Les familles endeuillées par l’organisation terroriste sont délaissées dans les commémorations autour de la fin du conflit algérien, déplore Jean-François Gavoury, fils du commissaire central d’Alger assassiné en 1961.

Propos recueillis par Frédéric Bobin

Evacuation d’une victime après un attentat de l’OAS contre une pharmacie à Alger, le 17 mars 1962. – / AFP

Lors d’une rencontre avec les représentants d’associations de rapatriés à l’Élysée, fin janvier, Emmanuel Macron avait qualifié de « massacre impardonnable » la tuerie de la rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962, dans laquelle ont péri plusieurs dizaines de partisans de l’Algérie française. Ce geste vis-à-vis des pieds-noirs succédait à d’autres manifestations de « reconnaissance » adressées aux harkis et aux familles d’Algériens pro-FLN (Front de libération nationale) victimes de la répression du 17 octobre 1961 à Paris. Un pas de plus dans une séquence mémorielle sensible dominée par le 60e anniversaire des accords d’Evian ayant soldé la guerre d’Algérie, le 18 mars 1962.

Mais toutes les victimes du conflit n’ont pas encore été honorées. Dans un entretien au Monde Afrique, Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury, commissaire central d’Alger assassiné par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) le 31 mai 1961, regrette que les morts causés par cette organisation terroriste pro-Algérie française aient jusqu’à présent été « passés sous silence » dans les hommages officiels. Une initiative est attendue ce mardi 8 février de la part de l’Elysée à l’occasion du 60e anniversaire de la répression d’une manifestation organisée par les partis et syndicats de gauche contre « les assassins de l’OAS » et pour la « paix en Algérie » à la station demétro Charonne, à Paris.

Comment jugez-vous cet acte de « reconnaissance » des « injustices » et des « drames » subis par les pieds-noirs d’Algérie lors de l’accession du pays à l’indépendance ?

Il est légitime que les victimes du 26 mars 1962 soient honorées. Cela ne me choque en rien. Soixante ans après, il est plus que temps de procéder à une reconnaissance générale de ce que fut la guerre d’Algérie. De la même manière, je ne suis pas choqué que les harkis se voient reconnaître les traitements inhumains qu’ils ont eu à endurer au lendemain du cessez-le-feu et obtiennent des compensations.

Ce qui me rend amer, c’est que les victimes de l’OAS soient à ce point délaissées. Déjà, le rapport de Benjamin Stora [remis au président de la République en janvier 2021] était silencieux, étrangement silencieux, sur la date du 8 février 1962, celle de la répression de la manifestation anti-OAS et en faveur de la paix en Algérie, au cours de laquelle neuf personnes ont péri au métro Charonne sous les coups de la police de Maurice Papon. Les victimes de l’OAS sont, au moment où nous parlons, les seules victimes de la guerre d’Algérie totalement oubliées par les pouvoirs publics depuis soixante ans. Je dis bien : les seules. Il n’en est pas d’autres.

La qualification de « massacre impardonnable » vous semble-t-elle convenir à propos de la tuerie de la rue d’Isly ?

Je sais gré au président d’avoir mentionné que la foule de manifestants de la rue d’Isly avait « été attisée par l’OAS ». C’est la première fois qu’au sein de l’Etat on précise que cette manifestation avait répondu à un mot d’ordre de l’OAS. Mais qualifier de « massacre impardonnable pour la République » l’usage de la force face à une manifestation à caractère insurrectionnel et appelée par une organisation criminelle peut placer le chef de l’Etat dans une situation délicate.

