Au sein de la communauté ukrainienne polonaise, qui compte près de 1,3 million de personnes, de nombreux hommes ont décidé de partir combattre l’offensive russe.

Par Jakub Iwaniuk(Varsovie, correspondance)

Un volontaire polonais s’apprête à partir combattre en Ukraine contre l’armée russe, à Medyka, en Pologne, le 26 février 2022.
Un volontaire polonais s’apprête à partir combattre en Ukraine contre l’armée russe, à Medyka, en Pologne, le 26 février 2022. VISAR KRYEZIU / AP

La gare routière de Varsovie-Ouest, en ce lundi 28 février froid et ensoleillé, fourmille plus que d’habitude. Les langues ukrainienne et russe dominent le brouhaha ambiant. Un bus du réseau de transport municipal a été converti en point d’information et d’aide de première nécessité pour les réfugiés arrivant de toutes parts.

Entre les passants, on distingue des hommes qui attendent, souvent seuls à côté de leurs bagages, cigarette aux lèvres, le regard dans le vide. Des volontaires ukrainiens pour la plupart, prêts à prendre le chemin inverse pour défendre leur pays. Depuis la gare ferroviaire voisine, ils arrivent de toute la Pologne.

Trois minibus arborant le drapeau ukrainien attendent à l’entrée du parking. « Pour nous, ce sera un aller simple », lance Sacha Hryc, mimant un tir de fusil. Ce chauffeur s’apprête à conduire huit volontaires dans la région de Dnipro, dans le centre du pays, à vingt heures de route. « Les Moscovites n’ont qu’à bien se tenir ! L’esprit de résistance est fort. Poutine nous a sous-estimés, il s’embarque dans une sacrée galère. »

Depuis le début de la guerre, une quinzaine de minibus prennent ainsi quotidiennement la route de l’Ukraine. Un important réseau de covoiturage s’est également mis en place, pour acheminer gratuitement des combattants jusqu’à la frontière, et revenir, en sens inverse, à Varsovie avec des femmes et des enfants réfugiés. La veille, près de deux cents personnes auraient ainsi pris la route vers l’est.

« La vérité est de notre côté »

Ivan Panasiuk, 36 ans, s’apprête à embarquer. « On ne peut pas rester là à ne rien faire. A présent, plus rien ne compte à part défendre notre terre. » Il vient de la région de Volhynie, dans l’ouest du pays, où il a laissé sa femme et sa fille. Il travaille depuis sept ans en Pologne, dans le secteur du bâtiment. « J’ai fait l’armée et j’ai toutes les formations militaires. Je veux m’engager dans l’armée régulière. Je passe voir ma famille et je me dirigerai vers le front. » Emu et la gorge serrée, il dit prendre la bonne décision parce que « la vérité est de [leur] côté. » « Gloire à l’Ukraine ! », s’écrit-il. La porte du minibus se referme.

La veille, lors de la manifestation de soutien à l’Ukraine devant l’ambassade de Russie à Varsovie – elle a réuni un millier de personnes –, Myroslava Keryk, la cheffe de la fondation Nasz Wybor (« notre choix »), la principale organisation ukrainienne en Pologne, a pris la parole sur l’estrade, en larmes. « Il y a encore cinq jours, je ne pouvais imaginer que j’allais aider mon mari à faire son sac pour qu’il parte à la guerre. Ça a été le plus dur jour de ma vie. Il y a beaucoup de garçons comme lui. Gloire à eux ! » « Gloire aux héros ! », a répondu la foule, reprenant la devise sacrée ukrainienne. Le même jour, Myroslava avait annoncé la nouvelle en postant une photo sur les réseaux sociaux avec son mari et sa fille de 10 ans. Tous s’efforçaient de sourire.

Son mari, Yuriy Taran, 43 ans, est sociologue de formation, diplômé avec mention de la prestigieuse académie Mohyla de Kiev. Depuis plusieurs années, faute d’avoir trouvé sa voie, il occupait à Varsovie des emplois alimentaires. Lors del’intensificationde la guerre dans le Donbass, en 2015, il avait hésité à s’engager, mais avait considéré que ses capacités d’aide à l’Ukraine étaient plus utiles depuis Varsovie que sur le front.

« Cette fois-ci, c’est différent, c’est une question d’ampleur, confie-t-il, joint par téléphone. J’ai pris cette décision par sentiment de responsabilité et de protection vis-à-vis de ma famille. Même s’ils sont en Pologne, c’est une manière de les protéger. » Le plus difficile, dit-il, a été la discussion avec sa fille. « Quand elle a vu mon sac à dos, elle a compris. C’était une scène comme dans un film. J’ai dû lui expliquer calmement. Elle a beaucoup pleuré, puis s’est calmée. Allez savoir ce qui se passe dans la tête d’un enfant de 10 ans… »

« Guerre fratricide »

Dans ses paroles et le timbre de sa voix, Yuriy fait preuve d’un calme étonnant. « Même si je ressens beaucoup de colère, j’essaie de mettre tous ces sentiments négatifs de côté pour me concentrer sur ce que j’ai à faire. » Désormais hébergé dans la ville de Lviv, dans l’ouest du pays, il s’est inscrit comme soldat volontaire au commissariat militaire et attend sa convocation. « Je suis à disposition, j’attends d’être formé. Mais je sens que ça peut prendre du temps. A Kiev, c’est différent, chaque homme se rendant au commissariat obtient immédiatement une arme et un gilet pare-balles. Mais la menace n’est pas la même. » Régulièrement, des bus pleins de volontaires partent de Lviv vers l’est ou le nord.

Pour Yuriy, avec cette attaque brutale, la Russie a « définitivement perdu l’Ukraine » et ne peut qu’inciter un maximum de volontaires à s’engager. « Il y a peu encore, les Ukrainiens distinguaient le peuple russe de ses dirigeants. Mais à présent cette distinction s’efface, il y a une haine grandissante. Cette guerre fratricide a bien le consentement de la population russe. Combien de protestations sur un peuple de 150 millions d’habitants ? Les Russes ont perdu l’âme des Ukrainiens. Ils se sont déshonorés en tant que nation et en tant que peuple. C’est pourquoi notre résistance n’est pas près de s’éteindre. » Deux jours à peine après le début de l’invasion russe, près de 20 000 Ukrainiens avaient déjà franchi la frontière pour rejoindre leur pays.

SERVICE INFOGRAPHIE DU « MONDE »

Jakub Iwaniuk(Varsovie, correspondance)

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