Dans les médias et sur les réseaux sociaux samedi 7 octobre, les Israéliens ont suivi en temps réel l’attaque du Hamas sur leur territoire, attendant pendant de longues heures une réaction officielle.

Emmanuelle Elbaz-Phelps

7 octobre 2023 à 20h07

TelTel-Aviv.– Une maman chuchote au téléphone, elle supplie le journaliste en plateau : « Envoyez-nous l’armée, on vous en prie, les terroristes du Hamas sont derrière la porte, ils vont tuer mes enfants. » Danny Kushmaro, présentateur star du 20 heures de la chaîne Keshet 12, la plus regardée du pays, n’est de coutume jamais en plateau un samedi, encore moins un samedi matin de fête juive de Sim’hat Torah (célébrant la fin du cycle annuel de lecture de la Torah, récitée partie par partie chaque semaine à la synagogue). Sa présence est de très mauvais augure.

« Pouvez-vous parler plus fort, je vous entends à peine », répond-il désemparé à cette habitante d’une localité au sud du pays. Une autre ensuite, d’une localité voisine : « Mon père, ils ont enlevé mon père dans sa maison! Nous sommes barricadés. Où est l’armée? Pourquoi personne ne vient nous aider? » Elle pleure, la voix étouffée par la peur.

Ce samedi 7 octobre, jour d’une attaque sans précédent du Hamas sur leur territoire, les chaînes de télévision et les stations de radio ont interrompu leurs programmes du week-end, pour passer à l’info en continu. Mais l’information se fait attendre. Les heures passent et ni l’armée, ni le gouvernement ne communiquent. Les studios télé se font standards téléphoniques, relais entre les civils désemparés et l’armée, absente. « Nous promettons de faire passer le message », dit le présentateur. Scène hallucinante. 

Illustration 1
Des journalistes se mettent à couvert pendant des affrontements entre des soldats israéliens et des combattants du Hamas près du kibboutz Gevim, près de la frontière avec la bande de Gaza, le 7 octobre. © Photo Oren Ziv / AFP

Il était 7 h 30 quand les habitants de Tel-Aviv et du centre d’Israël ont été réveillés par une alerte aux roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Il a fallu courir le plus vite possible avec les enfants, en pyjama, à l’abri le plus proche – une pièce sécurisée dans la maison ou l’immeuble pour ceux qui en disposent. Ou au moins trouver refuge dans la cage d’escalier de l’immeuble, loin des fenêtres.

Et puis une détonation, qui semble trop proche cette fois. Tout Israélien est expert en analyse du son de roquettes : « Celle-là est tombée en mer », « Tiens, celle-ci a été interceptée », « C’est au moins à 30 km »… Cette fois, le son est différent, court, il claque. Il y a impact : la roquette a percuté un immeuble en plein centre de Tel-Aviv. Pas de blessés, uniquement quelques dégâts matériels.

En sortant de l’abri, c’est la stupeur : voilà presque deux heures que tout le sud du pays est soumis à une pluie de roquettes. Plus de 2 000 ont été tirées depuis la bande de Gaza, selon le décompte de l’armée. Et cette dangereuse salve se révèle être une tactique de diversion : pendant que le pays court se mettre aux abris, le Hamas s’y infiltre.

Des terroristes armés et déterminés à tuer sont désormais en Israël. Dans les localités proches de la bande de Gaza, ils passent de maison en maison, sonnent aux interphones, tirent sur des voitures, des passants, des familles. Dans la population, c’est l’incompréhension. Un cauchemar. 

« Nous sommes en guerre »

Comment est-ce possible ? Comment le Hamas, ce mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, a-t-il pu introduire des dizaines d’hommes loin sur le territoire ? Combien d’ailleurs, personne ne le sait. Et pendant de longues heures, aucune autorité officielle n’en parlera. Silence radio. 

Il aura fallu attendre un peu après 11 h 30 pour que le premier ministre Benyamin Nétanyahou, devancé par son ministre de la défense, ne publie une vidéo enregistrée sur ses réseaux sociaux.

« Nous sommes en guerre. Ce n’est pas une opération militaire, c’est la guerre », déclare-t-il. « J’ai donné l’ordre de tout d’abord nettoyer les localités des terroristes qui s’y sont introduits et cette action est en cours ces heures-ci. En parallèle, j’ai donné l’ordre de procéder à une vaste mobilisation de réservistes et de riposter avec une force et envergure que l’ennemi ne connaît pas. L’ennemi va payer un prix sans précédent… Nous sommes en guerre et nous allons la gagner. »

Les localités assiégées par le Hamas, dont Nétanyahou a parlé à 11 h 30, l’étaient encore à la tombée de la nuit. Plus de dix heures de combat sans que Tsahal, l’armée israélienne, ne parvienne à reprendre le contrôle. Des dizaines de civils sont coincés. Et s’ils sont pris entre les coups de feu, c’est bon signe : cela signifie que l’armée est sur place.

Des dizaines d’Israéliens sont morts. Au moins 100 selon le décompte des services de secours, mais dont beaucoup doutent – dans la soirée, le décompte montait selon les médias à 250 victimes, et dans la nuit, les autorités israéliennes diffuseront finalement un bilan évoquant au moins 300 morts –, et plus de 1 000 blessés. Et puis cet aveu officiel un peu avant 18 heures, secret connu de tous depuis des heures : des Israéliens et Israéliennes ont été pris en otage. Ils sont désormais détenus dans la bande de Gaza.  

