Depuis huit ans, ce couple de Roumains et son fils vivent en France sans abri. L’occupation, pendant vingt-trois jours, de l’école Ernest-Renan, à Villeurbanne, leur a permis de trouver un hébergement d’urgence.

Publié leJeudi 14 Avril 2022Loan Nguyen

Alberto entre ses parents Oana et Mircea, à Villeurbanne. Emmanuel Foudrot

Pour la dernière fois, ce mardi, ils ont sorti les tapis de gym pour en faire des couchages. Mircea Stoica, 46 ans, et Oana Rus, 36 ans, racontent, calés sur des chaises pour enfants, comment ils ont dormi pendant plus de trois semaines avec leur fils, Alberto, 6 ans, dans l’école Ernest-Renan de Villeurbanne avant d’obtenir de la métropole de Lyon une solution de mise à l’abri dans un hébergement géré par Habitat et Humanisme. Des jours et des nuits d’attente qui se lisent sur leurs visages fatigués, contrastant avec les peintures multicolores affichées sur les murs de cette classe de maternelle et les rires des enfants qui parviennent de la cour de récréation voisine.

la ­précarité reste leur quotidien

Depuis le 21 mars, ils ont répété chaque jour le même rituel : à 6 heures du matin, réveil et petit déjeuner avant de tout remballer à 7 h 20 pour que la journée d’école se déroule normalement pour les enfants. Et à 18 heures, une fois les derniers élèves partis, retour à la maternelle avec l’un des enseignants mobilisés, repas préparé par un membre du collectif et redépliage des tapis de gym pour la nuit. Entre-temps, les parents, sans travail, retournaient à leur caravane pour tuer le temps. Le week-end, impossible de rester à l’école : des goûters et repas solidaires finançaient alors quelques nuits d’hôtel par-ci par-là.

Seule solution de mise à l’abri pour cette famille roumaine, cette occupation, ­initiée par le collectif Renan sans toit, restait inconfortable, même si elle a marqué une amélioration par rapport à sa situation antérieure. « On vivait dans une caravane sans eau ni électricité depuis deux-trois ans et, avant ça, dans une tente », explique Mircea, le papa. Moyennant quelques petits travaux au noir dans le bâtiment, celui-ci parvient à nourrir sa famille. Mais sans droits ouverts, ni Sécurité sociale, ni chômage, la ­précarité reste leur quotidien. Huit années de galère à la rue depuis leur arrivée en France après un transit par l’Espagne sans jamais perdre l’espoir de trouver une solution. « On a toujours voulu avancer, pour notre fils », insiste le père d’Alberto. Ils avaient bien essayé de contacter le 115, sans succès. « Ils nous disaient que ce n’était pas pour les familles », lâche Mircea. « La saturation des places d’hébergement est telle qu’on nous dit qu’il y a vingt-quatre mois d’attente pour les ­familles ! » s’étrangle Anne-Sophie Huchard, enseignante en élémentaire.

Il avait fallu l’installation de deux bidonvilles sur le secteur et l’arrivée d’une vingtaine d’élèves sans abri à l’école Ernest-Renan, en novembre 2021, pour que les enseignants mobilisés dans le collectif prennent connaissance de la situation de cette ­famille, restée jusque-là très discrète sur ses conditions de vie. « On s’était retrouvés à devoir héberger 50 personnes ! Alors on a décidé d’occuper un gymnase municipal. Vu l’ampleur de la situation, les pouvoirs publics ne pouvaient pas rester sans rien faire, donc, en quatre jours, ils ont trouvé une solution », raconte Anne-Sophie Huchard. Mais à peine ces familles ont-elles été orientées vers des hébergements d’urgence qu’un nouveau cas remontait aux oreilles du collectif Renan sans toit : le cas Stoica. « J’ai dû les chercher pour les trouver. Je leur ai ­demandé s’ils avaient besoin d’aide et on a décidé d’occuper l’école », résume l’enseignante.

« 98 élèves dorment encore dehors dans la métropole de Lyon »

Jusqu’à cette occupation, Alberto n’avait connu que la rue. « Il ne jouait pas, il n’y avait pas la place dans la caravane, il regardait juste le téléphone », se souvient Mircea. Depuis quelques semaines, le garçon, scolarisé en grande section de maternelle, semble déjà plus épanoui. « Plus ça va, plus il joue. Il se met aux constructions, aux jeux de société », observe avec satisfaction Anne-Sophie Huchard. « Avant, il était plus renfermé, maintenant il dit bonjour à tout le monde, il a la pêche ! » renchérit Lise Puillet, enseignante en maternelle.

Si la famille Stoica a obtenu gain de cause au terme de cette longue occupation, le problème des familles avec enfants à la rue reste loin d’être réglé. «  À travers le collectif Jamais sans toit, qui fédère une soixantaine d’établissements, on continue à répertorier 98 élèves qui dorment à la rue dans la métropole de Lyon. Au niveau national, la Fondation Abbé-Pierre en recense un millier », souligne Anne-Sophie Huchard. Dans cette période d’entre-deux-tours, l’enseignante garde en tête les promesses non tenues du président sortant, qui s’engageait à ce que plus personne ne dorme à la rue. « L’hébergement d’urgence est un droit inconditionnel, quelle que soit la situation administrative des personnes à la rue. Il faut que les moyens soient mis pour que ça ne reste pas que des paroles !  »

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