Après les attaques qui ont fait sept morts à Jérusalem-Est, au lendemain d’un raid meurtrier de l’armée israélienne à Jénine, Benyamin Netanyahou a approuvé les nouvelles mesures sécuritaires de ses alliés d’extrême droite. Depuis un an, Israël réprime massivement une insurrection palestinienne naissante.

Alice Froussard

29 janvier 2023 à 17h09

JérusalemJérusalem-Est (Jérusalem) et Jénine (Cisjordanie).– Il était presque 11 heures du matin ce samedi 28 janvier. Dans le quartier palestinien de Silwan, à Jérusalem-Est, cinq Israéliens se dirigent vers le mur des Lamentations en ce jour de shabbat. Un Palestinien de 13 ans, Muhammad Aliwat, résident de cette partie de la ville occupée et annexée depuis 1967 par Israël, les prend en embuscade. Il a un pistolet.

Des coups de feu retentissent. Deux colons israéliens s’effondrent, blessés : un père de 47 ans et son fils de 23 ans. Un autre colon, armé, riposte : il tire sur l’assaillant, qui tombe, blessé lui aussi et hors d’état de nuire. Quelques minutes plus tard, la police israélienne est sur place. Les ruelles de Silwan sont complètement bouclées, les deux blessés sont transportés vers un hôpital de la ville et l’assaillant est encerclé et arrêté.

Des soldats israéliens arrivent devant la maison familiale du tireur qui a tué sept personnes vendredi, dans le quartier d’Al-Tur à Jérusalem-Est, le 29 janvier 2023. © Photo Ahmad Gharabli / AFP

Il s’agit de la deuxième fusillade à Jérusalem-Est moins de 24 heures après une attaque meurtrière ayant fait sept morts et trois blessés la veille au soir, la pire commise contre des Israéliens depuis 2008. Quelques heures plus tard, l’ambiance est encore lourde à Silwan, dans ce quartier surpeuplé de la partie orientale de la ville, avec une vue imprenable sur le dôme noir de la mosquée al-Aqsa.

Au sol, il reste des traces de sang et sur une Toyota grise, des impacts de balles. Des étiquettes attestent du passage de la police israélienne, dont le niveau d’alerte a été renforcé au degré le plus élevé. « C’est effrayant, tout simplement effrayant. Deux fusillades en un week-end ! On peut sortir de chez soi et se faire tirer dessus », s’affole une jeune Israélienne.

La peur et l’insécurité

Près de 60 000 Palestiniennes et Palestiniens – dont une grande partie sont menacés d’être déplacés – vivent dans ce quartier aux ruelles escarpées, au milieu de plus de 500 colons. Ces derniers rachètent les maisons une à une, légalement, assistés par des organisations religieuses et extrémistes richement dotées qui utilisent des prête-noms. Ils y vivent ensuite barricadés, drapeau israélien sur le toit, au milieu des habitations palestiniennes, créant d’inévitables tensions. Les incursions de la police n’y sont pas rares, tout comme les arrestations, les démolitions de maisons ou les avis d’éviction.
À quelques kilomètres, de l’autre côté de la vieille ville, à Neve Yaacov, colonie israélienne de Jérusalem-Est, où a eu lieu la fusillade mortelle de vendredi soir, Yocha Israël, la soixantaine, raconte ce à quoi elle a assisté ce soir-là. Il était 20 heures lorsqu’un Palestinien a garé sa voiture et a visé les fidèles à la sortie de la synagogue, après la prière du soir, avec son arme.

« J’ai vu des atrocités ce vendredi, dit-elle. J’ai vu l’assaillant tirer sur certains de mes amis, dans leurs têtes. Il a essayé de tirer sur mon mari également, mais heureusement il va bien. » L’assaillant, Khairy Alqam, 21 ans, a été abattu par la police. Deux jours après cette attaque, Yocha précise qu’elle a peur et qu’elle ne se sent en sécurité nulle part. « Tout le monde me paraît suspect », affirme-t-elle.

Tant qu’Israël continuera cette politique, personne ne connaîtra la paix, la sécurité, la stabilité.

Mohammad Sabbagh, président du comité populaire du camp de réfugiés de Jénine

Ce même soir, aux sirènes des ambulances et de la police se mêlait un concert de klaxons, de pétards et de feux d’artifice. Des Palestiniens et Palestiniennes de Jérusalem-Est célébraient ainsi l’attaque, comme dans le reste de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza. « Ça me déprime de voir que notre société est tellement blessée et cassée qu’on en arrive à pouvoir célébrer la mort de cette manière »,souffle une jeune Palestinienne de Jérusalem. « Mais que voulez-vous attendre d’un adolescent qui a vécu toute sa vie sous occupation ? Qu’il apporte des fleurs ?,lance un autre, âgé de 35 ans. Malheureusement, nous sommes ceux qui vont en payer le prix. Le seul moyen de stopper tout cela, c’est de mettre fin à cet apartheid dans lequel nous vivons. »Quelques jours auparavant, l’armée israélienne avait tué neuf Palestiniens et blessé une vingtaine d’autres lors d’un raid dans le camp de réfugié·es de Jénine, au nord de la Cisjordanie, le plus sanglant depuis deux décennies. D’après l’armée, l’opération était surtout destinée à arrêter des combattants du Jihad islamique palestinien, soupçonnés d’avoir planifié « des attentats terroristes imminents en Israël »,selon Yoav Gallant, ministre de la défense.

