressortissants afghans dans l’UE est liée en partie à la chute de Kaboul, le 15 août 2021. À la suite du retour des Taliban, des centaines de milliers de personnes ont fui le pays. Mais beaucoup sont restées bloquées dans les pays frontaliers, au Pakistan ou en Iran. Pour Laurent Delbos, cette hausse s’explique surtout par “la prise en compte, dans les statistiques, des déboutés de l’asile probablement bien plus nombreux en 2021 qu’en 2020 dans l’UE”.

Malgré la crise économique et les multiples violences et atteintes aux droits de l’Homme qui secouent l’Afghanistan, l’Europe ne garantit pas pour autant la protection à ses ressortissants.

En France, si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a accordé l’asile à 75% des exilés afghans depuis l’été 2021, pour les autres, les déboutés, obtenir gain de cause se révèle ensuite très difficile. “De nombreux Afghans voient leur appel rejeté”, avait déploré Me Sylvain Saligari, avocat en droit des étrangers à InfoMigrants. Ces déboutés du droit d’asile deviennent alors sans-papiers, illégaux en France, mais sans possibilité d’être expulsés dans leur pays natal.

Pour Zaid Al-Azm, “l’Europe doit revoir sérieusement ses systèmes et politiques d’asile et d’immigration, car il est très injuste qu’un demandeur d’asile dont la demande a été rejetée soit contraint de vivre en France, par exemple, parce qu’il ne peut pas être renvoyé dans son pays d’origine”. De nombreux afghans errent ainsi pendant des années dans un no man’s land administratif. On les retrouve pour beaucoup dans les camps informels de Calais et du nord de Paris, dans des situations de grande précarité.

Des Afghans dans les rues de Pantin, au nord de Paris, en février 2022. Crédit : InfoMigrants
Des Afghans dans les rues de Pantin, au nord de Paris, en février 2022. Crédit : InfoMigrants

Pour ce qui est de la forte présence d’exilés syriens et algériens dans l’UE, Zaid Al-Azm avance les répercussions “des crises économiques, politiques et sociales” dans les deux pays. En Algérie, par exemple, après presque deux ans de manifestations contre le pouvoir en place, la parenthèse du “hirak” s’est bel et bien refermée en 2021. La morosité économique et la répression constante dans le pays poussent donc, presque chaque jour au printemps et en été, de jeunes Algériens à prendre la mer pour rejoindre l’UE via les côtes espagnoles.

En Syrie aussi, la crise actuelle explique aussi la forte présence de ses ressortissants dans l’UE. Dans le pays, après onze ans de guerre, plus de 90 % de la population vit dans la pauvreté. D’après l’ONU, l’insécurité alimentaire a atteint de nouveaux records : 12 millions de personnes souffrent de la faim chaque jour. Et près d’un enfant syrien sur deux n’est pas scolarisé. Beaucoup de personnes prennent donc le chemin de l’exil, d’abord dans les pays voisins, à la recherche d’une vie meilleure. “Mais les conditions de vie difficiles et les restrictions dont ils souffrent au Liban, en Turquie et en Jordanie” poussent nombre d’entre eux à partir pour l’Europe, affirme Zaid Al-Azm.

Une partie sera interceptée à ses frontières… et remplissent par là même les statistiques d’Eurostat. En 2021, d’après Laurent Delbos, il y a eu “une augmentation des détections aux frontières extérieures notamment du côté de Frontex”. Le premier pays d’origine appréhendé en Méditerranée orientale est, justement, la Syrie.

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