Isabelle Clarke et Daniel Costelle tentent de comprendre ce qui a poussé quelque 200 000 « Français musulmans d’Algérie » à se ranger aux côtés des « colonisateurs » pendant la guerre d’Algérie (1954-1962).

Par Sylvie Kerviel Publié le 29 mai 2022 à 21h00 –

Le camp de Bias (Lot-et-Garonne) fait partie des camps de transit et de reclassement pour les harkis rapatriés en France à partir de l’été 1962.
Le camp de Bias (Lot-et-Garonne) fait partie des camps de transit et de reclassement pour les harkis rapatriés en France à partir de l’été 1962. RENÉ ATTARD/FRANCE TÉLÉVISIONS

FRANCE 5 – DIMANCHE 29 MAI À 22 H 50 – DOCUMENTAIRE

Traîtres dans leur pays, parias ici. Tel est le sort réservé aux harkis, ces Algériens qui se sont battus du côté des Français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), dont Isabelle Clarke et Daniel Costelle retracent l’histoire. S’appuyant sur des images d’archives exceptionnelles, des témoignages d’anciens harkis, de cadres de l’armée et d’historiens, le duo, qui, depuis des années, explore l’histoire contemporaine à travers des films percutants (dont la série Apocalypse), évoque le sujet de manière claire, honnête et nuancée.

« Si la génération précédente a débusqué les fantômes de Vichy, je pense que la nôtre et la suivante vont s’intéresser à ceux de la guerre d’Algérie, expliquait Isabelle Clarke, en 2010. Notre objectif n’est pas de dénoncer, mais de nous interroger, de comprendre et d’entamer un dialogue. » Les auteurs ont travaillé avec l’historien Jean-Jacques Jordi (De l’exode à l’exil. Rapatriés et pieds-noirs en France, L’Harmattan, 1994 ; Les Harkis, une mémoire enfouie, avec Mohand Hamoumou, Autrement, 2008). Le commentaire est lu par le comédien Saïd Taghmaoui, issu de l’immigration algérienne.

Préjugés tenaces

La Blessure. La tragédie des harkis devrait permettre de dépasser des préjugés encore tenaces et de mieux comprendre ce qui a poussé ces quelque 200 000 « Français musulmans d’Algérie » à se ranger aux côtés des « colonisateurs ». Un engagement vécu en Algérie comme une trahison et qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d’entre eux au moment de l’indépendance. Ceux qui, pour échapper aux massacres, ont émigré avec leurs familles en même temps que les soldats français quittaient le territoire ont été traités, en France, comme du bétail, parqués dans des camps comme celui de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), rendant leur intégration difficile.

Benjamin Stora, historien : « Toute forme de compréhension vis-à-vis du phénomène harki serait vécue comme une sorte de réhabilitation du système colonial »

Cette histoire reste une blessure des deux côtés de la Méditerranée. « Le problème harki touche la question de l’identité nationale algérienne. Toute forme de compréhension vis-à-vis du phénomène harki serait vécue comme une sorte de réhabilitation du système colonial. Pour qu’on puisse parvenir à cette histoire-là, il faut plus encore entendre la voix des harkis et de leurs enfants », explique l’historien Benjamin Stora, l’un des intervenants du documentaire, auteur, en 2021, à la demande d’Emmanuel Macron, d’un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie.

C’est l’une des forces de ce film : on y entend la parole d’anciens harkis qui expliquent dans quelles circonstances ils ont rejoint l’armée française, racontent comment ils ont vécu ces années de combat face à des frères, des cousins. On peut revoir en vidéo la belle fiction d’Alain Tasma, Harkis (2006), qui retrace avec émotion et réalisme le drame vécu par ces musulmans profrançais après les accords d’Evian de 1962.

La Blessure. La tragédie des harkis, documentaire d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle (Fr., 2010, 90 min). Diffusé dans le cadre de l’émission « La Case du siècle » sur France 5.

Sylvie Kerviel

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