Hossam Al-Madhoun, déplacé de Gaza City dans le camp de Nuseirat avec sa famille, a survécu à l’intensification des opérations israéliennes ce week-end. Il est parvenu à envoyer la chronique quotidienne qu’il tient de sa vie sous les bombes, avec quelques photos de son camp de réfugiés.

Hossam Al-Madhoun, acteur et metteur en scène palestinien résidant à Gaza, tient une chronique de sa vie quotidienne sous les bombes qu’il envoie, quand la connexion le permet, au photographe Jonathan Daitch, auteur du livre Voix du théâtre en Palestine pour lequel il l’avait rencontré. Celui-ci les traduit en anglais.

Nous vous proposons ici la traduction en français du dernier texte écrit par Hossam Al-Madhoun, reçu dimanche 29 octobre.

27 octobre soir

Allongé sur le matelas dans l’obscurité avec seulement une légère lumière provenant d’une pauvre petite bougie. J’ai fermé les yeux, espérant m’endormir, mais cela ne marche pas. 2 jours et 2 nuits sans une seule minute de sommeil.

Il est étonnant de constater à quel point les sens humains deviennent plus aigus et plus sensibles lorsque vous en perdez un. Comme les personnes aveugles dont l’ouïe devient plus fine. C’est ce qui m’est arrivé en fermant les yeux.

Pendant la journée, il y a beaucoup de bruit, beaucoup de sons : des sons de conversations, de paroles, de cris, de bombardements, d’explosions, de drones, de forces aériennes qui découpent le ciel en morceaux. Tous mélangés, de sorte que l’on ne peut se concentrer sur aucun d’entre eux.

Dans l’obscurité, dans le silence supposé total, et alors que j’étais allongée avec les yeux fermés, j’ai commencé à me concentrer davantage sur les sons qui m’entouraient : le bruit d’une feuille de plastique recouvrant la fenêtre dont le verre s’est déplacé sous l’effet de la brise nocturne ; la respiration et les soupirs de ma mère à côté de moi ; les battements de mon cœur ; le couinement des blattes des champs ; le bruit d’un oiseau qui rentre tardivement dans son nid ou qui s’envole de son nid à cause d’un bruit d’explosion ; un petit bébé qui pleure chez le voisin et sa mère qui le berce ; le balancement des branches des arbres qui bougent légèrement ; le cri d’un hibou qui vient de loin ; les chiens errants qui deviennent fous et aboient lorsqu’une bombe explose ; le bruit de quelques chats qui se battent.

Tous ces sons sont synonymes de vie, d’espoir, de lendemains qui chantent malgré tout.

D’autres sons viennent s’ajouter à tous les autres sons, les faisant disparaître, occupant l’air et l’atmosphère, envahissant le silence pour dire que la mort arrive, le son du drone militaire, dont le seul son similaire est celui de la machine à raser électrique, multiplié par cent, remplissant l’espace de son bruit agaçant que personne ne peut ignorer, ne serait-ce que l’espace d’un instant. Toute créature vivante est obligée de l’entendre, tout le temps : les humains, les animaux, les oiseaux, les arbres, même les pierres pourraient craquer à cause de la folie que ce son provoque. Cela ne me rappelle qu’une chose : la lente mise à mort par la torture au Moyen-Âge.

Les avions militaires qui passent, F 15 – F 16 – F 32 F je ne sais quoi, coupent le ciel comme un couteau traverse un morceau de beurre, emportant la mort partout où ils passent.

Le bruit des obus d’artillerie : boum. Chaque obus produit en réalité trois sons, l’écho du son répété : boum, boum, boum, commençant fort et s’éteignant en trois temps. Le bruit des fusées, très fort, très net. Si vous l’entendez, c’est que vous êtes en vie ! Il est si rapide que si la roquette frappe, vous ne l’entendrez pas. Lorsque quelqu’un à Gaza entend une roquette, il sait immédiatement qu’elle a touché d’autres personnes, laissant derrière elle la mort et la destruction. Nous le savons tous par expérience, nous l’avons appris à nos dépens au cours de plusieurs guerres contre Gaza. 

S’installer dans le noir en essayant d’ignorer les bruits de la mort et se concentrer sur les petits bruits de la vie, ce n’est pas facile, mais c’est ma façon de passer la nuit en espérant vaincre l’insomnie pendant quelques heures. 

Illustration 1

28 octobre. 8h30 du matin 

Nous nous sommes réveillés en réalisant que les téléphones portables que nous utilisions pour appeler notre fille Salma au Liban n’avaient pas de signal. Elle sera très inquiète si nous ne l’appelons pas à la première heure du matin. J’ai donc décidé d’aller à l’unité de soins de santé de l’UNRWA situé au milieu du marché du camp de Nuseirat. C’est ici que je devrais trouver une connexion à Internet pour la contacter via WhatsApp.

Je marche avec mon sac d’ordinateur portable sur le dos, un peu plus de 2 kilomètres de la maison à la clinique. Je contemple les destructions des deux côtés de la rue. Tous les jours, je me rends au marché en empruntant cette route et, tous les jours, il y a de nouvelles maisons détruites ou endommagées, dont beaucoup ont été bombardées avec leurs habitants dedans. Plus de 2000 personnes sont portées disparues, dont 830 enfants, tous sous les décombres, car il n’y a pas d’engins pour les enlever.

