Le sociologue et démographe observe, dans un entretien au « Monde », que s’il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France, ce phénomène n’est selon lui que l’effet banal de la mondialisation.

François Héran, le 4 février 2010 à Paris dans son bureau.
François Héran, le 4 février 2010 à Paris dans son bureau. PATRICK KOVARIK / AFP

François Héran est titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France. Il explique que l’augmentation de la part des immigrés dans la population est un phénomène commun au monde occidental.

La droite a beaucoup axé sa campagne sur l’immigration. Certains crient au « grand remplacement ». Cela correspond-il à la réalité ?

En 2021, les préfectures ont délivré 272 000 premiers titres de séjour à des étrangers hors Union européenne. Si l’on enlève la migration saisonnière, cela fait 265 000, soit 0,4 % de population supplémentaire, dont il faut défalquer les départs et les décès. Nous sommes sous la moyenne européenne et sous la moyenne de l’OCDE. Les chiffres absolus maniés dans le débat public n’ont aucun sens, il faut raisonner en proportion, comme on le fait désormais pour les statistiques de santé publique. Même chose pour les demandes d’asile : de 2014 à 2020, l’Union européenne élargie en a enregistré 5,6 millions. C’est impressionnant à première vue, mais pour un ensemble de 524 millions d’habitants, cela augmente la population de 1,1 % en sept ans, si l’on fait l’hypothèse que tous les déboutés restent. En France, la proportion est de 1 %. Rien à voir avec une « invasion ».

Nous savons tous que, à l’échelle locale, les immigrés et leurs enfants peuvent représenter la majorité de la population : les données du recensement l’attestent. Mais les écarts sont considérables entre le centre-ouest du pays et le nord-est de l’Ile-de-France. Ces phénomènes de concentration s’observent dans tout le monde occidental.

Il est vrai qu’il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France. La part de l’immigration dans la population est passée de 7,3 % en 2000 à 10 % aujourd’hui. Si l’on regarde sur deux générations, l’immigration représente un quart de la population. D’après le dernier recensement, 44 % des immigrés sont nés au Maghreb et en Afrique subsaharienne, contre 20 % dans les années 1970 et 1980. Il y a une infusion durable et il ne faut pas s’en étonner. On le retrouve dans les pays voisins. C’est même davantage dans des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. C’est une réalité banale.

Que peut faire le politique face à cette réalité ?

Dans le domaine des migrations ordinaires, celles qui progressent chaque année au gré des mariages, des contrats de travail, des études, la capacité d’action des politiques est très limitée. Depuis qu’on a interdit l’immigration de travail en 1974, ce n’est plus le marché qui dicte les flux mais essentiellement la mise en œuvre des droits : la liberté d’épouser une étrangère ou un étranger, le droit d’asile, le droit de vivre en famille… Les sept lois votées sur l’immigration en quinze ans ont contenu les flux mais ne les ont pas réduits. Une idée fausse très répandue consiste à croire que l’immigration illégale est l’ennemie de l’immigration légale. La dernière enquête Elipa menée par le ministère de l’intérieur a montré que 40 % des personnes ayant obtenu un titre de séjour en 2018 en raison de liens familiaux étaient déjà sur le territoire français il y a neuf ans. Une bonne partie des « réguliers » sont passés par des périodes d’irrégularité.

L’obsession politique correspond-elle à une préoccupation des Français ?

Les deux phénomènes s’avivent mutuellement. Sur les douze heures de débats organisés entre les prétendants à l’investiture Les Républicains en novembre 2021, cinq ont porté sur l’immigration ou sur la sécurité, soit plus de 40 % du temps, alors que la première préoccupation des Français était le recul du pouvoir d’achat. La surenchère d’Eric Zemmour sur Marine Le Pen dans ce domaine a joué à plein. J’observe que, dans l’enquête « Fractures françaises » de septembre 2020, menée après l’expérience du premier confinement, la part des Français qui considèrent que « les immigrés en général ne font pas d’efforts pour s’intégrer » a reculé pour la première fois depuis 2013, passant de 60 % à 50 %. Une partie du public s’est rendu compte que les immigrés occupaient plus qu’à leur tour des emplois « essentiels » pour la continuité de la vie économique et sociale. Cela reste élevé, bien sûr, mais les résultats varient de 40 % pour les électeurs de gauche à 95 % pour les électeurs d’extrême droite. Les jugements sur la place des immigrés dans la société sont d’abord des jugements politiques.

Julia Pascual

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