« Il y avait des tirs dans tous les sens, les soldats tiraient sur tout ce qui bougeait, c’était une véritable boucherie »,racontait un habitant de Jénine, lors de l’enterrement de quatre des « martyrs » quelques heures après. Parmi les victimes ce jour-là, des combattants armés, mais aussi une mère de famille, Majda Obeid, tuée de deux balles – « une dans la nuque, une proche du cœur », selon son fils – alors qu’elle regardait les combats un peu trop près de sa fenêtre. « Tant qu’Israël continuera cette politique, personne ne connaîtra la paix, la sécurité, la stabilité,souffle Mohammad Sabbagh, président du comité populaire du camp de réfugié·es de Jénine. Ni les Palestiniens ni les Israéliens. »

Depuis un an, l’armée israélienne a renforcé sa répression

Il faut dire que depuis un an, Israël réprime massivement une insurrection naissante. Tout s’est accéléré au printemps dernier, après une vague d’attentats ayant fait dix-huit morts sur le territoire israélien. L’armée a ainsi lancé une vaste opération visant à « éliminer » une nouvelle forme de résistance armée : plus jeune, en dehors des partis traditionnels et concentrée principalement dans le nord de la Cisjordanie, dans la vieille ville de Naplouse ou à Jénine et dans ses villages alentour.

Chaque nouveau raid est accueilli par des tirs de combattants palestiniens armés et les opérations ne cessent de s’intensifier. En parallèle, l’absence de perspective politique dans ces parties du territoire palestinien n’arrange rien : l’Autorité palestinienne, affaiblie et complètement décrédibilisée, a perdu la main depuis des années et semble dépassée par la situation. L’année 2022 a ainsi été – d’après les Nations unies – la plus meurtrière pour les Palestiniennes et les Palestiniens en Cisjordanie depuis la fin de la seconde Intifada (2000-2005), et 2023 ne semble pas devoir inverser la tendance, avec une trentaine de morts en un mois.

« Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas une surprise, analyse Daniel Seidmann, avocat israélien du mouvement anticolonisation Terrestrial Jerusalem, spécialiste de Jérusalem. Cette vague de terreur ne sera pas facilement stoppée : chacun des terroristes avait une histoire. Celui de Neve Yaacov a dit que son grand-père avait été tué par un Israélien, celui de Silwan, 13 ans, a grandi dans ce quartier sous un régime colonisateur hostile. Cette vague se résoudra par deux choses : soit par un véritable processus politique – qui, en ce moment, n’a aucune chance d’émerger –, soit par une flambée de violences. »

Je veux que les Israéliens puissent se défendre.

Itamar Ben Gvir, ministre israélien de la sécurité publique

Avec Jérusalem au bord du précipice et un peuple israélien en deuil, l’enjeu est de taille pour le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Moins d’un moins après son investiture, il va devoir maîtriser sa nouvelle coalition. Il a l’expérience de ce genre de crise et sait que le calme ne vient pas avec plus de répression, mais, cette fois, le contexte a changé.

Face à une opposition montante et à des manifestations qui réunissent chaque samedi soir des dizaines de milliers d’Israélien·nes à Tel Aviv, celui que l’on surnomme « Bibi » semble de plus en plus dépendant de ses alliés d’extrême droite, ceux auxquels il a distribué les plus hauts postes sécuritaires. Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité publique, demande déjà de faciliter l’obtention du port d’arme pour les civils : « Je veux que les Israéliens puissent se défendre. Nous avons vu à Silwan comme cela a pu sauver des vies », a-t-il dit. À lire aussi Fortes tensions après des attaques meurtrières à Jérusalem

28 janvier 2023

Dans un premier temps, Benyamin Netanyahou a quant à lui exhorté « les gens à ne pas se faire justice eux-mêmes ». Mais le lendemain, à l’issue d’une réunion du cabinet, il a promis « une réponse forte et adaptée, avec calme et détermination », enapprouvant de nouvelles mesures : l’extension des permis pour le port d’arme, les droits à la Sécurité sociale révoqués des « familles de terroristes qui soutiennent le terrorisme » et leur maison murée immédiatement, avant d’être démolie.

« Effet dissuasif », selon Israël ; « châtiment collectif et vengeance du gouvernement », d’après les Palestiniens, qui n’y voient qu’un moyen de punir les familles qui se retrouvent ensuite à la rue. Un autre projet de loi visant à retirer la nationalité ou les cartes de résidence à cette même catégorie de familles – ce qui permettrait ainsi de les expulser – sera discuté lundi 30 janvier, en conseil des ministres.  

De Washington à Paris, les appels au calme lancés depuis les capitales étrangères se sont multipliés, mais ils résonnent ici dans le vide. Antony Blinken, secrétaire d’État américain, est attendu à Jérusalem et à Ramallah en début de semaine, afin d’évoquer des mesures en vue d’une désescalade – un déplacement programmé de longue date – mais dont la portée semble, là aussi, limitée.

Alice Froussard

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