Alors qu’un nouveau centre de rétention administrative vient d’ouvrir à Lyon et que les capacités d’enfermement de personnes étrangères sans papiers ont doublé ces quatre dernières années dans l’Hexagone, associations et chercheurs dénoncent des conditions de rétention outrepassant le cadre légal.

Eugénie Barbezat

Centre de rétention de Lyon © Jeff Pachoud / AFP

En 2019, le gouvernement Macron annonçait la construction de trois nouveaux centres de rétention administrative (CRA) à Lyon, Bordeaux et à Olivet près d’Orléans. Ce sont les premières constructions de CRA depuis près de dix ans, mais ces dernières années, des centaines de nouvelles places ont été créées et les taux d’occupation des CRA ont continué d’augmenter (agrandissement, extension, rénovation) et de nouveaux projets sont déjà en cours. Dernier exemple en date, l’ouverture lundi 17 janvier, à Lyon, d’un nouveau centre, avec une capacité de 140 places. Cela traduit une politique répressive qui s’accompagne d’une volonté manifeste de criminaliser les personnes retenues en vue de leur expulsion du territoire français car n’ayant pas les documents administratifs nécessaires pour y séjourner.

« Carcéralisation »

Sans doute pour justifier aux yeux de l’opinion publique l’enferment massif d’hommes, de femmes et d’enfants, on les assimile de plus en plus souvent à des repris de justice. «  On constate une carcéralisation des lieux de rétention, note le géographe au laboratoire Migrinter de Poitiers, Olivier Clochard. Tout est fait pour entretenir la confusion : les centres de rétentions sont souvent entourés de clôtures barbelées, les retenus régulièrement menottés, fouillés à nu, ils peuvent même y être placés à l’isolement. » Pourtant, de nombreux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains recommandent « d’éviter tout rapprochement avec l’environnement carcéral pour les personnes en rétention administrative ».

En effet, les conséquences d’un placement à l’isolement dans une cellule spartiate, mal éclairée et parfois sans point d’eau pendant plusieurs heures peuvent être délétères. « On nous a rapporté des cas de suicides à l’issue de ce type de mesures disciplinaires, qui ne sont normalement possibles qu’en cas de menace de l’ordre public. En réalité, le placement à l’isolement est bien plus largement utilisé, sans cadre légal », explique Maud Hoestlandt, la directrice des affaires juridiques auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Olivier Clochard voit dans ces mesures «  une volonté de fragilisation et de déstabilisation des étrangers en situation irrégulière qui s’inscrit dans une politique plus globale ».

« Pire que la prison »

D’ailleurs les allers-retours entre prison et rétention sont de plus en plus fréquents. Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) punit de trois ans de prison le fait pour un étranger de tenter de se soustraire à une expulsion. Cela en conduit bon nombre d’entre eux à passer de la rétention à la prison. C’est aussi désormais le cas de ceux qui refusent le test du Covid, nécessaire à un embarquement.

La crise sanitaire et la fermeture des frontières ont renforcé l’illégalité de la rétention. Sans perspective d’éloignement, les préfectures continuent d’enfermer des personnes pour une durée pouvant aller jusqu’à 90 jours, au mépris de la loi qui stipule que la rétention ne peut être maintenue qu’en vue d’une expulsion. «  L’article 15 de la directive retour précise bien que le placement en rétention doit être aussi bref que possible et que les personnes doivent être libérées s’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement, pointe le géographe. Or on constate des durées d’enfermement de plus en plus longues. Et les retenus témoignent de conditions parfois “pires que la prison”. »

Des constructions modulaires insalubres

Hormis les centres de rétentions « officiels », d’autres lieux d’enfermement sont créés de manière plus sauvage, où sont placées des personnes en attente de leur refoulement, notamment à la frontière franco-italienne. C’est le cas à Menton, dans les Alpes-Maritimes, et à Montgenèvre, dans les Hautes-Alpes, où des constructions modulaires particulièrement insalubres, attenantes aux locaux de la police aux frontières, servent, depuis 2015, à enfermer des étrangers avant qu’ils ne soient remis aux autorités italiennes.

« Des femmes, des hommes, des familles avec des enfants en bas âge, des mineurs isolés, des demandeurs d’asile peuvent y passer plusieurs heures voir plusieurs jours dans des conditions indignes et en dehors de tout cadre légal », a constaté Judith Marcou, chercheuse en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et observatrice pour l’Anafé. La doctorante analyse ces pratiques comme «  une banalisation de l’enfermement des personnes étrangères ».

Les préfectures se défaussent

Par ailleurs, depuis fin novembre 2015, les contrôles aux frontières intérieures de l’Europe sont de nouveau en vigueur, dans le cadre de mesures d’urgences qui ont été pérennisées. Des pratiques illégales comme les contrôles discriminatoires (au faciès), des procédures de refus d’entrée expéditives, la violation du droit d’asile et des privations de liberté illégale en découlent, en dehors de toute possibilité pour les associations et les élus de les constater et de pouvoir les faire cesser. En effet, l’accès aux lieux d’enfermement leur reste impossible malgré des décisions récentes des tribunaux administratifs de Nice et de Marseille, qui enjoignent les préfectures à cesser les refus d’accès. Les préfectures se défaussent en qualifiant ces locaux de « lieux de mise à l’abri » et non de « lieux de privation de liberté ».

«  Cette euphémisation est teintée de noire ironie. Il serait plus juste de parler de locaux de mise en danger réservés à des individus déjà fragilisés par la violence de leur trajet migratoire », s’insurge Judith Marcou. Elle a recueilli le témoignage de plusieurs d’entre eux. Un homme lui a indiqué qu’il n’avait pas eu la possibilité de demander l’asile. Des informations fausses avaient été indiquées sur son « refus d’entrée ».

Violation du droit d’asile

Autre exemple : En 2020, une femme de nationalité centrafricaine a été interpellée en gare de Menton avec un enfant de 5 ans, très malade et portant une sonde à l’estomac. Conduite à la PAF, elle s’est vue refuser le droit de déposer une demande d’asile et a été refoulée après plusieurs heures d’enfermement. Elle a dû aller jusqu’à saisir le Conseil d’État pour faire valoir son droit d’asile. Cette instance a donc reconnu la violation du droit d’asile à la frontière mais il laisse la situation perdurer. Et n’ordonne pas la fermeture de locaux, dont elle reconnaît, par ailleurs, que leur utilisation conduit à des violations des droits humains.

«  Le comble, c’est que, légalement, rien n’impose que les personnes refoulées soient remises à la police italienne. Elles pourraient simplement être conduites de l’autre côté de la frontière sans avoir à être retenues le temps que les autorités de l’autre pays ne viennent les chercher. Je subodore que les autorités agissent ainsi au nom d’un accord bilatéral, plus ou moins officiel entre les polices française et italienne », dénonce Patrick Henriot du Gisti.

Une politique répressive et attentatoire aux droits qui pourrait être encore aggravée par le pacte européen Asile immigration, porté par la France dans le cadre de sa présidence de l’UE. Celui-ci vise explicitement à «  améliorer les performances en matière d’éloignement et limiter le risque de fuite ». Même s’ils n’y sont pas explicitement détaillés, les dispositifs d’enfermement feront assurément partie de l’arsenal pour y parvenir.

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