Le rédacteur en chef de « Novaïa Gazeta », colauréat du prix, a fait observer un moment de silence pour les reporters tués dans l’exercice de leur profession.

Le Monde Publié le 11 décembre 2021 à 14h27 – Mis à jour le 11 décembre 2021 à 15h03

La lauréate du prix Nobel de la paix Maria Ressa et son co-lauréat, Dmitri Mouratov, lors de la cérémonie de remise du prix, le 10 décembre 2021, à Oslo.
La lauréate du prix Nobel de la paix Maria Ressa et son co-lauréat, Dmitri Mouratov, lors de la cérémonie de remise du prix, le 10 décembre 2021, à Oslo. ODD ANDERSEN / AFP

A l’Hôtel de ville d’Oslo, la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix 2021, qui s’est tenue vendredi 10 décembre, a été l’occasion de faire le point sur l’état de la liberté d’informer dans le monde. « Le journalisme en Russie traverse une période sombre », a regretté le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta Dmitri Mouratov, colauréat du prix.

Connu pour ses enquêtes sur la corruption et les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie, son média a vu six de ses collaborateurs tués depuis les années 1990, dont la célèbre journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006. « Je veux que les journalistes meurent vieux », a-t-il déclaré, avant de faire observer un moment de silence pour les reporters tués dans l’exercice de leur profession.

Outre les assassinats dont leurs collègues ont fait l’objet, une centaine de journalistes, médias, défenseurs des droits humains et ONG se sont vus empêchés de travailler après avoir été classés comme « agents de l’étranger » par le ministère russe de la justice.

Un statut infamant, censé viser ceux qui reçoivent un « financement étranger » et mènent une « activité politique », auquel échappera probablement M. Mouratov – quand bien même le président russe, Vladimir Poutine, a prévenu que le prix n’était pas un « bouclier ». « Je pense qu’au cours des trente années d’existence de notre journal, nous avons fait tant de choses positives pour le pays que nous déclarer “agents de l’étranger” serait néfaste pour la puissance de notre pays » et « serait quelque chose de stupide », a déclaré le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta à l’Agence France-Presse. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix « au nom des journalistes russes victimes de répression »

Critique des réseaux sociaux

Sa colauréate, la journaliste philippine Maria Ressa, a lancé une virulente attaque contre les géants technologiques américains, coupables selon elle de laisser par cupidité se déverser « une boue toxique » sur les réseaux sociaux.

Cofondatrice du site d’information Rappler, la journaliste s’en est prise aux « entreprises américaines de l’Internet » comme Facebook, Twitter et YouTube, sans les nommer explicitement. « Ces entreprises américaines (…) sont fâchées avec les faits, fâchées avec les journalistes. Par nature, elles nous divisent et nous radicalisent », a-t-elle expliqué, en précisant que leur technologie « a permis au virus du mensonge d’infecter chacun de nous, nous dressant les uns contre les autres, faisant ressortir nos peurs, notre colère et notre haine, et préparant le terrain pour la montée des dirigeants autoritaires et des dictateurs ».

Aux manettes de Rappler, un site très critique du président philippin, Rodrigo Duterte, Mme Ressa est l’objet de sept poursuites judiciaires dans son pays qui pourraient, selon elle, lui valoir au total une centaine d’années de prison. Condamnée pour diffamation l’an dernier mais en liberté conditionnelle, elle a été contrainte de demander à quatre tribunaux la permission d’aller chercher son Nobel.

Record de journalistes emprisonnés

Au 1er décembre, au moins 1 636 journalistes avaient été tués sur la planète en vingt ans, selon un bilan de Reporters sans frontières, dont 46 depuis le début de l’année. Par ailleurs, avec 293 reporters derrière les barreaux, jamais le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde n’a été aussi élevé, d’après le Comité pour la protection des journalistes.

« Rapporter l’information au public peut en soi prévenir la guerre », a résumé la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen : « Le rôle de la presse est de lever le voile sur les agressions et les abus de pouvoir, et de contribuer ainsi à la paix. »

La cérémonie d’Oslo a aussi vu le chef du Programme alimentaire mondial, David Beasley, prononcer le discours de remerciement pour le Nobel attribué l’an dernier à l’agence humanitaire de l’ONU. En 2020, les festivités avaient été annulées à cause de la pandémie.

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