Vidéos d’otages

Les comptes du Hamas et autres factions palestiniennes diffusent toute la journée un déluge de vidéos sur les réseaux sociaux. X (ex-Twitter), Instagram, TikTok, l’info est là. Pas authentifiée officiellement, mais facilement recoupable : on y voit des jeunes, sortis d’une rave-party écourtée par les roquettes, fauchés par le Hamas alors qu’ils cherchaient un abri à proximité.

Certains de leurs camarades survivants sont jetés à terre, les mains attachées derrière le dos. Le visage de l’un est marqué de sang, le tee-shirt de l’autre est déchiré. Tous ont la peur dans les yeux. Quelques minutes plus tard, la photo de l’un apparaît sur un post Facebook. Il y est souriant, léger, différent de cet homme devenu victime. Un membre de sa famille le cherche, demande de l’aide : quelqu’un l’a peut-être vu à la fête, pourrait donner de ses nouvelles ? La vidéo de son enlèvement lui arrivera bien vite.

Il manque des soldats, s’il vous plaît, que quelqu’un dise à la télé qu’il faut envoyer des renforts.

Un des messages circulant sur les réseaux sociaux

Une vieille dame est vue sur la banquette arrière d’une voiture conduite par des membres du Hamas, retournés dans la bande de Gaza avec elle. Sur les réseaux sociaux, circule l’image d’une mère enlevée avec ses bébés, enlacés dans ses bras sous une couverture. 

« Il manque des soldats, s’il vous plaît, que quelqu’un dise à la télé qu’il faut envoyer des renforts. » Les messages continuent d’affluer sur des groupes WhatsApp de toutes sortes. Un journaliste du quotidien israélien Haaretz n’a plus de nouvelles de son fils depuis que celui-ci lui a dit être en planque, encerclé par des hommes armés du Hamas.

Il essaie de trouver une arme, demande à l’armée l’autorisation d’approcher les lieux, elle lui est refusée. Il tient le public en haleine sur X, y publie le dernier message échangé avec son fils. Il finit par appeler Yaïr Golan, ancien député du parti de gauche Meretz, ancien général dans l’armée et fervent opposant au gouvernement Nétanyahou et aux changements prévus pour entamer les pouvoirs du système judiciaire. « Il m’a demandé où il se trouvait et a dit : “Je vais te le chercher.” Ils sont déjà en voiture, sur le chemin du retour. » Soulagement pour ses followers sur les réseaux. 

D’autres regardent en boucle les corps, parfois de leurs proches, gisant sur la chaussée. Ou ne savent à qui parler de leur oncle, père, cousine, enlevé·e vers un autre monde, celui du Hamas à Gaza. 

 Quid du renseignement ?

Aux lèvres de tous, la comparaison avec la guerre de Kippour, quand le jour du Grand Pardon de 1973, Israël a été surpris, sonné, par l’attaque coordonnée des armées égyptienne et syrienne. 

Il est tôt pour l’analyse. Mais pas trop tôt pour poser les inévitables questions : comment l’armée israélienne a-t-elle pu être prise à ce point au dépourvu ? Selon le journaliste Ben Caspit, une partie de la réponse résiderait dans le fait que la « division de Gaza », postée généralement à la frontière, avait été envoyée en Cisjordanie.

Son objectif : protéger les colons qui avaient hier initié une énième provocation dans le village palestinien de Hawara, en y montant une Soucca (cabane de la fête de Souccot, qui s’est achevée le 6 octobre, historiquement célébrée à l’occasion des récoltes). Quelques heures plus tôt, un palestinien avait tiré sur une Israélienne enceinte dans sa voiture. L’armée au service des colons, une priorité du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël.

Explication insuffisante cependant. Une opération de la sorte, avec infiltration simultanée du Hamas par voie terrestre, aérienne et maritime, demande forcément une préparation minutieuse et longue. Quid donc du travail des unités de renseignement? 

Samedi soir, nombre d’Israéliens étaient encore en état de siège. Les autres, loin des localités du sud, restent chez eux, portes verrouillées, prêts à courir se mettre à l’abri en cas d’alerte à la roquette, comme celles qui ont à nouveau retenti à Tel-Aviv à la mi-journée, puis en début de soirée.

À lire aussi « C’est la première fois que des commandos occupent une partie du territoire israélien »

7 octobre 2023

Les rues sont désertes, les écoles du pays resteront fermées ce dimanche, journée qui devait marquer la rentrée scolaire après deux semaines de vacances. Des hélicoptères et des avions de guerre grondent de temps en temps dans le ciel. Ils sont certainement en route pour Gaza, où l’armée israélienne a entamé sa riposte avant la fin de la tenue du conseil de sécurité en début d’après-midi. On y fait déjà état de près de 200 morts. 

La guerre sera longue. Elle sera politique aussi. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, s’est déclaré prêt à former un gouvernement « professionnel d’urgence » avec le premier ministre Nétanyahou. Ce à quoi l’entourage du premier ministre a déjà répondu par la négative, assurant avoir la tête au combat, pas à la politique. 

Le mouvement qui manifeste depuis 40 semaines contre le gouvernement et ses ambitions populistes a annulé samedi soir ses rassemblements dans le pays. L’humeur est à l’appel à l’unité, à la détermination. Mais aussi au deuil, à l’angoisse, et à l’anticipation du choc des morts que l’on enterrera bientôt des deux côtés. 

Emmanuelle Elbaz-Phelps

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.