Si l’administration des anciens combattants et les services d’archives avaient été parfaitement transparents vis-à-vis du chef de l’Etat, ils n’auraient pas manqué de lui adresser les pièces relatives à ce dossier du 26 mars 1962. Car les archives existent bel et bien et elles tendent à démontrer de façon incontestable le fait que le 26 mars 1962, les malheureux musulmans composant le 4e Régiment de tirailleurs – où il n’y avait d’ailleurs pas que des musulmans – ont répondu en état de légitime défense à des tirs émanant de balcons et du toit de l’immeuble du 64 rue d’Isly. Les membres de ce régiment ont réagi instinctivement, en imaginant que ces tirs pouvaient provenir de la foule qu’ils avaient en face d’eux. Le président de la République a été tenu dans l’ignorance d’une réalité déjà reconnue comme un fait historique par des services relevant de son autorité.

« Nous attendons un geste mémoriel de la part du président en hommage aux victimes de l’OAS, qui sont au nombre de 2 700 »

Que demandez-vous précisément au chef de l’Etat ?

Les victimes de l’OAS sont représentées par deux associations. La première, Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons, est une association vouée à perpétuer le souvenir des six inspecteurs des centres sociaux éducatifs (CSE) en Algérie assassinés collectivement le 15 mars 1962 au CSE de Château-Royal, à Alger. La seconde, plus généraliste, est celle dont je suis le représentant légal : l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (Anpromevo). Nous attendons un geste mémoriel symbolique de la part du président de la République en hommage aux victimes de l’OAS, qui sont au nombre de 2 700 personnes – Européens comme autochtones –, sans compter les blessés.

L’OAS a visé, en Algérie et en France, des fonctionnaires, des magistrats, des élus, des enseignants, des journalistes, tous défenseurs des institutions de la République. Et bien sûr des policiers et des militaires, des gendarmes ou des soldats du contingent, tels ceux qui ont été tirés comme des lapins les 22 et 23 mars 1962 à Bab el-Oued (Alger). Le hasard veut que le procès des assassins de mon père, première victime de l’OAS au sein de la fonction publique, ait débuté le 26 mars 1962, le jour de la tuerie de la rue d’Isly.

Nous ne demandons pas d’argent pour toutes ces familles, parce que cela ne serait pas sain à nos yeux. Car il faut savoir que des militants de l’OAS ont, eux, réclamé et obtenu, aux frais du contribuable, des indemnités. En vertu de l’article 13 de la loi du 23 février 2005, ces tueurs ayant abattu nos pères et nos mères ont eu accès à des compensations financières du fait qu’ils avaient dû interrompre leur activité professionnelle pour se joindre aux factieux, s’étaient exilés pour échapper à la justice et n’avaient pas pu cotiser pendant ce temps pour leur future retraite civile. Ces indemnités se sont élevées à 1 250 euros par trimestre, soit 5 000 euros par année. Des sommes substantiellement supérieures aux réparations accordées aux harkis qui, eux, s’étaient placés du côté de la République.

« Je ne connais pas les intentions du chef de l’Etat, mais je compte sur lui car il me semble témoigner d’un esprit d’ouverture »

Quelle forme pourrait prendre ce geste mémoriel de la part du président de la République ?

Nous n’attendons pas de lui de la compassion, mais de la compréhension de ce qu’ont été la douleur et les souffrances des familles des victimes de l’OAS, jusque-là complètement passées sous silence. M. Macron peut accomplir ce geste soit le 8 février, à l’occasion du 60e anniversaire de la répression du métro Charonne, soit le 19 mars, lors de l’anniversaire de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu consécutif aux accords d’Evian. Dans ce deuxième cas, il pourrait se joindre à la cérémonie tenue chaque année au matin de ce même 19 mars devant une stèle érigée en octobre 2011 par la ville de Paris à la demande de notre association en hommage aux victimes de l’OAS. Mais pour l’instant, je ne connais pas les intentions du chef de l’Etat. Je compte sur lui car il me semble témoigner d’un esprit d’ouverture. Je l’ai même trouvé extrêmement courageux d’avoir déclaré en aparté, à la fin de sa rencontre avec les rapatriés le 26 janvier à l’Elysée, qu’il ne reviendrait pas sur ses propos de 2017 à Alger assimilant la colonisation à un « crime contre l’humanité ».

Frédéric Bobin

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