Illustration 2

Après 15 minutes de marche, un homme arrive sur une charrette en bois tirée par un âne. Je lui demande si je pouvais me joindre à lui et il m’a souhaité la bienvenue. Je me suis dit : « Je vais prendre une photo sur l’âne ». Je l’ai fait, puis je me suis dit : « Je devrais peut-être prendre quelques photos de la rue. » Je l’ai fait, puis j’ai pris un selfie. J’ai regardé ma photo. « J’ai l’air bien, j’ai peut-être besoin d’une coupe de cheveux, mais j’ai l’air bien ! » Malgré tout et n’importe quoi, j’ai l’air bien. Je me suis senti bien. Je me suis dit : « Hé, je suis encore en vie, ma famille aussi. Je n’abandonnerai pas ! 

Illustration 3

Comme d’habitude, le marché est plein de monde, mais visiblement pas plein de vie. J’ai écarté cette idée de ma tête. Je suis en vie. Arrivée à la clinique, pas d’internet, pas de téléphone, pas de portable, les Israéliens ont tout coupé. Mon Dieu, ma fille ?!!! Elle saura aux nouvelles que nous ne pouvons pas la joindre, elle ne peut pas nous joindre. Mon cœur est avec toi, mon bébé, je pense à toi, j’espère que mes pensées te parviendront, qu’elles t’assureront que nous t’aimons et que nous sommes toujours en vie. Une fille seule à l’étranger n’a personne d’autre au monde que ses parents.

J’ai laissé mon ordinateur portable à la clinique pour qu’il soit rechargé et je suis retourné au marché. Il y a de moins en moins de marchandises sur le marché, ce que vous pouvez trouver aujourd’hui, vous ne le trouverez peut-être plus demain, et les prix sont de plus en plus élevés. J’ai avec moi une liste d’achats à faire ; il y a des produits que je ne trouve plus : des bougies, des lentilles et de la farine pour faire le pain. Chaque magasin auquel je m’adresse me répond : « pas la peine de chercher, il n’y a rien, aucune marchandise d’aucune sorte qui entre à Gaza depuis 21 jours ! » J’ai rapporté toutes les quantités de riz et d’huile de cuisine que j’ai pu trouver, des haricots en conserve et de la nourriture pour mon chien, Buddy.

Je suis allé à la banque, je veux dire au distributeur de billets, car les banques ne fonctionnent plus depuis le 7 octobre. Le distributeur est éteint. J’ai encore un peu d’argent à la maison, cela couvrira nos besoins pour quelques jours encore, j’essaierai le distributeur un autre jour.

Je n’étais pas loin de la maison de mon collègue, où j’avais laissé de la farine il y a quelques jours. Je continue à marcher, j’arrive et son oncle, qui est un vieil ami, est assis là. Il s’est réfugié chez son frère après que son appartement a été détruit lors du bombardement de l’immeuble où il vit dans la ville de Gaza. Ce fut une agréable surprise de le voir sain et sauf avec toute sa famille. Il m’a dit qu’ils étaient partis un jour avant le bombardement de l’immeuble.

« Savez-vous ce qui est arrivé à Nael ? Il m’a demandé.

Non, quoi ?

Le 18 octobre, il était encore chez lui lorsque de très violents bombardements ont commencé dans son quartier. Ils ont décidé de partir, bien qu’il fasse nuit. Ils ont sauté dans la voiture, sans rien, et se sont rendus à l’hôpital Shifa pour se mettre à l’abri jusqu’au lever du jour. En arrivant, ils ont réalisé que son fils aîné, âgé de 23 ans, n’était pas dans la voiture, qu’il avait été oublié ! Ils sont devenus hystériques, pas moyen de revenir en arrière, un suicide absolu ! Ils ont commencé à appeler le fils, le portable sonnait, mais il ne répondait pas ! Des pensées sombres et mauvaises leur ont traversé l’esprit, la mère s’est évanouie ! Le père commence à appeler tout le monde, à dire “J’ai perdu mon fils, j’ai oublié mon fils à la maison !“ Plusieurs amis, dont moi, n’ont pas arrêter d’appeler. Le portable sonne mais personne ne répond, c’est un très mauvais signe ! Cela signifie qu’il lui est arrivé quelque chose. Les heures ont passé comme une éternité jusqu’au jour où le père est rentré chez lui en voiture. La maison était encore debout, il est entré, appelant bruyamment le nom de son fils. Enfin, il a entendu son fils répondre d’une voix très faible : “Je suis là”. Il s’est dirigé vers la voix, son fils était recroquevillé, essayant de se faire aussi petit que possible, sous les escaliers menant au deuxième étage. Son portable était à deux mètres de lui, mais il était en état de choc, si effrayé qu’il était incapable de ramper pour attraper le portable et répondre. Sans dire un mot, il a pris son fils, est retourné à l’hôpital Shifa, a rassemblé le reste de la famille et s’est rendu à Rafah.

Je me suis fait couper les cheveux dans la soirée.

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